Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

meroient alors, comme de droit, une supériorité sur l'état dans le cas de compétence; et l'on doit supposer qu'elles ne manqueroient pas de pouvoirs pour maintenir. leurs droits : car c'est une conséquence nécessaire que toute société, dont le soin s'étend aux intérêts corporels doit être revêtue d'un pouvoir coactif. Ces maximes n'ont eu que trop de vogue pendant un temps. Les ultramontains, habiles dans le choix des circonstances, ont tâché de se prévaloir des troubles intérieurs des états pour les établir et élever la chaire apostolique au dessus du trône des potentats de la terre ; ils en ont exigé et quelquefois reçu hommage, et ils ont tâché de le rendre universel. Mais ils ont trouvé une barrière insurmontable dans la noble et digne résistance de l'église gallicane, également fidèle à son Dieu et à son roi.

Nous posons donc comme maxime fondamentale, et comme une conséquence évidente de ce principe, que la société religieuse n'a aucun pouvoir coactif semblable à celui qui est entre les mains de la société civile. Des objets qui different entièrement de leur nature, ne peuvent s'acquérir par un seul et même moyen. Les mêmes relations produisant les mêmes effets, des effets différens ne peuvent provenir des mêmes relations. Ainsi la force et la contrainte n'agissant que sur l'extérieur, ne peuvent aussi produire. que des biens extérieurs, objets des institutions civiles, et ne sauroient produire des biens intérieurs, objets des institutions religieuses. Tout le pouvoir coactif qui est naturel à une société religieuse se termine au droit d'excommunication, et ce droit est utile et nécessaire pour qu'il y ait un culte uniforme ; ce qui ne peut se faire qu'en chassant du corps tous ceux qui refusent de se conformer au culte public: il est donc convenable et utile que la société religieuse jouisse de ce droit d'expulsion. Toutes sortes de sociétés, quels qu'en soient les moyens et la fin, doivent nécessairement, comme société, avoir ce droit, droit inséparable de leur essence; sans cela, elles se dissou droient d'elles-mêmes et retomberoient dans le néant, précisément de même que le corps naturel, si la nature, dont les sociétés imitent la conduite en ce point, n'avoit pas

[ocr errors]

la force d'évacuer les humeurs vicieuses et malignes; mais ce pouvoir utile et nécessaire est tout celui et le seul dont la société religieuse ait besoin; car par l'exercice de ce pouvoir la conformité du culte est conservée, son essence et sa fin sont assurées, et le bien-être de la société n'exige rien au-delà. Un pouvoir plus grand dans une société religieuse seroit déplacé et injuste.

(ANONYME.)

SOCRATE,
OCRATE, fils d'un sculpteur nommé Sophronisque, ef
d'une sage-femme appelée Phinarete, naquit à Athènes
l'an 469 avant Jésus-Christ. Il paroît, par les comparaisons
qu'il employa dans ses discours, qu'il ne rougissoit point
de la profession de son père ni de celle de sa mère. Il
s'étonnoit qu'un sculpteur appliquât son esprit à faire qu'une
pierre brute devînt semblable à un homme, et qu'un
homme se mît si peu en peine de n'être pas semblable à une
pierre brute. Il s'appelait l'Accoucheur des esprits, parce
qu'il exerçoit, à l'égard des esprits auxquels il faisoit pro-
duire des pensées, les mêmes fonctions que sa mère exer-
çoit à l'égard des corps.

Le systême du monde et les phénomènes de la nature avoient été, jusqu'à Socrate, l'objet de la méditation des philosophes. Ils avoient négligé l'étude de la morale. Ils croyoient que les principes nous en étoient intimement connus, et qu'il étoit inutile d'entretenir de la distinction du bien et du mal celui dont la conscience étoit muette.

Toute leur sagesse se réduisoit à quelques sentences que l'expérience journalière leur avoit dictées, et qu'ils débitoient dans l'occasion. Le seul Archélaüs avoit entamé dans son école la question des mœurs; mais sa méthode étoit sans solidité, et ses leçons furent sans succès. Socrate, son disciple, né avec une grande ame, un grand jugement, un esprit porté aux choses importantes, et d'une utilité générale et première, vit qu'il falloit travailler à rendre les hommes bons, avant que de commencer par les rendre savans; que, tandis qu'on avoit les yeux attachés aux astres, on ignoroit ce qui se passoit à ses pieds; qu'à force d'habiter le ciel, on étoit devenu étranger dans sa propre maison; que l'entendement se perfectionnoit peut-être, mais qu'on abandonnoit à elle-même la volonté ; que le temps se perdoit en spéculations frivoles; que l'homme vieillissoit sans s'être interrogé sur le bonheur de la vie. Enfin, dit Cicéron, il fit descendre la philosophie du ciel pour la placer sur la terre, et la mettre plus à la portée des

