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SIFFLER une pièce, c'est la huer tout haut; c'est en

marquer par des sifflemens les endroits dignes de mépris et de risée. L'usage de siffler aux représentations publiques n'est pas d'institution moderne. Il est vraisemblable que cet usage commença presque aussitôt qu'il y eut de mauvais poètes et de mauvais acteurs qui voulurent bien s'exposer aux décisions de tout un monde rassemblé dans un même lieu. Quoique nos modernes se piquent de la gloire de savoir juger sainement des pièces qui méritent leurs applaudissemens ou leurs sifflets, je ne sais si les Athéniens ne s'y entendoient pas encore mieux que nous. Comme ils l'emportoient sur tous les autres peuples de la Grèce pour la finesse et la délicatesse du goût, ils étoient aussi les plus difficiles à satisfaire. Lorsque, dans les spectacles, quelque endroit n'étoit pas à leur gré, ils ne se contentoient pas, comme nous, de le siffler avec la bouche; plusieurs, pour mieux se faire entendre, portoient avec eux des instrumens propres à ce dessein. La plupart même, autant qu'on en peut juger par quelques passages des anciens auteurs, employoient de ces sifflets de berger que Virgile nous décrit dans une de ses églogues :

Est mihi disparibus septem compacta cicutis

Fistula.

En effet, il y a toute apparence qu'ils usoient de ces sifflets qui étoient composés de sept différens tuyaux, et qui, par cette raison, rendoient jusqu'à sept sons différens; en sorte qu'ils caractérisoient le degré de leur critique par un son varié plus ou moins fort du sifflet, rafinement de l'art dont nous n'avons pas encore imaginé les notes. Mais si les Athéniens siffloient avec des tons gradués les mauvais endroits d'une pièce ou le mauvais jeu d'un acteur, ils savoient applaudir avec la même intelligence aux beaux, aux bons, aux excellens morceaux, et ils avoient des termes différens pour marquer d'une manière distincte le premier et le second de ces usages.

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SIGNALE MEN T.

DESCRIPTIO

ESCRIPTION d'une personne faite par tous ses caractères extérieurs, que l'on donne à un prévôt de maréchaussée, à un sergent, à un exempt, pour reconnoître l'homme et s'en saisir. On donne le signalement d'un moine échappé de son couvent, d'une religieuse fugitive, d'un criminel, d'un déserteur. Quoique ces sortes de descriptions soient très-imparfaites, cependant elles contiennent toujours quelque chose d'indicatif; et ceux à qui on les confie ont une si grande habitude à les rapporter aux personnes désignées, que s'il leur arrive quelquefois de trouver de la ressemblance entre un signalement et une autre personne que celle qui est signalée, il ne leur arrive jamais de rencontrer celle-ci et de s'y méprendre. Avec un signalement un peu détaillé, ils prennent de temps en temps celui qu'il ne faut pas prendre, mais ils ne manquent jamais celui à qui l'on en veut, s'il se présente à eux,

(ANONYME.)

SILENCE.

C'EST l'opposé du bruit. Tout ce qui frappe l'organe de

l'ouie rompt le silence. On dit le silence des temples est auguste, le silence de la nuit est doux, le silence des forêts inspire une espèce d'horreur, le silence de la nature est grand et imposant, le silence des cloîtres est trompeur.

Une passion forte est ordinairement silencieuse; les hommes silencieux profitent de tout ce qui se dit, et ils sont redoutables pour ceux qui cachent au fond de leur ame des choses qu'ils seroient bien fâchés que l'on devinât.

Dans l'art oratoire, le silence fait le beau, le noble, le pathétique dans les pensées, parce qu'il est une image de la grandeur d'ame; par exemple, le silence d'Ajax aux enfers, dans l'Odyssée, lorsque Ulysse fait de basses soumissions à ce prince qui ne daigne pas y répondre. Ce silence a je ne sais quoi de plus grand que tout ce qu'Ajax auroit pu dire. C'est ce que Virgile a fort bien imité dans łe sixième livre de l'Enéide, où Didon aux enfers traite Enée de la même manière qu'Ajax avoit fait Ulysse. Aussi insensible, aussi froide qu'un rocher de Faros, elle s'éloigna sans lui répondre, et d'un air irrité s'enfonça dans le bois.

