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sonnables, fondées sur ce qui convient aux perfections de cet être souverain. On ne peut s'imaginer, sans lui faire outrage, qu'il se prête à nos desirs toutes les fois qu'il nous prendra envie de contracter avec lui, et de gêner inutilement notre liberté : ce seroit supposer qu'il retire quelqu'avantage de ces engagemens volontaires qui doivent être toujours des devoirs indispensables.

Le docteur Cumberland prétend qu'on se forme une nouvelle obligation après le serment dans les engagemenś qu'on prend; mais cette nouvelle obligation n'empêche pas que la validité du serment n'ait une liaison nécessaire avec la validité de l'engagement pour la confirmation duquel on le prête. La première et la principale raison pourquoi celui qui manque à la parole donnée avec serment mérite d'être puni, c'est parce qu'il a violé ses engagemens ; le parjure le rend seulement plus coupable et digne d'une plus rigoureuse punition. Quoiqu'il péche alors, et contre cette loi naturelle qui ordonne de tenir ce que l'on a promis, et contre celle qui défend d'invoquer le nom de Dieu témérairement, cela ne change point la nature des obligations qui naissent de là, en tant que jointes ensemble de telle manière que la violation de ce qui se rapporte à Dieu suppose ici nécessairement une infraction de ce qui regarde les hommes auxquels on s'engage en prenant Dieu à témoin. On ne le prend à témoin que pour confirmer l'engagement où l'on entre avec ceux à qui l'on jure; et si l'on a lieu de croire qu'il veut bien se rendre garant de l'engagement et vengeur de son infraction, c'est uniquement parce que l'engagement n'a rien en lui-même qui le rende ou illicite ou invalide.

Four faire un vau en général, il faut être en âge de raison parfaite, c'est-à-dire en pleine puberté, être libre et avoir la disposition de ce que l'on veut vouer. Ainsi une femme ne peut vouer sans le consentement de son mari, ni une fille sans celui de ses père et mère; un religieux ne peut s'engager à des jeûnes extraordinaires sans la permission de son supérieur.

Il est libre de ne pas faire de voux; mais, quand on en a fait, on doit les tenir. Cependant, si le vou a été fait

légérement, ou que différentes circonstances en rendent l'accomplissement trop difficile, on en obtient une dispense de l'évêque ou du pape, selon la nature des vœux.

Le vœu solemnel de religion dispense de plein droit de tous les autres voeux qu'on auroit pu faire avant que d'entrer dans le monastère; ce qui a lieu même par rapport à ceux qui s'étoient engagés d'entrer dans un ordre plus austère que celui dans lequel ils ont fait profession.

(M. de JAUCOURT.)

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DISCOURS chrétien prononcé en chaire dans une église

pour instruire et édifier les fidèles.

L'usage d'assembler les hommes dans les temples pour leur prêcher, par l'organe d'un ministre des autels, ce qu'ils doivent croire et pratiquer, est une institution particulière aux chrétiens, et qui a pris son origine dans les premiers jours de l'établissement du christianisme. Les anciens philosophes, à compter depuis Socrate et Platon, dissertoient sur la morale naturelle dans leurs écoles et dans leurs ouvrages, sans autre autorité que celle de la raison; mais la loi de l'Evangile ayant ajouté à cette morale un degré de perfection qui tient à la croyance, et qui fait partie de ses mystères, puisque le mystère de la grace en est la source, il falloit une mission divine pour prêcher des vertus surnaturelles. On en a fait une des principales fonctions du sacerdoce, qui remonte à JésusChrist et aux apôtres; et l'objet de ces prédications étant toujours une vie à venir, on n'a pas cru pouvoir les répéter trop souvent devant des hommes occupés de la vie présente.

Il est vrai que cette répétition même, si fréquente et si multipliée de toute part, a dû malheureusement affoiblir un peu l'effet de ces discours. Ils avoient sans doute un grand pouvoir sur les premiers fidèles, qui, dans la ferveur d'une religion naissante et persécutée, ne s'assembloient guère que pour se préparer à l'héroïsme du martyr, ou s'encourager à l'héroïsme persévérant, et peut-être plus difficile, d'une vie entièrement détachée du monde. Mais quand le relâchement et la corruption s'introduisirent parmi les pasteurs aussi bien que dans le troupeau, la parole évangélique dut perdre sa première force, qui étoit celle de l'exemple. Les auditeurs, au fond de leur conscience, confrontèrent le prédicateur avec ses maxiquoique ces mêmes maximes les avertissent assez de ne pas se rassurer par l'exemple. Alors ce qui étoit un besoin et un secours dans les dangers de l'église opprimée, devint une sorte d'habitude dans ses prospérités.

