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beauté, vinrent se laver dans ce fleuve; ce qui rendit leurs cheveux blonds.

Mais ce qu'il y a de certain, c'est que les filles de Phrygie, dès qu'elles étoient fiancées, alloient offrir leur virginité au Scamandre. Eschine nous en a fait le récit, en nous racontant l'aventure qui l'obligea de quitter la Phrygie avec Cimon, son compagnon de voyage. Il faut l'entendre lui-même.

« C'est, dit-il, une coutume dans la Troade, qu'à cer»tains jours de l'année, les jeunes filles, prêtes à se ma>> rier, aillent se baigner dans le Scamandre, et qu'elles y >> prononcent ces paroles, qui sont comme consacrées à la » fête: Scamandre, je t'offre ma virginité.

>> Parmi les jeunes personnes qui s'acquittèrent de ce » devoir, lorsque nous vîmes cette cérémonie singulière, » il y en avoit une, nommée Callirhoé, bien faite, et » d'une famille illustre. Nous étions, Cimon et moi, avec » les parens de ces jeunes filles, et nous les regardions de » loin se baigner, autant qu'il nous étoit permis à nous » autres étrangers.

» L'adroit Cimon, désespérément amoureux de Cal» lirhoé, déjà promise à un autre, nous quitte furtive»ment, se cache dans les broussailles sur les bords du >> fleuve, et se couronne de roseaux pour exécuter le » stratagême secret qu'il avoit projeté. Dès que Callirhoé » fut descendue dans le fleuve, et eut prononcé la formule » accoutumée, le faux Scamandre sort du foud des brous»sailles, et s'écrie: Scamandre reçoit ton présent, et te » donne la préférence sur toutes tes compagnes; alors >> faisant un pas pour la mieux voir :

» Je suis, dit-il, le dieu qui commande à cette onde;

» Soyez-en la déesse, et régnez avec moi.

» Peu de fleuves pourroient dans leur grotte profonde

» Partager avec vous un aussi digne emploi.

» Mon crystal est très-pur, mon cœur l'est davantage;
Je couvrirai pour vous de fleurs tout ce rivage.

» Trop heureux si vos pas le daignent honorer,

» Et qu'au fond de mes eaux vous daignez vous mirer.

» A ces mots il s'avance, emmène la jeune fille ravie

» et se retire avec elle dans les roseaux. La tromperie, >> continue Eschine, ne demeura pas long-temps cachée; » car, quelques jours après, comme on célébroit la fête » de Vénus, où les nouvelles mariées assistoient, et où la >> curiosité nous avoit aussi menés, Callirhoé aperçut Ci>>mon qui étoit avec nous; elle ne se doutoit de rien; et, » persuadée que le dieu étoit venu là tout exprès pour lui » faire honneur, elle dit à sa nourrice: Apercevez-vous le » Scamandre à qui j'ai consacré ma virginité? La nour» rice, qui comprend ce qui étoit arrivé, crie, se lamente, >> et toute la fourberie se découvre. Il fallut au plus vite >> nous sauver et nous embarquer. »

Lafontaine a fait de cette histoire un de ses plus jolis contes; je dis de cette histoire, car elle se trouve dans les lettres d'Eschine; c'est la dixième. L'aventure se passa sous ses yeux; il censura vivement son compagnon de voyage de cette action criminelle, et Cimon lui répondit en libertin, que bien d'autres avant lui avoient joué le

même tour.

On a d'abord de la peine à comprendre la simplicité de Callirhoé. Elle étoit d'une illustre famille; elle avoit eu sans doute une éducation convenable à sa naissance. Jamais l'esprit et la science n'avoient paru avec tant d'éclat que dans le siècle de cette aimable fille; cependant les fictions des poètes, canonisées par les prêtres, lui avoient tellement gâté l'esprit, qu'elle croyoit bonnement que les rivières étoient des divinités qui se couronnoient de roseaux, et auxquelles on ne pouvoit refuser la fleur de sa virginité.

Sous l'empire de Tibère, une illustre dame ne fut pas moins simple; elle se persuada qu'elle avoit couché avec Anubis, et s'en vanta comme d'une insigne faveur. Mais comment Callirhoé auroit-elle pu se désabuser de la divinité du fleuve Scamandre, puisque ce fleuve avoit un prêtre que les Troyens honoroient comme un dieu ?

(M. de JAVCOURT.)

UN

SCÉLÉRA T.