Il est une seconde sorte de silence qui a beaucoup de grandeur et de sublimité de sentiment en certains cas. Il consiste à ne pas daigner parler sur un sujet dont on ne pourroit rien dire sans risquer, ou de montrer quelque apparence de bassesse d'ame, ou de faire voir une élévation capable d'irriter les autres. Le premier Scipion l'Africain, obligé de comparoître devant le peuple assemblé, pour se purger du crime de péculat dont les tribuns l'accusoient: «Romains, dit-il, à pareil jour je vainquis >> Annibal et soumis Carthage; allons en rendre graces >> aux dieux». En même temps il marche vers le Capitole, et tout le peuple le suit. Scipion avoit le cœur trop grand pour répondre à une pareille accusation; et il faut avouer que rien n'est plus héroïque que le procédé d'un homme qui, fier de sa vertu, dédaigne de se justifier et ne veut point d'autre juge que sa conscience.

Dans la tragédie de Nicomède, ce prince, par les artifices d'Arsinoé sa belle-mère, est soupçonné de tremper dans une conspiration; Prusias son père, qui ne le souhaite pas coupable, le presse de se justifier et lui dit :

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L'ame de Nicomède se peint dans sa réponse vraiment sublime:

Moi, seigneur, m'en purger! Vous ne le croyez pas.

Je ne sais ce qu'on doit le plus admirer dans la réponse de Nicomède, ou de ce qu'il ne veut pas seulement se justifier, ou de ce qu'il est si sûr et si fier de son innocence, qu'il ne croit pas que son accusateur puisse en douter.

Un ambassadeur d'Abdère, après avoir long-temps harangué Agis, roi de Sparte, pour des demandes injustes, finit son discours en lui disant : Seigneur, quelle réponse rapporterai-je de votre part? Que je t'ai laissé dire tout ce que tu as voulu et tant que tu as voulu, sans te répondre un mot. Voilà un taire-parlier bien intelligible, dit Montagne.

Mais je vais offrir un exemple de silence qui est bien digne de notre respect. Un père de l'église nous donne une idée de la constance de Jésus-Christ, par un fort beau trait de réponse. Pour l'entendre, il faut se rappeler une circonstance de la vie d'Epictète. Un jour, comme son maître lui donnoit de grands coups sur une jambe, Epictète lui dit froidement : Si vous continuez, vous casserez cette jambe; son maître, irrité fraid, par ce sang lui cassa la jambe : Ne vous l'avois-je pas bien dit que vous casseriez cette jambe? Un philosophe opposoit cette histoire aux chrétiens, en disant: Votre Jésus-Christ a-t-il rien fait d'aussi beau à sa mort? Qui, dit saint Justin, il s'est tu.

(M. de JAUCOURT.)

SIMILITUDE.

C'EST une figure familière aux poètes et convenable à leur style, parce qu'elle est propre à fournir des images. Aussi Homère, Virgile, Voltaire et tous les grands poètes épiques ou lyriques, en sont-ils pleins. Voltaire dit, en parlant des seize :

Nés dans l'obscurité, nourris dans la bassesse,
Leur haine pour les rois leur tient lieu de noblesse;
Et jusque sous le dais par le peuple portés,
Mayenne en frémissant les voit à ses côtés;
Des jeux de la discorde ordinaires caprices,

Qui souvent rend égaux ceux qu'elle rend complices.
Ainsi, lorsque les vents, fougueux tyrans des eaux,
De la Seine ou du Rhône ont soulevé les flots,
Le limon croupissant dans leurs grottes profondes
S'élève en bouillonnant sur la face des ondes.
Ainsi, dans les fureurs de ces embrâsemens,
Qui changent les cités en de funestes champs,
Le fer, l'airain, le plomb, que les feux amolissent,
Se mêlent dans la flamme à l'air qu'ils obscurcissent.

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(Henr. ch. IV.)

Ces deux similitudes consécutives présentent deux images pleines d'énergie et de vérité, qui peignent d'une manière admirable l'insolence et les crimes des scélérats révoltés contre leur souverain.

Sabine, dans les Horaces de P. Corneille, s'exprime ainsi :

Fortune, quelques maux que ta rigueur m'envoie,
J'ai trouvé les moyens d'en tirer de la joie,

Et puis voir aujourd'hui le combat sans terreur,

Les morts sans désespoir, les vainqueurs sans horreur.
Flatteuse illusion, erreur douce et grossière,
Vain effort de mon ame, impuissante lumière,
De qui le faux brillant prend droit de m'éblouir;
Que tu sais peu durer, et tôt t'évanouir!

Pareille à ces éclairs qui, dans le fort des ombres,
Poussent un jour qui fuit et rend les nuits plus sombres,
Tu n'as frappé mes yeux d'un moment de clarté
Que pour les abîmer dans plus d'obscurité.

Rien

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