mes,

Mais

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Mais aussi c'est au grand talent qu'il est donné de réveiller la froideur et de vaincre l'indifférence; et, lorsque l'exemple s'y joint (heureusement encore tous nos prédicateurs illustres ont eu cet avantage), il est certain que le ministère de la parole n'a nulle part plus de puissance et de dignité que dans la chaire. Par-tout ailleurs, c'est un homme qui parle à des hommes; ici, c'est un être d'une autre espèce élevé entre le ciel et la terre, c'est un médiateur que Dieu place entre la créature et lui. Indépendant des considérations du siècle, il annonce les oracles de l'éternité. Le lieu même d'où il parle, celui où on l'écoute, confond et fait disparoître toutes les grandeurs pour ne laisser sentir que la sienne. Les rois s'humilient comme le peuple devant son tribunal, et n'y viennent que pour être instruits. Tout ce qui l'environne ajoute un nouveau poids à sa parole sa voix retentit dans l'étendue d'une enceinte sacrée et dans le silence d'un recueillement universel; s'il atteste Dieu, Dieu est présent sur les autels; s'il annonce le néant de la vie, la mort est auprès de lui pour lui rendre témoignage, et montre à ceux qui l'écoutent qu'ils sont assis sur des tombeaux.

Ne doutons pas que les objets extérieurs, l'appareil des temples et des cérémonies, n'influent beaucoup sur les hommes, et n'agissent sur eux avant l'orateur, pourvu qu'il n'en détruise pas l'effet. Représentons-nous Massillon dans la chaire, prêt à faire l'oraison funèbre de Louis XIV, jetant d'abord les yeux autour de lui, les fixant quelque temps sur cette pompe lugubre et imposante qui suit les rois jusque dans ces asyles de mort où il n'y a que des cercueils et des cendres, les baissant ensuite un moment avec l'air de la méditation, puis les relevant vers le ciel, et prononçant ces mots d'une voix ferme et grave: Dieu seul est grand, mes frères! Quel exorde renfermé dans une seule parole accompagnée de cette action! combien elle devient sublime par le spectacle qui entoure l'orateur! comme ce seul mot anéantit tout ce qui n'est pas Dieu !

C'est dans les sermons que Massillon est au dessus de tout ce qui l'a précédé et de tout ce qui l'a suivi, par le nombre, la variété et l'excellence de ses productions. Tome X.

S

Un charme d'élocution continuel, une harmonie enchanteresse, un choix de mots qui vont tous au cœur ou qui parlent à l'imagination, un assemblage de force et de douceur, de dignité et de grace, de sévérité et d'onction; une intarissable fécondité de moyens, se fortifiant tous les uns par les autres, une surprenante richesse de développemens, un art de pénétrer dans les plus secrets replis du cœur humain, de manière à l'étonner et à le confondre, d'en détailler les foiblesses les plus communes, de manière à en rajeunir la peinture, de l'effrayer et de le consoler tour-à-tour, de tonner dans les consciences et de les rassurer, de tempérer ce que l'Evangile a d'austère par tout ce que la pratique des vertus a de plus attrayant; l'usage le plus heureux de l'Ecriture et des pères, un pathétique entraînant, et par-dessus tout un caractère de facilité qui fait que tout semble valoir davantage, parce que tout semble avoir peu coûté : c'est à ces traits réunis que tous les juges éclairés ont reconnu dans Massillon un homme du très-petit nombre de ceux que la nature fit éloquens; c'est à ces titres que ceux même qui ne croyoient pas à sa doctrine ont cru du moins à son talent, et qu'il a été appelé le Racine de la chaire et le Cicéron de la France. Lorsqu'étant encore à l'Oratoire il eut prêché son premier Avent à Versailles, devant Louis XIV, qui le nomma depuis à l'évêché de Clermont, ce monarque, dont on a si souvent cité les paroles, parce qu'elles étoient si souvent pleines de sens, lui dit : « Mon » pere, j'ai entendu de grands orateurs dans ma chapelle; » j'en ai été fort content: pour vous, toutes les fois que je >> vous ai entendu, j'ai été très-mécontent de moi-même ». On ne peut ni mieux louer un prédicateur, ni profiter mieux d'un sermon.

Cet Avent et son Carême, qui forment cinq volumes, sont une suite presque continue de chef-d'œuvres. C'est dans son Avent que se trouve le sermon sur la mort du pécheur, et la mort du juste, deux tableaux également parfaits. Je citerai le premier pour donner un exemple de cette vigueur d'expression qu'on est si souvent tenté de disputer à ceux qui ont porté aussi loin que Massillon le mérite de l'élégance.

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