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tient à une situation théâtrale, c'est celle d'Aricie dans la tragédie de Phèdre :

Prenez garde, seigneur: vos invincibles mains

Ont de monstres sans nombre affranchi les humains.
Mais tout n'est pas détruit, et vous en laissez vivre
Un... Votre fils, seigneur, me défend de poursuivre.

Cette interruption subite doit épouvanter Thésée; aussi commence-t-il dès ce moment à sentir de vives inquiétudes, et à se reprocher son emportement.

Ces interruptions brusques peignent assez bien le langage entre-coupé de la colère.

La reticence est quelquefois plus expressive que ne le seroit le discours même; mais on ne doit l'employer que dans des occasions importantes.

en

D'autres appellent aussi réticence une figure par laquelle on fait mention d'une chose indirectement, même temps qu'on assure que l'on s'abstiendra d'en parler. Par exemple : « Sans parler de la noblesse de ses ancêtres »> ni de la grandeur de son courage, je me bornerai à >> vous entretenir de la pureté de ses mœurs ». Mais cette notion n'est pas exacte, et ce tour oratoire s'appelle proprement prétérition ou prétermission.

(Voyez Prétermission.)

La malignité et la haine ont bien connu tout ce que pouvoit la rélicence, par le chemin qu'elle fait faire à l'imagination aussi n'ont-elles point d'armes plus affilées ni de traits plus empoisonnés. C'est la combinaison la plus profonde de la méchanceté, de savoir retenir ses coups et de les porter par la main d'autrui; et malheureusement c'est aussi la plus facile. Rien n'est si aisé et si commun que de calomnier à demi-mot, et rien n'est si difficile que de repousser cette espèce de calomnie; car comment répondre à ce qui n'a pas été énoncé? Deviner l'accusation, c'est avouer en quelque sorte qu'elle n'est pas sans fondement aussi le seul parti qu'il y ait à prendre, c'est de porter un défi public à l'accusateur timide et lâche; et l'innocence alors peut lever la tête quand il cache la sienne dans les ténèbres

(ANONYME.)

RETRAITE.

Ce mot se dit en morale de la séparation du tumulte

E

du monde, pour mener chez soi une vie tranquille et privée; on demande quand cette retraite doit se faire. Ce n'est pas dans la force de l'âge où l'on peut servir la société, et remplir un poste qu'on occupe avec fruit; mais quand la vieillesse vient graver ses rides sur notre front, c'est là le vrai temps de la retraite; il n'y a qu'à perdre à se montrer dans le monde, à rechercher des emplois et à faire voir sa décadence. Le public ne se transporte point à ce que vous avez été ; il ne voit que ce que vous êtes, et juge de votre incapacité par ce qu'il voit; il ne s'arrête qu'au moment présent, et ne se met point en peine de vous rendre justice. Ayons done le courage, quand ce terme est arrivé de nous rendre heureux par des goûts paisibles et convenables à notre état. Il faut savoir se retenir à propos; il conviendroit même que notre retraite fût plutôt l'effet d'une saine philosophie que de la nécessité.

(M. de JAUCOURT.)

Ex retranchant toujours peu à peu quelque chose sur la nourriture, on peut parvenir à supporter une abstinence. très-rigoureuse.

La frugalité tant vantée des anciens Romains, dit M. de Saint-Evremont, étoit moins un retranchement et une abstinence volontaire des choses superflues qu'un usage grossier de ce qu'ils avoient.

Il y a dans le style des retranchemens vicieux et des retranchemens élégans. La matière qu'on traite demande quelquefois un style vif et concis; mais il ne faut pas, pour cela, supprimer ce qui est absolument nécessaire. Exemple: Ce desir ardent avec lequel les hommes cherchent un objet qu'ils puissent aimer et en être aimés vient de la corruption du cœur; il falloit dire qu'ils puissent aimer, et dont ils puissent être aimés. Je ne puis assurer, quand je partirai d'ici, si, dans un mois, dans deux ou dans trois, il falloit dire si ce sera dans un mois, etc.

