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Miraut recommence : Grison, sans perdre un coup de dent, fait encore la sourde oreille. Enfin pressé par les importunités du chien, il lui dit: "Je te conseille d'attendre; notre maître ne tardera pas à s'éveiller, et il ne manquera pas de te donner ton dîner." Sur ces entrefaites un loup affamé sort d'un bois voisin. "Cher ami, défends-moi," dit grison. "Camarade,” repliqua miraut, "je te conseille d'attendre que notre maître soit réveillé, il ne tardera pas;" là-dessus le chien s'enfuit, et le loup étrangla le baudet.

Il faut s'aider les uns les autres, quand on le peut, sans faire tort à personne.

FABLE VIII.

Le Chêne et le Roseau.

Le chêne dit un jour à un roseau, "J'ai pitié de votre faiblesse. Vous êtes sans cesse exposé aux plus grands dangers. Un oiseau est pour vous un poids énorme, et le moindre zéphir vous courbe jusqu'à terre. En vérité, vous avez bien sujet de vous plaindre de la nature. Encore, si vous naissiez près de moi, vous seriez à l'abri des vents, et je vous protégerais contre l'orage. Mais vous croissez le plus souvent le long des marais, où le vent a le plus de violence." "Votre compassion vient d'un bon naturel," répondit le roseau; "mais ne soyez pas inquiet sur mon sort. Les vents ne me sont pas aussi redoutables qu'à vous. Je plie, mais ne romps pas. Vous avez jusqu'ici résisté à leurs efforts. Mais attendons jusqu'au bout." Comme il finissait ces mots, un ouragan terrible s'éleva. Le chêne résiste, le roseau plie. Le vent souffle avec plus de rage, et finit par déraciner l'arbre superbe.

Les conditions les plus élevées sont exposées aux plus grands revers.

ANECDOTE I.

Frédéric II., Roi de Prusse.

Ce grand roi, étant un jour très affairé dans son appartement, sonna à plusieurs reprises, et personne ne vint. Il ouvrit sa porte, et trouva son page endormi dans un fauteuil. Il avança vers lui, et allait le réveiller, lorsqu'il aperçut un bout de billet qui sortait de sa poche. Il fut curieux de savoir ce que c'était ; il le prit, et le lut. C'était une lettre de la mère du jeune homme, qui le remerciait de ce qu'il lui envoyait une partie de ses gages, pour la soulager dans sa misère. Elle finissait par lui dire que Dieu le bénirait, pour cette bonne conduite. Le roi, après avoir lu, rentra doucement dans sa chambre, prit une bourse de ducats, et la glissa avec la lettre dans la poche du page. Rentré dans sa chambre, il sonna si fort, que le page se réveilla, et entra. Tu as bien dormi!" lui dit le roi. Le page voulut s'excuser. Dans son embarras, il mit par hasard la main dans sa poche, et sentit avec étonnement la bourse. Il la tire, pâlit, et regarde le roi, en versant un torrent de larmes, sans pouvoir prononcer une seule parole. "Qu'estce ?" dit le roi, "Qu'as-tu ?” Ah, Sire," dit le jeune homme, en se précipitant à genoux, on veut me perdre; je ne sais ce que c'est que cet argent, que je trouve dans ma poche." "Mon ami," dit Frédéric," Dieu nous envoie souvent le bien en dormant; envoie cela à ta mère, salue-la de ma part, et assure-la que j'aurai soin d'elle et de toi."

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Ce grand monarque n'est pas moins connu par sa popularité que par ses exploits. Les paysans surtout avaient un accès facile auprès de lui, et pouvaient lui présenter leurs mémoires, ou lui exposer leurs affaires. On demandait à chaque paysan, qui entrait à Postdam,

s'il venait pour parler au roi; et son nom était écrit sur le rapport. Si quelque paysan, qui avait déclaré vouloir lui parler, ne paraissait pas, il faisait aussitôt monter à cheval un hussard, pour aller s'informer jusqu'à sept ou huit lieux de distance, pourquoi il ne s'était pas présenté, et s'il avait été retenu par la timidité, ou par quelque autre motif de cette nature. Le hussard avait ordre de l'encourager à revenir. Le prince étant à Sans-Souci, aborda un négociant Hollandais, et lui demanda s'il voulait voir le jardin. "Je le verrais avec plaisir," dit le négociant, "mais on m'a dit que le roi y était.' "Ne vous inquiétez pas," reprit Frédéric," je vous conduirai." Après avoir vu le jardin, le négociant voulut donner un pourboire à son conducteur, qu'il croyait être un des jardiniers. "Point du tout," lui dit le roi toujours inconnu, “il nous est défendu de rien recevoir; si le roi l'apprenait nous serions punis.' Le Hollandais fit quelques pas, et l'on peut juger de son étonnement, lorsqu'il eut appris, du véritable jardinier, que celui à qui il venait de parler était le roi lui-même.

