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qui préside à l'origine d'un songe qui commence pendant

notre sommeil.

Pendant la veille, les événemens sont liés entre eux d'une manière naturelle et intelligible, au lieu que, dans les songes, tout est décousu, sans ordre, sans vérité pendant la veille, un homme ne se trouvera pas tout d'un coup dans une chambre, s'il n'est venu par quelqu'un des chemins qui y conduisent: je ne serai pas transporté de Londres à Paris, si je ne fais le voyage; des personnes absentes, ou même mortes, ne s'offriront point à l'improviste à ma vue; tandis que tout cela, et même des choses étranges, contraires à toutes les lois de l'ordre et de la nature, se pro→ duisent dans les songes. C'est donc là le moyen que nous avons pour distinguer ces deux états; et de la certitude même de ce moyen vient un double embarras où l'on semble quelquefois se trouver d'un côté pendant la veille; s'il se présente à nous quelque chose d'extraordinaire et qui, au premier coup d'œil, soit inconcevable, on se demande à soi-même: Est-ce que je rêve ? On se tâte pour s'assurer qu'on est bien éveillé : d'un autre côté, quand un songe est bien net, bien lié, et qu'il n'a rassemblé que des choses bien possibles, de la nature de celles qu'on éprouve étant éveillé, on est quelquefois en suspens, quand le songe est fini, sur sa réalité; on auroit du penchant à croire que les choses se sont effectivement passées ainsi : c'est le sort de notre ame, tant qu'elle est embarrassée des organes du corps, de ne pouvoir pas démêler exactement la suite de ses opérations. Mais comme le développement de nos organes nous a fait passer d'un songe perpétuel et souverainement confus à un état mi-partie de songes et de vérités, il faut espérer que notre mort nous élevera à un état où la suite de nos idées continuellement claire et perceptible ne sera plus entre-coupée d'aucun sommeil, ni même d'aucun songe.

(ANONYME.)

Songer, c'est avoir des idées dans l'esprit pendant que les sens extérieurs sont fermés, en sorte qu'ils ne reçoivent point l'impression des objets extérieurs avec cette vivacité qui leur est ordinaire ; c'est, dis-je, avoir des idées, sans

qu'elles nous soient suggérées par aucun objet de dehors cu par aucune occasion connue, et sans être choisies ni déterminées en aucune manière par l'entendement; quant à ce qu'on nomme extase, je laisse juger à d'autres si ce n'est point songer les yeux ouverts.

L'esprit s'attache quelquefois à considérer certains objets avec une si grande application, qu'il en examine les faces de tous côtés, en remarque les rapports et les circonstances, et en observe chaque partie avec une telle con→ tention, qu'il écarte toute autre pensée, et ne prend aucune connoissance des impressions ordinaires qui se font alors sur les sens, et qui, dans d'autres temps, lui auroient communiqué des perceptions extrêmement sensibles. Dans certaines occasions, l'homme observe la suite des idées qui se succèdent dans son entendement, sans s'attacher particulièrement à aucune; et, dans d'autres rencontres, il les laisse passer, sans presque jeter la vue dessus, comme autant de vaines ombres qui ne font aucune impression sur lui.

Dans l'état où l'ame se trouve aliénée des sens, c'est-àdire dans le sommeil, elle conserve souvent une manière de penser foible et sans liaison que nous nommons songer, et enfin un profond sommeil ferme entièrement la scène, et met fin à toutes sortes d'apparences. Voilà des réflexions supérieures sur ce mode de penser; elles sont de Locke.

(M. de JAUCOURT.)

Réver, c'est avoir l'esprit occupé pendant le sommeil. Il est certain qu'on rêve, mais il n'est rien moins que certain qu'on réve toujours, et que l'ame n'ait pas son repos comme le corps. On appelle rêverie toute idée vague, toute conjecture bizarre qui n'a pas un fondement suffisant, toute idée qui nous vient de jour et en veillant, comme nous imaginons que les rêves nous viennent pendant le sommeil, en laissant aller notre entendement comme il lui plaît, sans prendre la peine de le conduire; qu'écrivezvous là? je ne sais; une réverie qui m'a passé par la tête, et qui deviendra quelque chose ou rien.

Le plaisir de réver est peut-être le plus doux, mais le

moins utile et le moins raisonnable de tous. L'amant soйtaire rêve à ses amours.

Rêveur est aussi synonyme à distrait. Vous rêvez en si bonne compagnie? cela est impoli. On rêve d'une manière abstraite et profonde, pour s'occuper agréablement. Réver marque en d'autres occasions un examen profond; croyez que j'y ai bien révé.

En ce qui a rapport à la médecine, voici le sentiment de Lommius sur les rêves.

