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fort sages pour empêcher qu'elle ne fût dissipée dans la suite, par la trop grande facilité à communiquer les livres. Il fit encore bâtir près de cette bibliothèque une très-belle imprimerie, destinée à faire des éditions exactes et correctes de beaucoup d'ouvrages altérés par la mauvaise foi des hérétiques, ou par l'ignorance des catholiques.

Il entreprit de relever le fameux obélisque de granit que Caligula avoit fait transporter d'Espagne à Rome. Il fit exhumer, réparer, élever ce prodigieux monument de soixante-douze pieds de haut, ouvrage des anciens rois d'Egypte. Ce fut aussi par son ordre qu'on plaça au haut des colonnes Trajane et Antonine les statues de saint Pierre et de saint Paul, fondues en bronze et dorées. Ornemens cependant qui ne font pas honneur au goût de Sixte-Quint; car y a-t-il rien de plus bizarre que de voir la statue d'un apôtre du christianisme au haut d'un monument chargé des actions militaires d'un empereur païen?

Le magnifique dôme de Saint-Pierre est encore un monument de la munificence de Sixte.

Tous ces grands travaux marquent son savoir et sa magnificence, et lui font certainement plus d'honneur que la bulle qu'il lança contre Henri III, et que l'approbation solemnelle qu'il donna au crime détestable de Jacques Clément, assassin de ce roi. Cette approbation doit paroître d'autant plus extraordinaire, qu'on voit, dans les Mémoires de Nevers, qu'il désapprouvoit intérieurement les entreprises téméraires de la ligue. Ce seigneur s'étant rendu à Rome au commencement du pontificat de Sixte, eut quelques conférences avec ce pape sur les malheureuses affaires de France; Sixte lui dit qu'il ne doutoit pas des bonnes intentions du cardinal de Bourbon: « mais, » ajouta-t-il, en quelle école ont-ils appris qu'il faille for

mer des partis contre un prince légitime? Détrompez»< vous, si vous voulez me croire. Le roi de France n'a » jamais consenti de bon cœur à vos ligues et à vos » armemens, et il les regarde comme des attentats contre » son autorité; et, bien que la nécessité de ses affaires >>> et la crainte d'un plus grand mal le forcent à dissimuler, » il ne laisse pas de vous tenir tous pour ses ennemis

» et même des ennemis plus redoutables et plus cruels » que ne sont ni les huguenots de France ni les autres >> protestans. Je ne dis rien que sur la connoissance que » j'ai du naturel des princes; je crains bien fort que >> l'on ne pousse les choses si avant, qu'enfin le roi de >> France, tout catholique qu'il est, ne se voie contraint » d'appeler les huguenots à son secours pour le délivrer de la tyrannie des catholiques. » La prophétie de Sixte-Quint se vit accomplie quatre ans après.

Ce pontife, écoutant plus les préventions injustes des ligueurs que son propre jugement, avoit excommunié, en 1585, le roi de Navarre, si connu depuis sous le nom de Henri IV. Il l'estimoit cependant beaucoup, et ce prince lui rendoit estime pour estime; car on assure qu'il disoit : « C'est un grand pape; je veux me faire >> catholique, quand ce ne seroit que pour être fils » d'un tel père. »

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La plupart des politiques de ce siècle s'occupoient moins de ce qui est nécessaire pour régler et perfectionner l'espèce humaine, que des moyens de l'accroître : mais Sixte-Quint regardoit comme un vrai mal de multiplier les hommes, si leur subsistance n'étoit assurée. Ce pontife avoit en conséquence, ordonné aux curés de ne faire aucun mariage sans le certificat d'un juge établi pour prendre d'exactes informations sur les facultés des contractans; et, au cas que ce magistrat les jugeât en péril de devenir pauvres, et, par conséquent, hors d'état de nourrir les enfans qu'ils pourroient avoir, il étoit défendu aux curés de passer à la célébration du mariage; il vouluť qu'on bannît de Rome ceux qui se trouveroient dans le cas de désobéissance. Sa maxime étoit qu'il valoit mieux détruire une ville que de la remplir d'habitans malheureux.

Suivant une autre de ses maximes deux choses sont absolument nécessaires pour maintenir le peuple dans l'obéissance, le pain et le fer. Maxime qui peut être vraie, mais qui seroit mieux dans la bouche d'un despote que dans celle d'un vicaire de Jésus-Christ.

Un travail excessif minoit peu à peu Sixte-Quint; sa dernière maladie ne put le lui faire interrompre. Il mourut, le 27 août 1590, à soixante-neuf ans. On crut qu'il avoit

été empoisonné; et les médecins, lui ayant ouvert le crâne, trouvèrent, dit-on, la substance du cerveau gâtée par la malignité du venin qui y étoit attaché. Les douleurs de tête, qui précédèrent sa mort, lui donnèrent à lui-même quelque soupçon, et l'on rapporte qu'il dit alors à son médecin ordinaire : « Je crois que les Espagnols sont si >> las de me voir, qu'ils chercheront les moyens d'abré>> ger mes jours et mon pontificat. » Henri IV, apprenant la nouvelle de cette mort, ne put s'empêcher de dire que ce coup étoit un trait de politique espagnole, et il ajouta : « Je perds un pape qui étoit tout à moi; Dieu » veuille que son successeur lui ressemble. » Le peuple romain n'eut pas les mêmes regrets. Gémissant sous le fardeau des taxes, et haïssant un gouvernement triste et dur, il brisa la statue qu'on avoit élevée à Sixte. Ce pontife avoit été dans une crainte continuelle pendant son règne. Il avoit coutume de dire, comme Vespasien, qu'un prince doit mourir debout.

