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Zopire.

Achève, éclaircis-moi, parle, quel est leur sort?
Mahomet.

Je tiens entre mes mains et leur vie et leur mort,
Tu n'as qu'à dire un mot, et je t'en fais l'arbitre.

Zopire.

Moi, je puis les sauver! à quel prix? à quel titre ?
Faut-il donner mon sang? faut-il porter leurs fers?
Mahomet.

Non, mais il faut m'aider à tromper l'univers;
Il faut rendre la Mecque, abandonner ton temple,
De la crédulité donner à tous l'exemple,
Annoncer l'Alcoran aux peuples effrayés,

Me servir en prophète, et tomber à mes pieds :
Je te rendrai ton fils, et je serai ton gendre.
Zopire.

Mahomet, je suis père, et je porte un cœur tendre.
Après quinze ans d'ennuis, retrouver mes enfants,
Les revoir, et mourir dans leurs embrassements,
C'est le premier des biens pour mon ame attendrie:
Mais s'il faut à ton culte asservir ma patrie,
Ou de ma propre main les immoler tous deux,
Connais-moi, Mahomet, mon choix n'est pas
Adieu.

Mahomet. (seul.)

Fier citoyen, vieillard inexorable,

Je serai plus que toi cruel, impitoyable.

LETTERS.

douteux.

Lettre de Madame de Sévigné à M. de Coulanges.

Je m'en vais vous mander la chose la plus étonnante, la plus surprenante, la plus merveilleuse, la plus miraculeuse, la plus triomphante, la plus étourdissante, la plus inouie, la plus singulière, la plus extraordinaire, la plus incroyable, la plus imprévue, la plus grande,

la plus petite, la plus rare, la plus commune, la plus éclatante, la plus secrète jusqu'aujourd'hui, la plus digne d'envie; enfin une chose dont on ne trouve qu'un exemple dans les siècles passés, encore cet exemple n'est-il pas juste: une chose que nous ne saurions croire à Paris, comment la pourrait-on croire à Lyon ? une chose qui fait crier miséricorde à tout le monde : une chose qui comble de joie madame de Rohan et madame de Hauteville; une chose enfin qui se fera dimanche, et qui ne sera peut-être pas faite lundi. Je ne puis me résoudre à vous la dire, devinez-la : je vous la donne en trois.

Hé bien! il faut donc vous la dire: M. de Lauzun épouse dimanche, au Louvre, devinez qui? Je vous le donne en quatre, je vous le donne en dix, je vous le donne en cent. Madame de Coulanges dit: "Voilà qui est bien difficile à deviner! c'est madame de la Vallière."-Point du tout, madame." C'est donc mademoiselle de Retz?"—Point du tout: vous êtes bien provinciale!—“Ah, vraiment, nous sommes bien bêtes! dites-vous.: c'est mademoiselle Colbert."-Encore moins." C'est assurément mademoiselle de Créqui."-Vous n'y êtes pas.-Il faut donc à la fin vous le dire. Il épouse dimanche, au Louvre, avec la permission du roi, mademoiselle de.........mademoiselle .........devinez le nom; il épouse Mademoiselle, fille de feu Monsieur; Mademoiselle, petite-fille de Henri IV.; mademoiselle d'Eu, de Dombes, mademoiselle de Montpensier, mademoiselle d'Orléans; Mademoiselle cousine germaine du roi; Mademoiselle, destinée au trône; Mademoiselle, le seul parti de France qui fåt digne de Monsieur.

I

Voilà un beau sujet de discourir. Si vous criez, si vous êtes hors de vous-même; si vous dites que nous avons menti, que cela est faux, qu'on se moque de

(1.) On donnait le titre de Monsieur au frère puiné, et celui de Dauphin au fils ainé des rois de France.

vous, que voilà une belle raillerie, que cela est bien fade à imaginer; si enfin vous nous dites des injures, nous trouverons que vous avez raison; nous en avons fait autant que vous; adieu. Les lettres qui seront portées par cet ordinaire vous feront voir si nous disons vrai ou non.

Lettre de Madame de Maintenon, à son frère.