Les rêves sont des affections de l'ame qui surviennent dans le sommeil, et qui dénotent l'état du corps et de l'ame, sur-tout s'ils n'ont rien de commun avec les occupations du jour; alors ils peuvent servir de diagnostic et de pronostic dans les maladies. Ceux qui rêvent du feu ont trop de bile jaune; ceux qui rêvent de fumée ou de brouillards épais, abondent en bile noire; ceux qui rêvent de pluie, de neige, de grêle, de glace, de vent, ont les parties intérieures surchargées de phlegmes; ceux qui se sentent en rêve dans de mauvaises odeurs, peuvent compter qu'ils logent dans leur corps quelque humeur putride. Si l'on voit en réve du rouge, ou qu'on s'imagine avoir une crête comme un coq, c'est une marque qu'il y a surabondance de sang; si l'on rêve de la lune, on aura les cavités du corps affectées; du soleil, ce seront les parties moyennes ; et des étoiles ce sera le contour ou la surface extérieure du corps. Si la lumière de ces objets s'affoiblit, s'obscurcit ou s'éteint, on en conjecturera que l'affection est légère, si c'est de l'air ou du brouillard qui cause de l'altération dans l'objet vu en révé; plus considérable si c'est de l'eau ; et si l'éclipse provient de l'interposition et de l'obscurcissement des élémens, en sorte qu'elle soit entière, on sera menacé de maladie; mais si les obstacles qui déroboient la lumière viennent à se dissiper, et que corps lumineux reparoisse dans tout son éclat, l'état ne sera pas dangereux; si les objets lumineux passent avec une vitesse surprenante, c'est signe de délire; s'ils vont à l'occident, qu'ils se précipitent dans la mer, ou qu'ils se cachent sous terre, ils indiquent quelque indisposition. La mer agitée pronostique l'affection du ventre; la terre couverte d'eau n'est pas un meilleur rêve, c'est une marque

te

qu'il y a intempérie humide; et si l'on s'imagine être submergé dans un étang ou dans une rivière, la même intempérie sera plus considérable. Voir la terre séchée et brûlée par le soleil, c'est pis encore, car il faut que l'habitude du corps soit alors extrêmement sèche. Si l'on a besoin de manger ou de boire, on rêvera mets et liqueurs ; si l'on croit boire de l'eau pure, c'est bon signe; si l'on croit en boire d'autre, c'est mauvais signe. Les monstres, les personnes armées et tous les objets qui causent de l'effroi, sont de mauvais augure, car ils annoncent le délire. Si l'on se sent précipité de quelque lieu élevé, on sera menacé de vertige, d'épilepsie ou d'apoplexie, surtout si la tête est en même temps chargée d'humeurs.

Nous avons tiré de Lommius ces observations; elles sont toutes d'Hippocrate, et méritent une attention singulière de la part des médecins; car on ne peut nier que les affections de l'ame n'influent sur le corps, et n'y produisent de grands changemens. En effet, bien que ces observations paroissent de peu d'importance, et devoir être négligées d'abord, on sera détourné de penser de cette façon, pour peu que l'on réfléchisse sur les lois qui concernent l'étroite union de l'ame avec le corps.

(ANONYME.)

LES

REVENUS DE L'ÉTAT.

ES REVENUS DE L'ÉTAT, dit M. de Montesquieu, sont une portion que chaque citoyen donne de son bien pour avoir la sûreté de l'autre, et pour en jouir agréablement.

Pour bien fixer ces revenus, il faut avoir égard et aux nécessités de l'état et aux nécessités des citoyens; il ne faut poiut prendre au peuple sur ses besoins réels pour des besoins imaginaires de l'état.

Les besoins imaginaires sont ce que demandent les passions et les foiblesses de ceux qui gouvernent, le charme d'un projet extraordinaire, l'envie malade d'une vaine gloire, et une certaine impuissance d'esprit contre les fantaisies. Il est arrivé souvent que des ministres à la tête des affaires, avec un esprit faux et des desirs inquiets, se sont persuadés que les besoins de leurs petites ames étoient les besoins de l'état.

La connoissance exacte des revenus d'un état conduit naturellement à distinguer ceux dont la ressource est la plus étendue et la plus assurée, ceux qui sont le moins utiles à l'état, ceux qui soulagent davantage le peuple, ceux qui se paient le plus également, et dès lors le plus facilement; ceux en conséquence qui sont à charge au peuple; ceux enfin dont la perception entraîne des abus, et devient plus nuisible qu'avantageuse; observations importantes, et sur lesquelles on ne sauroit trop souvent jeter les yenx.

Il n'y a rien que la sagesse et la prudence doivent plus régler que cette portion qu'on ôte, et cette portion qu'on laisse aux sujets. Ce n'est point à ce que le peuple peut donner qu'il faut mesurer les revenus publics, mais à ce qu'il doit donner; et, si on les mesure à ce qu'il peut donner, il faut que ce soit du moins à ce qu'il peut toujours donner.

Ce n'est pas ici le lieu de discuter quelle est la meilleure méthode de la ferme ou de la régie, pour la perception des revenus d'un état : nous nous contenterons seulement

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