Sa conduite ne se démentit point. Aussi grand prince que grand pape, Sixte - Quint fit voir qu'il naît quelquefois sous le chaume des gens capables de porter une couronne et d'en soutenir le poids avec dignité. Ce qui le distingue des autres papes, c'est qu'il ne fit rien comme eux. Il sut licencier les soldats, les gardes même de ses prédécesseurs, et dissiper les bandits par la seule force des lois, sans avoir de troupes ; se faire craindre de tout le monde par sa place et par son caractère; renouveler Rome, et laisser le trésor pontifical très-riche: telles sont les marques de son règne, et marques qui n'appar tiennent qu'à lui.

(ANONYME.)

LA SOBRIÉTÉ est la tempérance dans le boire et le

manger, ou, pour mieux dire, dans la recherche des plaisirs de la table.

La sobriété, en fait de nourriture, a pour opposé la gourmandise. La sobriété dans le boire, a pour contraire l'ivrognerie.

Je crois que la sobriété est une vertu très-recommandable; ce n'est pas Epictète et Sénèque qui m'en ont le mieux convaincu par leurs sentences outrées, c'est un homme du monde, dont le suffrage ne doit être suspect à personne. C'est Horace, qui, dans la pratique, s'étoit quelquefois laissé séduire par la doctrine d'Aristipe, mais qui goûtoit réellement la morale sobre d'Épicure.

Comme ami de Mécène, il n'osoit pas louer directement la sobriété à la cour d'Auguste; mais il en fait l'éloge dans ses écrits d'une manière plus fine et plus persuasive que s'il eût traité son sujet en moraliste. Il dit que la sobriété suffit à l'appétit, que par conséquent elle doit suffire à la bonne chère, et qu'enfin elle procure de grands avantages à l'esprit et au corps. Ces propositions sont d'une vérité sensible; mais le poète n'a garde de les débiter lui-même. Il les met dans la bouche d'un homme de province, plein de bon sens, qui, sans sortir de son caractère et sans dogmatiser, débite ses réflexions judicieuses avec une naïveté qui les fait aimer. Je prie le lecteur de l'écouter.

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« Mes amis, la sobriété n'est point une petite vertu. Ce » n'est pas moi qui le dis, c'est Osellus, c'est un cam» pagnard sans étude, à qui un bon sens naturel tient lieu » de toute philosophie. Venez apprendre de lui cette im>> portante maxime: mais ne comptez pas de l'apprendre » dans ces repas somptueux où la table est embarrassée » par le grand nombre de services, où les yeux sont épris » de l'éclat d'une folle magnificence, et où l'esprit disposé >> à recevoir de fausses impressions ne laisse aucun accès à » la vérité. C'est à jeun qu'il faut examiner cette matière. » Et pourquoi à jeun? En voici la raison, ou je suis bien

» trompé : C'est qu'un juge corrompu n'est pas en état de » bien Juger une affaire.»

Dans une autre satyre, Horace ne peut encore s'empêcher de louer indirectement les avantages de la sobriété. Il feint qu'un de ses esclaves profitant de la liberté que lui donnoit la fête des Saturnales lui déclare cette vérité en lui reprochant son intempérance: «Croyez-vous, lui » dit-il, être bienheureux et moins puni que moi, quand >> vous chargez avec tant d'empressement ces tables servies » délicatement et à grands frais? Ce qui arrive de là, » c'est que ces fréquens excès de bouche vous remplissent » l'estomac de sucs âcres et indigestes; c'est que vos » jambes chancelantes refusent de soutenir un corps ruiné » de débauches. >>

Il est donc vrai que la sobriété tend à conserver la santé, et que l'art d'apprêter les mets pour irriter l'appétit des hommes au-delà des vrais besoins est un art destructeur. Dans le temps où Rome comptoit ses victoires par ses combats, on ne donnoit point un talent de gages à un cuisinier; le lait et les légumes apprêtés simplement faisoient la nourriture des consuls, et les dieux habitoient dans des temples de bois. Mais, lorsque les richesses des Romains devinrent immenses, l'ennemi les attaqua de toutes parts, et vint à bout de vaincre et de détruire ces conquérans orgueilleux de l'univers entier, amollis par le luxe, la bonne chère et tous les vices qui en sont la suite.

Je sais qu'il est impossible de fixer des règles sur la sobriété, parce que, selon les tempéramens, ce qui est excès dans le boire et le manger pour les complexions foibles et délicates est salutaire et même nécessaire aux personnes robustes et bien constituées; mais il y a peu de gens qui ne sachent, par expérience, quelle sorte et quelle quantité de nourriture convient à leur tempérament. Si mes lecteurs étoient mes malades, et que j'eusse à leur prescrire des règles de sobriété proportionnées à l'état de chacun, je leur dirois de faire leurs repas les plus simples qu'il seroit possible, et d'éviter les ragoûts propres à leur donner un faux appétit, ou le ranimer lorsqu'il est presque éteint. Pour ce qui regarde la boisson, je serois assez de

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