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C'est une chose admirable combien cet établissement excite à Salency l'émulation des mœurs et de la sagesse. Tous les habitans de ce village, composé de 148 feux sont doux, honnêtes, sobres, laborieux. Ils sont environ cinq cents: ils n'ont point de charrue; chacun bèche sa portion de terre, et tout le monde y vit satisfait de son sort. On assure qu'il n'y a pas un seul exemple, non seulement d'un crime commis à Salency par un naturel du lieu, mais même d'un vice grossier, encore moins d'une foiblesse de la part du sexe. Quel bien produit un seul établissement sage! Eh! que ne feroit-on pas des hommes, en attachant de l'honneur et de la gloire au mérite et à la vertu ?

Nous devons ajouter que M. Pelletier de Morfontaine, intendant de Soissons, s'étant prêté avec plaisir, en l'absence du seigneur, à être le parrain de Marie Cané, qui a été la Rosière en 1766, a eu la générosité de la doter de quarante écus de rente pour se marier, et y a ajouté une somme pour les frais des noces et pour l'acquisition d'une maison. Après la mort de Marie Cané, qui, toute sa vie, touchera les quarante écus par an, cette rente sera réversible aux filles rosières, qui en jouiront chacune pendant leur année.

M. Fyot de la Marche, comte de Neuilly, en Bourgogne, a fondé, dans cette terre, en 1768, un semblable établissement du prix d'une médaille d'argent, donnée, chaque année, au garçon, jugé par les pères de famille le plus sage et le plus laborieux du village.

Un jeune homme, estimé dans le pays, eut le malheur de se noyer dans l'Ouche, en 1769, en conduisant un chariot de foin, quelque temps avant la distribution de la médaille. Celui qui l'obtint, jugeant le défunt plus digne de la recevoir, l'attacha à un rameau, orné de rubans, qu'il alla placer sur la tombe de son ami, au grand étonnement des assistans, en disant : « Je te la rends, mon cher ami, >> tu la méritois mieux que moi. >>

Cette fondation, aussi honorable au seigneur qu'utile à ses justiciables, a déjà produit des fruits et une espèce de révolution dans les mœurs. Sur la médaille, très-bien frappée, on lit, au milieu, d'un côté : A la vertu. Au dessus,

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est une couronne étoilée, accompagnée de deux palmes; de l'autre côté : Au travail. Au dessus, une couronne d'épis, et, à côté, deux cornes d'abondance. Sur l'exergue : Dieu aide les bons.

Ces etablissemens si respectables ont fourni à M. de Sauvigny le sujet d'un roman fort agréable; à M. Favart, le plan de la Rosière, qui a été jouée à Fontainebleau en 1768; et à M. le marquis de J...., la Nouvelle Rosière, en quatre actes, en vers, mêlée d'ariettes, représentée à Paris en 1774, dont la musique est de M. Grétry.

( M. l'abbé de COURTE-ÉPÉE.)

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SANTÉ.

LA SANTÉ est l'état le plus parfait de la vie; l'on peut

par conséquent le définir l'accord naturel, la disposition convenable des parties du corps vivant : d'où s'ensuit que l'exercice de toutes ses fonctions se fait ou peut se faire d'une manière durable, avec la facilité, la liberté, et dans toute l'étendue dont est susceptible chacun de ses organes, selon sa destination et relativement à la situation actuelle aux différens besoins, à l'âge, au sexe, au tempérament de l'individu qui est dans cette disposition, et au climat dans lequel il vit.

Il résulte de cette idée circonstanciée de la sonte que quiconque est dans cet état jouit par conséquent de la vie, mais que l'on peut vivre sans être en santé ; ainsi l'idée de ce dernier état en particulier est plus étendue, renferme plus de conditions que celui de la vie en général.

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En effet, 1° il suffit, pour l'existence de la vie, que le corps animé soit susceptible d'un petit nombre de fonctions, mais sur-tout que le mouvement du cœur et de la respiration se fasse sans une interruption considérable; au lieu que l'état de sante suppose absolument l'exercice ou l'intégrité des facultés pour toutes les fonctions; 2° il ne faut, pour que la vie se soutienne par l'exercice des fonctions indispensables pour cet état, que la continuation de cet exercice, quelqu'imparfaitement qu'il puisse se faire, et même seulement par rapport au mouvement du cœur quelque peu que ce puisse être, sans celui de la respiration; au lieu que, pour une santé bien établie, non seulement il faut que toutes les fonctions vitales s'exercent, et que l'exercice des autres se fasse ou puisse se faire constamment, respectivement à l'utilité dont elles sont dans l'économie animale, mais encore que l'exercice s'en fasse de la manière la plus parfaite dont l'individu soit susceptible de sa nature.