N SCÉLÉRAT est un homme qui est né malfaisant, et qui s'est rendu coupable de quelques grands crimes. On dit: Le scélérat! c'est le plus scelé at des hommes. Qui croiroit que, dans une société bien policée, il pût y avoir des scélérats impunis? cela est pourtant. On ôte la vie à celui qui, pressé par la misère, brise votre coffre fort, et en emporte un écu pour acheter du pain, et on laisse vivre l'homme noir qui prend l'innocence par les cheveux, et qui la traîne; on est attaqué dans les choses qui touchent à l'honneur et à la considération publique, dans des biens infiniment plus précieux que la fortune et la vie ; et cette scélératesse, la plus vile de toutes, se commet impunément, et reste sans châtiment. Cet homme qui affiche tant de probité, je le connois; ses amis qu'il a trahis le connoissent comme moi : croyez-moi, ce n'est au dedans qu'un scéterat: combien il a de semblables! On a dit que Tacite apprenoit â être scélérat. Il faut avoir du penchant à imiter Tibère pour penser ainsi; ce n'est là l'effet que la lecture de cet historien produira sur les ames bien faites. On appelle scélératesse toute action noire, atroce et perfide.

pas

Scélérat et scélératesse se disent aussi quelquefois, par plaisanterie, de choses d'assez peu d'importance. On vous a donné un rendez-vous auquel on ne se trouvera point; méfiez-vous de cette coquine-là, c'est une scélérate.

(ANONYME.)

CORNEILLE, dans l'examen de sa tragédie d'Horace,

pour justifier le coup d'épée que ce Romain donne à sa sœur Camille, examine cette question, s'il est permis d'ensanglanter la scène; et il décide pour l'affirmative, fondé 1° sur ce qu'Aristote a dit que, pour émouvoir puissamment, il falloit faire voir de grands déplaisirs, des blessures, et même des morts; 2° sur ce qu'Horace n'exclut de la vue des spectateurs que les événemens trop dénaturés, tels que te festin d'Atrée, le massacre que Médée fait de ses propres enfans; encore oppose-t-il un exemple au précepte d'Horace; et il prouve celui d'Aristote par Sophocle, dans une tragédie duquel Ajax se tue devant les spectateurs. Cependant le précepte d'Horace n'en paroît pas moins fondé dans la nature et dans les mœurs. 1o Dans la nature car enfin, quoique la tragédie se propose d'exciter la terreur ou la pitié, elle ne tend point à ce but par des spectacles barbares et qui choquent l'humanité. Or les morts violentes, les meurtres, les assassinats, le carnage, inspirent trop d'horreur, et ce n'est pas l'horreur, mais la terreur qu'il faut exciter. 2o Les mœurs n'y sont pas moins choquées. En effet, quoi de plus propre à endurcir le cœur que l'image trop vive des cruautés? quoi de plus contraire aux bienséances que des actions dont l'idée seule est effrayante? Les maîtres de l'art ont dit :

Ce qu'on ne doit point voir, qu'un récit nous l'expose:

Les

yeux en le voyant saisiroient mieux la chose; Mais il est des objets que l'art judicieux

Doit offrir à l'oreille et reculer des yeux.

ART POÉT.

Les Grecs et les Romains, quelque polis qu'on veuille les supposer, avoient encore quelque férocité: chez eux le suicide passoit pour grandeur 'd'ame; chez nous il n'est qu'une frénésie, une fureur: les yeux qui se repaissoient au cirque des combats de gladiateurs, et ceux même des femmes qui prenoient plaisir à voir couler le sang humain,

pouvoient bien en soutenir l'image au théâtre. Les nôtres en seroient blessés: ainsi ce qui pouvoit plaire relativement à leurs mœurs étant tout-à-fait hors des nôtres, c'est une témérité que d'ensanglanter la scène. L'usage en est encore fréquent chez les Anglais, et Shakespéar sur-tout est plein de ces situations. En vain M. Gresset a voulu lesțimiter dans sa tragédié d'Edouard; le goût de Paris ne s'est pas trouvé conforme au goût de Londres. Il est vrai que toutes sortes de morts, même violentes, ne doivent point être bannies du théâtre; Phèdre et Inès empoisonnées y viennent expirer; Jason, dans la Médée de Longepierre, et Orosmane, dans Zaïre, s'arrachent la vie de leur propre main; mais, outre que ce mouvement est extrêmement vif et rapide, on emporte ces personnages, on les dérobe promptement aux yeux des spectateurs, qui n'en sont point blessés comme ils le seroient s'il leur falloit soutenir quelque temps la vue d'un homme qu'on suppose massacré et nageant dans son sang. L'exemple de nos voisins, quand il n'est fondé que sur leur façon de penser, qui dépend du tempérament et du climat, ne devient point une loi pour nous qui vivons sous un autre horison, et dont les mœurs sont plus conformes à l'humanité.

(ANONYME.)

SCIENCE;

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