Prenait soin d'amener son marchand à bon port. Bref, il plut dans son escarcelle. On ne parlait chez lui que par doubles ducats; Un sien ami, voyant ces somptueux repas, Lui dit Et d'où vient donc un si bon ordinaire? : Et d'où me viendrait-il que de mon savoir-faire? Je n'en dois rien qu'à moi, qu'à mes soins, qu'au talent De risquer à propos, et bien placer l'argent. Un vaisseau mal frété périt au premier vent ; Un troisième au port arrivant, Et lui-même ayant fait grand fracas, chère lie', - Lui dit: D'où vient cela ? De la Fortune, hélas ! Je ne sais s'il crut ce conseil; 'Chère succulente et joyeuse. Cette expression de chère lie est fami lière à nos vieux conteurs. Voyez Rabelais, Pantagruel, IV, 44. Mais je sais que chacun impute, en cas pareil, Et si de quelque échec notre faute est suivie, Chose n'est ici plus commune. Le bien, nous le faisons; le mal, c'est la Fortune : XV. Les Devineresses. C'est souvent du hasard que naît l'opinion, Sur gens de tous états : tout est prévention, Une femme, à Paris, faisait la pythonisse : Pour se faire annoncer ce que l'on désirait. Quelques termes de l'art, beaucoup de hardiesse, Pour devineresse. On trouve dans Marot le mot devineur: il est de la langue; mais devineuse est de l'invention de notre poëte. 2 Expression proverbiale, pour dire presque entièrement, presque complétement, de même que l'or à vingt-trois carats, qui est presque entièrement pur. Elle passait pour un oracle. L'oracle était logé dedans un galetas : Là, cette femme emplit sa bourse, Et, sans avoir d'autre ressource, Gagne de quoi donner un rang à son mari; D'une nouvelle hôtesse, à qui toute la ville, L'autre femelle avait achalandé ce lieu. Cette dernière femme eut beau faire, eut beau dire, Mettre à part force bons ducats, Et gagner malgré soi plus que deux avocats. On s'en serait moqué : la vogue était passée L'enseigne fait la chalandise 2. J'ai vu dans le palais une robe mal mise Gagner gros : les gens l'avaient prise Force écoutants. Demandez-moi pourquoi. 1 Pour devineresse. On dit devin; mais devine ne se dit pas plus que devineuse, si ce n'est parmi le peuple, dont notre poëte emprunte ici le langage pour ajouter à l'illusion. Remarquons qu'il met ce mot dans la bouche d'une femme qui ne sait pas même lire. 2 Habitude d'acheter chez un marchand. XVI. Le Chat, la Belette, et le petit Lapin. Du palais d'un jeune lapin Dame belette, un beau matin, Le maître étant absent, ce lui fut chose aisée. Qu'il était allé faire à l'aurore sa cour Après qu'il cut brouté, trotté, fait tous ses tours, Que l'on déloge sans trompette, Ou je vais avertir tous les rats du pays. C'était un beau sujet du guerre, Qu'un logis où lui-même il n'entrait qu'en rampant! A Jean, fils ou neveu de Pierre ou de Guillaume, Jean lapin allégua la coutume et l'usage. Ce sont, dit-il, leurs lois qui m'ont de ce logis Rapportons-nous, dit-elle, à Raminagrobis'. 'Nom comique tiré de Rabelais. « Nous avons ici, près la Villaumere, C'était un chat, vivant comme un dévot ermite, Un chat faisant la chattemite, Un saint homme de chat, bien fourré, gros et gras, Les voilà tous deux arrivés Devant sa majesté fourrée. Grippeminaud 2 leur dit : Mes enfants, approchez, Grippeminaud, le bon apôtre, Jetant des deux côtés la griffe en même temps, Ceci ressemble fort aux débats qu'ont parfois << un vieux poëte; c'est Raminagrobis, lequel en seconde nopce epousa « la grande gourre dont naquit la belle Basoche. » Pantagruet, liv. III, ch. XXI. Ce nom pourrait bien être plus ancien que Rabelais. Dans Bidpai il y a un chat qui se nomme Roumi. Kalila and Dimna, or the Fables of Bidpaï, translated from the arabic; by W. Knatchbull, 1819, in-8°, p. 275. Voyez ci-après, liv IX, fable XIV; et dans Rabelais, L. vi, ancien prologue, tom. II. 2 Autre nom burlesque emprunté de Rabelais. Pantagruel, liv. V, ch. 11, intitulé: « Comment nous passames le guischet habité par Grippeminaud, archiduc des chats fourrez. » VAR. Se rapportant. Cette leçon est celle de toutes les éditions modernes ; la nôtre est celle de toutes les éditions originales. Si elle forme aujourd'hui une faute grammaticale, il n'en était pas de même du temps de notre poëte; Molière, Boileau, et Racine, offrent de fréquents exemples de la déclinaison de ce participe. Ce ne fut que vers 1680 que l'Académie se détermina à ne plus le décliner. oyez Raynouard, Journal des savants, mars 1824, p. 149. XVII. La Tête et la Queue du Serpent Le serpent a deux parties Du genre humain ennemies, |