On n'est malheureux que par sa faute: ce sera toujours mon texte et ma réponse à vos lamentations. Songez, mon cher frère, au voyage d'Amérique, aux malheurs de notre père, aux malheurs de notre enfance, à ceux de notre jeunesse, et vous bénirez la Providence au lieu de murmurer contre la fortune. Il y a dix ans que nous étions bien éloignés l'un et l'autre du point où nous sommes aujourd'hui ! nos espérances étaient si peu de chose, que nous bornions nos vœux à trois mille livres de rente: nous en avons à présent quatre fois plus, et nos souhaits ne seraient pas encore remplis! Nous jouissons de cette heureuse médioerité que vous vantiez si fort; soyons contents. Si les biens nous viennent, recevons-les de la main de Dieu; mais n'ayons pas des vues trop vastes. Nous avons le nécessaire et le commode; tout le reste n'est que cupidité. Tous ces désirs de grandeur partent du vide d'un cœur inquiet. Toutes vos dettes sont payées; vous pouvez vivre délicieusement sans en faire de nouvelles que désirez-vous? faut-il que des projets de richesse et d'ambition vous coûtent la perte de votre repos et de votre santé ? Lisez la vie de saint Louis; vous verrez combien les grandeurs de ce monde sont au-dessous des désirs du cœur de l'homme : il n'y a que Dieu qui puisse le rassasier. Je vous le répète, vous n'êtes malheureux que par votre faute. Vos inquiétudes détruisent votre santé, que vous devriez conserver quand ce ne serait que parce que je vous aime. Travaillez sur votre humeur; si vous pouvez la rendre

moins bilieuse et moins sombre, ce sera un grand point de gagné. Ce n'est point l'ouvrage des réflexions seules, il y faut de l'exercice, de la dissipation, une vie unie et réglée. Vous ne penserez pas bien tant que vous vous porterez mal: dès que le corps est dans l'abattement, l'âme est sans vigueur. Adieu; écrivezmoi, et sur un ton moins lugubre.

Lettre de Voltaire à M. Desforges-Maillard.

De longues et cruelles maladies, dont je suis depuis long-temps accablé, monsieur, m'ont privé jusqu'à présent du plaisir de vous remercier des vers que vous me fîtes l'honneur de m'envoyer au mois d'avril dernier. Les louanges que vous me donnez m'ont inspiré de la jalousie, et en même temps de l'estime et de l'amitié pour l'auteur. Je souhaite, monsieur, que vous veniez à Paris perfectionner l'heureux talent que la nature vous a donné. Je vous aimerais mieux avocat à Paris qu'à Rennes; il faut de grands théâtres pour de grands talents, et la capitale est le séjour des gens de lettres. S'il m'était permis, monsieur, d'oser joindre quelques conseils aux remerciements que je vous dois, je prendrais la liberté de vous prier de regarder la poésie comme un amusement qui ne doit pas vous dérober à des occupations plus utiles. Vous paraissez avoir un esprit aussi capable du solide que de l'agréable; soyez sûr que si vous n'occupiez votre jeunesse que de l'étude des poétes, vous vous en repentiriez dans un âge plus avancé. Si vous avez une fortune digne de votre mérite, je vous conseille d'en jouir dans quelque place honorable; et alors la poésie, l'éloquence, l'histoire, et la philosophie feront vos délassements. Si votre fortune est au-dessous de ce que vous méritez, et de ce que je vous souhaite, songez à la rendre meilleure; primò vivere, deindè philosophari. Vous serez surpris qu'un poëte vous écrive de ce style; mais je n'estime la poésie qu'autant qu'elle

est l'ornement de la raison. Je crois que vous la regardez avec les mêmes yeux. Au reste, monsieur, si je suis jamais à portée de vous rendre quelque service dans ce pays-ci, je vous prie de ne me point épargner; vous me trouverez toujours disposé à vous donner toutes les marques de l'estime et de la reconnaissance avec lesquelles je suis, etc.

Lettre du même à l'Impératrice de Russie.

MADAME, Je suis positivement en disgrâce à votre cour. V. M. impériale m'a planté là pour Diderot ou pour Grimm, ou pour quelque autre favori. Vous n'avez eu aucun égard pour ma vieillesse: passe encore si V. M. était une coquette Française; mais comment une impératrice victorieuse et législatrice peut-elle être si volage?

...Voilà qui est fait, je n'aimerai plus d'impératrice de ma vie.

.......................Je me cherche des crimes pour justifier votre indifférence. Je vois bien qu'il n'y a point de passion qui ne finesse. Cette idée me ferait mourir de dépit, si je n'étais tout près de mourir de vieillesse.

Que V. M., madame, daigne donc recevoir cette lettre comme ma dernière volonté, comme mon testament.

Signé votre adorateur, votre délaissé, votre vieux russe de Ferney.

Réponse de sa Majesté l'Impératrice de Russie à

Voltaire.

MONSIEUR, Quoique très-plaisamment vous prétendiez être en disgrâce à ma cour, je vous déclare que vous ne l'êtes point. Je ne vous ai planté là ni pour Diderot, ni pour Grimm, ni pour tel autre favori. Je vous révère tout comme par le passé ; et quoiqu'on vous dise de moi, je ne suis ni volage ni inconstante.

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