[ocr errors]

hommes, en l'appliquant seulement à ce qui pouvoit les rendre justes, raisonnables et vertueux. Il parla de l'ame, des passions, des vices, des vertus, de la beauté et de la laideur morales, de la société et des autres objets quí ont une liaison immédiate avec nos actions et notre félicité. Il montra une extrême liberté dans sa façon de penser. Il n'y a aucune sorte d'intérêts ni de terreurs qui retînt la vérité dans sa bouche. Il n'écouta que l'expérience, la réflexion et la loi de l'honnêteté, et il mérita, parmi ceux qui l'avoient précédé, le titre de philosophe par excellence; titre que ceux qui lui succédèrent ne lui ravirent point. Il tira nos ancêtres de l'ombre et de la poussière, et il en fit des citoyens, des hommes d'état. Ce projet ne pouvoit s'exécuter sans péril parmi des brigands intéressés à perpétuer le vice, l'ignorance et les préjugés. Socrate le savoit; mais qui est-ce qui étoit capable d'intimider celui qui avoit placé ses espérances au-delà de ce monde, et pour qui la vie n'étoit qu'un lien incommode qui le retenoit dans une prison loin de sa véritable patrie?

La corruption avoit gagné toutes les parties de l'administration des affaires publiques; les Athéniens gémissoient sous la tyrannie: Socrate ne voyoit, à entrer dans la magistrature, que des périls à courir sans aucun bien à faire; mais il fallut sacrifier sa répugnance au vœu de sa tribu, et paroître au sénat. Il porta dans ce nouvel état sa justice et sa fermeté accoutumées; les tyrans ne lui en imposèrent point; il ne cessa de leur reprocher leurs vexations et leurs crimes; il brava leur puissance: falloit-il souscrire au jugement de quelqu'innocent qu'ils avoient condamné, il disoit: Je ne sais pas écrire.

Il ne fut pas moins admirable dans sa vie privée ; jamais homme ne fut né plus sobre ni plus chaste: les grandes chaleurs de l'été, ni les froids rigoureux de l'hiver, ne suspendirent ses exercices. Il est difficile de porter plus loin qu'il le fit le mépris des richesses et l'amour de la pauvreté. Voyant la pompe et l'appareil que le luxe mettoit dans certaines cérémonies, et la quantité d'or et d'argent qu'on y portoit: Que de choses, disoit-il, en se félicitant lui-même sur son état ! que de choses dont je n'ai pas besoin! Socrate n'étoit pas seulement pauvre; mais, ce qui

est admirable, il aimoit à l'être; il ne rougissoit pas de faire connoître ses besoins.

Il n'agissoit point sans avoir invoqué le ciel. Il ne nuisit jamais à personne, pas même à ses ennemis ; on le trouvoit toujours prêt à les servir. Il ne s'en tenoit pas au bien; il se proposoit le mieux en tout. Personne n'eut le jugement plus sûr et plus sain dans toutes les circonstances et dans tous les événemens de la vie. Il n'y avoit rien dans sa conduite dont il ne pût et ne se complût à rendre raison. Il avoit l'œil ouvert sur ses amis; il les reprenoit, parce qu'ils lui étoient chers; il les encourageoit à la vertu par son exemple et par ses discours, et il fut pendant toute sa vie le modèle d'un homme très-accompli et très-heureux. Si l'emploi de ses momens nous étoit plus connu, peutêtre nous démontreroit-il, mieux qu'aucun raisonnement, que, pour notre bonheur dans ce monde, nous n'avons rien de mieux à faire que de pratiquer la vertu, thèse importante qui comprend toute la morale.

Pour réparer les ravages que la peste avoit faits, les Athéniens permirent à tous les citoyens de prendre deux femmes. Socrate en joignit une seconde, par commisération pour sa misère, à celle qu'il s'étoit auparavant choisie par inclination. L'une étoit fille d'Aristide, et `s'appeloit Mirtus ; et l'autre étoit née d'un citoyen obscur, et se nommoit Xantippe. Les humeurs capricieuses de celle-ci donnèrent un long exercice à la philosophie et à la patience de son époux. Quand je la pris, disoit Socrate à Anthistène, je connus qu'il n'y auroit personne avec qui je ne pusse vivre sije pouvois la supporter ; je voulois avoir dans ma maison quelqu'un qui merappelât sans cesse l'indulgence que je dois à tous les hommes, et que j'en attends pour moi. Et en effet cette femme le mit aux plus rudes épreuves par son humeur bisarre, violente et emportée. Un jour, après avoir vomi contre lui toutes les injures dont son dépit étoit capable, sans qu'il en parût seulement ému, elle finit par lui jeter un pot d'eau sale sur la tête; il ne fit qu'en rire, et il ajouta : « Il falloit bien qu'il plût après un si grand tonnerre. » Un autre jour, pour l'outrager d'une manière sensible, elle lui arracha son manteau de dessus les épaules, au milieu de la rue, et le jeta dans la

« PreviousContinue »