Il s'ensuit donc que, quoique la santé exige l'exercice de toutes les fonctions, il suffit que celles d'où dépend la vie se soutiennent incessamment et dans toute la perfection

possible;

possible; il n'est pas nécessaire que les autres se fassent continuellement ni toutes à la fois, il suffit qu'elles puissent se faire convenablement à chaque organe, lorsque la disposition, les besoins de la machine animale, ou la volonté l'exigent, et que cette faculté soit commune à tous les organes sans exception, parce que la perfection est le complément de toutes les conditions.

Ainsi, parmi les actions du corps humain, il en est qui ont lieu nécessairement dans tous les temps de la vie, pour qu'elle se conserve; tel est l'exercice des principaux organes de la circulation du sang, même dans le fœtus; de ceux de la respiration après la naissance : l'action des premiers doit se répéter chaque seconde d'heure environ; celle des autres doit avoir heu plusieurs fois dans une minute : il est des organes qui ne sont en action que pendant un certain temps, dans l'espace d'un jour naturel, comme ceux de la digestion, des mouvemens des membres, de l'exercice de l'esprit ; en sorte que le sommeil succède à la veille, comme le temps au travail, la nuit au jour ; d'autres organes ont des fonctions réglées pour tous les mois, comme ceux qui servent à l'évacuation périodique des femmes ; il est des fonctions qui sont particulières à chacun des sexes, comme aux hommes d'engendrer, aux femmes de concevoir, et ces fonctions ne peuvent avoir lieu qu'à un certain âge, et n'ont qu'un exercice limité; elles regardent les adultes, non pas les enfans, ni communément les vieillards, sur-tout par rapport aux femmes.

Ainsi on ne peut pas regarder comme en santé quiconque ne peut pas exercer les fonctions convenables à son sexe, à son âge, et à la circonstance; tels sont les eunuques, les mutilés en tout genre, de même que c'est aussi contraire à l'idée de la santé d'exercer des fonctions qui ne conviennent pas, qui sont déplacées, comme si une femme âgée est encore sujette à l'évacuation menstruale, ou le redevient, ou si quelqu'un est porté au sommeil extraordina rement hors le temps qui lui est destiné; par conséquent la même fonction qui, étant exercée convenablement, est un effet de la bonne santé, devient un signe, un symptôme de maladie, lorsqu'elle se fait à contre-temps.

Tome X.

N

La perfection de la santé ne suppose donc pas une mêmė manière d'être dans les différens individus qui en jouissent; l'exercice des fonctions dans chaque sujet a quelque chose de commun à la vérité pour chaque action en particulier, mais il est susceptible aussi de bien des différences, non seulement par rapport à l'âge, au sexe, au tempérament, comme on vient de le dire, mais encore par rapport aux sujets de même âge, de même sexe, de même tempérament, selon les différentes situations, les différentes circonstances où ils se trouvent; ainsi chacun a sa manière de manger, de digérer, quoique chacun ait les mêmes organes pour ces fonctions.

La sante ne consiste donc pas dans un point précis de perfection, commune à tous les sujets, dans l'exercice de toutes leurs fonctions; mais elle admet une sorte de latitude d'extension qui renferme un nombre très-considérable et indéterininé de combinaisons qui établissent bien des variétés dans la manière d'être en bonne santé, comprises entre l'état robuste de l'athlète le plus éloigné de celui de maladie, et l'état qui approche le plus de la disposition où la santé cesse par la lésion de quelque fonction.

Il suit de là qu'il n'existe point d'état de santé qui puisse convenir à tout le monde; chacun a sa manière de se bien porter, parce que cet état dépend d'une certaine proportion dans les solides et les fluides, dans leur action et leurs mouvemens, qui est propre à chaque individu. Comme on ne peut pas trouver deux visages parfaitement semblables, dit à ce sujet Boerhave, de même il y a toujours des différences entre le cœur, le poumon d'un homme, et le cœur, le poumon d'un autre homme.

Que l'on se représente deux personnes en parfaite santé ; si l'on essaie de faire passer les humeurs, c'est-à-dire la masse du sang de l'un de ces sujets, dans le corps de l'autre, et réciproquement, même sans leur faire éprouver aucune altération, comme par le moyen de la transfusion, si fameuse dans le dix-septième siècle, ils seront sur-lechamp tous les deux malades, dès que chacun d'eux sera dans le cas d'avoir dans ses vaisseaux du fluide qui leur est étranger; mais si l'on pouvoit tout de suite rendre à

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