La générosité et la modération de ce monarque ne se démentirent jamais. Faisant bâtir Sans-Souci, il avait besoin d'un petit champ appartenant à un moulin, dont le voisinage était d'ailleurs peu favorable aux méditations d'un roi philosophe. Il fit offrir au meunier beaucoup au-delà de ce que sa propriété valait. Celui-ci refusa constamment de céder sa propriété. Le prince le fit venir, lui promit, outre un entier dédommagement, un moulin beaucoup plus grand: "Mon grand-père," répondit l'opiniatre vieillard, "a bâti ce moulin; je l'ai hérité de mon père, et mes enfants l'hériteront un jour de moi." Mais, lui dit le roi, qui voulait éprouver la fermeté de son adversaire, "Savez-vous que je pourrais avoir votre moulin, sans vous dédommager ?" "Oui," répondit le meunier," s'il

n'y avait pas une chambre de justice à Berlin!" Le roi le renvoya en riant, et n'en parla jamais depuis ; même le moulin tombant en ruines, quelques années après, il eut la générosité de le faire rebâtir à ses dépens.

ANECDOTE II.

Le Bouffon et le Paysan.

Un homme extrêmement riche, voulant donner des fêtes au peuple Romain, promit une récompense à tous ceux qui auraient quelque chose de curieux à montrer, ou qui pourraient en quelque sorte contribuer au divertissement du public. Un bouffon se présenta, monta sur le théâtre, et après avoir salué la compagnie, et fait quelques tours divertissans, il se mit à contrefaire le cri d'un petit cochon; ce qu'il fit si bien, que tout le monde crut qu'il en avait un de caché sous son manteau, et qu'on le lui fit ouvrir, pour voir s'il n'y avait rien. Toute l'assemblée, très satisfaite, battait des mains, criait," Bis, bis," et le comblait d'applaudissemens, disant qu'il était impossible de mieux imiter le cochon que lui; lorsque un paysan cria du milieu de la foule, que si on voulait lui permettre de monter sur le théâtre le lendemain, il se vantait de contrefaire le cochon beaucoup mieux. Le seigneur lui promit une bonne somme d'argent, s'il le faisait, et ordonna au bouffon de revenir.

Le lendemain, quand tout le monde fut assemblé, nos deux hommes montèrent sur le théâtre. Le bouffon commença le premier à faire le cochon, et tout le monde applaudit à tout rompre, et poussa des cris de joie. Le paysan, ayant ordre de le faire à son tour, tira l'oreille à un petit cochon, qu'il avait sous son manteau, et qui remplit toute l'assemblée de ses cris. Aussitôt le peuple le siffla, cria qu'il ne faisait pas le cochon aussi bien que l'autre, qu'il n'en approchait

Alors le

pas du tout, et ne voulut plus l'entendre. paysan tira le cochon qu'il avait sous son manteau, et le montra à l'assemblée, en disant: "Tenez, messieurs, voyez quels beaux juges vous êtes; ce n'est pas moi, c'est le cochon lui-même que vous sifflez."

ANECDOTE III.

Singulière Histoire de Revenans.

Un gentilhomme avait été envoyé par le roi en Allemagne, pour des affaires d'importance; il revenait en poste avec quatre domestiques, lorsque la nuit le surprit dans un méchant hameau, où il n'y avait pas un seul cabaret. Il demanda à un paysan, s'il n'y avait pas moyen de loger dans le château. Le paysan lui répondit: "Il est abandonné, monsieur; il n'y a qu' un fermier, dont la petite maison est hors du château, où il n'oserait entrer que le jour, parce que la nuit il y revient des esprits, qui battent les gens." Le gentilhomme, qui n'était pas peureux, dit au paysan: "Je n'ai pas peur des esprits, je suis plus méchant qu'eux; et pour te le prouver, je veux que mes domestiques restent dans le village; je coucherai tout seul dans le château." Ce n'était pourtant pas son intention de se coucher; il avait toute sa vie entendu parler de revenans; et il avait une grande curiosité d'en voir. Il fit allumer un bon feu, prit des pipes et du tabac, avec deux bouteilles de vin, et mit sur la table quatre pistolets chargés. Sur le minuit, il entendit un grand bruit de chaines, et vit un homme beaucoup plus grand qu'à l'ordinaire, qui lui faisait signe de venir à lui. Notre homme mit deux de ses pistolets à sa ceinture, et un dans sa poche; il prit le dernier de la main droite, et tenait la chandelle de l'autre main. Dans cet équipage il suivit le phantôme, qui descendit l'escalier, traversa la cour, et entra dans une allée : mais, lorsque le gentilhomme fut arrivé au bout de l'allée, tout-à-coup

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