Mais, s'il y a des retranchemens vicieux, il y en a d'autres qui sont fort élégans, et qui contribuent beaucoup à la force et à la beauté du discours. En voici quelques exemples: Citoyens, étrangers, ennemis, peuples, rois, empereurs, le plaignent et le révérent; cet endroit deviendroit fóible, si l'on disoit : les citoyens, les étrangers, les ennemis, les peuples, les rois, les empereurs, le plaignent et le révérent. Voici un exemple du discours de Racine à sa réception à l'académie française. « Vous savez, mes» sieurs, en quel état se trouvoit la scène française lorsque M. Corneille commença à travailler; quel désordre! » quelle irrégularité ! nul goût, nulle connoissance des >> véritables beautés du théâtre; les auteurs, aussi ignorans » que les spectateurs : la plupart des sujets extravagans, » et dénués de vraisemblance : point de mœurs, point » de caractères, et la diction encore plus vicieuse que » l'action; en un mot, toutes les règles de l'art, celles » de l'honnêteté et de la bienséance par-tout violées. » L'auteur a retranché de cette période plusieurs mots qu'un

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autre auteur moins éloquent n'auroit pas manqué d'y

mettre.

« Sa latinité, dit M. de Saint-Evremont, en parlant de » Senèque, n'a rien de celle du temps d'Auguste; rien » de facile, rien de naturel; toutes pointes, toutes ima>> ginations qui sentent plus la chaleur d'Afrique ou d'Es>pagne que la lumière de Grèce ou d'Italie. >> Ce seroit gâter cet exemple que de dire: n'a rien de facile, n'a rien de naturel; ce ne sont que des pointes, ce ne sont que des imaginations, etc..

Il est souvent à propos de retrancher les et en voici un exemple de Mascaron dans son oraison funèbre de M. de Turenne: «Comme on voit la foudre, conçue presqu'en » un moment dans le sein de la nue, briller, éclater » frapper, abattre, ces premiers feux d'une ardeur mili»taire sont à peine allumés dans le cœur du roi, qu'ils » brillent, éclatent, frappent par-tout. >>

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Lorsque le sujet qu'on traite demande du feu et du mouvement, les périodes coupées ont bonne grace, et il est élégant de retrancher des mots et des liaisons inutiles, pour donner de la force et du brillant au discours

(M. de JAUCOURT.)

SONGE

RÊVE.

ONGE qu'on fait en dormant.

L'histoire des rêves est encore assez peu connue; elle est cependant importante, non seulement en médecine, mais en métaphysique, à cause des objections des idéalistes ; nous avons en rêvant un sentiment interne de nous-mêmes, et en même temps un assez grand délire pour voir plusieurs choses hors de nous; nous agissons nous-mêmes voulant ou ne voulant pas; et enfin tous les objets des rêves sont visiblement des jeux de l'imagination. Les choses qui nous ont le plus frappé durant le jour, apparoissent à notre ame lorsqu'elle est en repos; cela est assez communément vrai, même dans les brutes, car les chiens rêvent comme l'homme; la cause des rêves est donc toute impression quelconque, forte, fréquente et dominante.

Le songe est un état bizarre en apparence, où l'ame a des idées sans en avoir la connoissance réfléchie; éprouve des sensations sans que les objets externes paroissent faire aucune impression sur elle; imagine des objets, se transporte dans des lieux, s'entretient avec des personnes qu'elle n'a jamais vues, et n'exerce aucun empire sur tous ces fantômes qui paroissent ou disparoissent, l'affectent d'une manière agréable ou incommode, sans qu'elle y influe en quoi que ce soit.

Je me couche, je m'endors profondément, toutes les sensations sont éteintes, tous les organes sont comme inaccessibles ; ce n'est pas là le temps des songes, il faut que quelques heures s'écoulent, afin que la machine ait pris les principes d'ébranlement et d'action; le temps étant venu, songe-t-on aussitôt, et ne faut-il point de cause plus immédiate pour la production du songe que cette disposition générale du corps? On ne peut répondre ici sans témérité, parce que le fil de l'expérience nous abandonne. Il est impossible de sentir naître un songe; car puisque personne ne sauroit seulement remarquer quand et comment il s'endort, comment pourroit-on saisir ce

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