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DE L'INSTRUCTION.

CHAPITRE I.er

Du Principe et de la Division méthodique des Connoissances de l'Esprit humain.

Si l'on vouloit remonter jusqu'à l'origine des connoissances humaines, il faudroit se reporter jusqu'à l'époque de la civilisation des hommes, percer la nuit des temps pour arriver à la formation des langues, traverser ensuite un long intervalle pour passer de la langue parlée à la langue écrite; car toutes les idées principales, tous les sentimens et tous les souvenirs ont été confiés et transmis pendant long-temps à des traditions orales, avant d'être fixés par des signes convenus qui ont été le premier langage écrit des différens peuples. Une fois découvert et se perfectionnant de jour en jour, cet antique monument du génie de l'homme, cet art prodigieux de peindre la pensée et de parler aux yeux est devenu le dépôt de l'histoire, de la religion, de la morale, et de toutes les connois

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sances qu'il étoit essentiel à chaque nation de conserver et de transmettre. Depuis l'invention de l'écriture jusqu'à la découverte de l'imprimerie, que de siècles se sont écoulés ! et c'est dans cet espace de temps que l'esprit humain a produit ses principaux chefs-d'œuvre, en littérature sur-tout. L'impossibilité de se procurer des manuscrits rendoit peutêtre l'instruction aussi difficile qu'elle est devenue embarrassante dans la suite par l'énorme quantité de livres imprimés, à la lecture desquels l'étude la plus infatigable ne sauroit suffire. L'abondance en ce genre a peut-être produit un plus grand mal que la disette. L'homme pensoit plus en lisant moins, etles écoles grecques et latines avoient des chefs académiques dont les talens valoient mieux que nos bibliothèques. La multiplication des livres a produit un autre inconvćnient; c'est celui de faire des connoissances humaines, si variées et si nombreuses, un amas confus et sans ordre, et de les présenter à celui qui cherche à s'instruire, comme un labyrinthe dans lequel il court le risque de s'égarer long-temps, s'il manque d'un guide pour l'y conduire.

Ce guide est la méthode, aussi nécessaire pour mettre de l'ordre dans les études, qu'elle est indispensable au naturaliste pour classer les différentes productions de la nature. Bacon est le premier qui ait cu l'idée de cette

méthode si nécessaire pour le classement des connoissances humaines; et peut-être l'avoitil puisée dans les caractères que la nature a imprimés à ses propres ouvrages, qui semblent avoir quelque analogie avec l'ordre qui sert à classer les productions de l'esprit.-Il est impossible, en effet, de considérer avec attention la cristallisation des minéraux, toujours uniformes dans leur configuration élémen taire, l'organisation des plantes depuis leurs racines jusqu'à leurs feuilles et à leurs fleurs, l'exactitude des proportions dans la contexture animale depuis la force jusqu'à la finesse et à la grâce, sans y trouver, pour ainsi dire, les premiers élémens de la géométrie, les principes d'une ordonnance raisonnée, et le type original des beaux-arts. La division mé thodique des trois facultés de l'entendement humain rappelle la division de toute l'histoire naturelle en trois branches principales: c'est ensuite par le moyen des subdivisions et du classement des genres, des espèces et des familles, que le naturaliste parvient à tracer le grand et vaste tableau de la nature avec une précision et une clarté qui donnent autant de facilité qu'elles ajoutent d'intérêt à son étude. Le même art devoit obtenir un résultat semblable dans le développement des connoissances humaines. Il a posé des limites à ce qui sembloit immense; et, en établissant des anneaux dans une chaîne continue, il a

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formé des points d'appui dont on a pu se servir pour s'élever jusqu'au sommet de la science tel est le fruit de la méthode. Il est inutile de répéter ici tout ce qu'on a dit sur son utilité; mais il est important de remettre sous les yeux de celui qui veut s'instruire, le titre primitif sur lequel est fondée toute instruction, et de lui faire voir que la méthode qu'il doit suivre pour atteindre son but, s'appuie sur l'ordre même de toutes les connoissances humaines. Avant de voir comment on est parvenu à tracer la filiation méthodique de ces connoissances, il faut donc en chercher le principe et nous fixer à l'opinion qui, par l'examen des différentes opérations de l'entendement humain, les réunit et les rattache toutes à une seule et même cause.

Il est dans l'homme un principe de vie morale et intellectuelle, une puissance très-active qui le met à une très-grande distance de la brute, à laquelle un instinct sans raison tient lieu d'intelligence.

Cette puissance est notre ame, toujours une, indivisible, immatérielle, indestructible; sous quelque dénomination qu'on veuille la faire connoître, c'est toujours elle qu'on désigne. Toutes ses opérations sont elle-même, et toutes ses facultés ne sont que des modifications de son être : ainsi nous avons beau diviser pour nous rendre compte de ce qui

se passe en nous ; l'esprit, le cœur, la volonté, la mémoire, la réflexion, le jugement, l'imagination, l'amour, la haine, toutes les affections, tous les desirs, toutes les aversions ne sont jamais que notre ame qui pense, qui veut, qui se souvient, qui réfléchit, qui imagine, qui hait ou qui aime. Cette unité dans la source n'empêche pas qu'on établisse des différences entre les facultés de l'ame dont les opérations ne se ressemblent pas : il en est d'elles alors comme des productions de la nature, qui ont des caractères différens, quoiqu'elles proviennent d'une même cause. Cette division n'est donc réelle que dans l'effet, et ne sert qu'à mettre de l'ordre dans les productions de l'esprit, comme la méthode ou les systèmes ne servent qu'à mettre de l'ordre dans les productions de la nature. Celle-ci ne fait que des individus ; c'est le botaniste qui fait des classes et des familles : il fait même des lois ; mais, quand elles seroient arbitraires, elles lui servent du moins à se diriger et à se reconnoître.

Sans doute notre ame est une ; mais elle est sans cesse modifiée, et la nuit et le jour, par une activité qui lui est propre, comme les feuilles d'un arbre que le zéphyr ou la tempête agite continuellement. Quel est donc le ressort qui agit si constamment et si impérieusement sur elle pour lui donner tourà-tour, et quelquefois simultanément, tant

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