Page images
PDF
EPUB

Le Comte. (faisant la grimace.) Non, cela vient de me prendre tout à l'heure. Depuis quinze jours je suis comme cela souvent. Tenez, mangez ce petit morceau-là. (Il fait la grimace.)

Le Chev. Et peut-on savoir d'où cela vient?

Le Comte. (faisant la grimace.) Je vous le dirai, si vous voulez. Il y a environ un mois que je fus mordu par un petit chien. (Il fait la grimace.)

Le Chev. (avec inquiétude.) Par un chien?

Le Comte. Oui, par un petit chien noir. (Il fait la grimace.) Mangez donc.

Le Chev. Je n'ai plus faim.

Le Comte. (faisant la grimace.) Quand je fais ce mouvement-là, je crois toujours le voir, ce chien, comme s'il allait se jeter sur moi. (Il fait la grimace.) Mais ce n'est rien.

(Le chevalier se lève; prend son assiette, en regardant attentivement le comte.)

Le Comte. (faisant la grimace.) Où allez-vous?
Le Chev. (s'en allant.) Je m'en vais revenir.
Le Comte. Mais restez donc.

Scène VIII.

Le Comte, mangeant.

Si je n'avais pas pris ce parti-là, je me serais couché sans souper. (Il mange le reste du gigot.) Ils se disputent là-bas. Dépêchons-nous. (Il boit.) Il n'est pas mauvais ce petit gigot-là. Quel train! Madame Thomas? Madame Thomas ?

Scène IX.

Le Comte, Mad. Thomas.

Mad. Thom. (sans paraître.) Monsieur, laissez-moi faire, je m'en vais lui parler.

Le Comte. Hé bien, venez donc.

Mad. Thom. (à la porte, tenant la clef.) Comment, monsieur...

Le Comte. Qu'est-ce que vous avez donc ? Entrez,

entrez.

Mad. Thom. (a la porte.) C'est monsieur le chevalier, qui dit que c'est fort mal fait à moi12 de le faire souper avec un enragé.

Le Comte. Il le croit réellement ?

Mad. Thom. (à la porte.) Comment s'il le croit! Oui, monsieur, il le croit; et c'est fort mal fait à vous de venir, comme cela, décrier mon auberge.

Le Comte. Mais je ne suis pas enragé.

Mad. Thom. (à la porte.) Pourquoi donc est-ce qu'il le dit ?

Le Comte. Approchez, approchez. Est-ce que les enragés boivent et mangent?

Mad. Thom. (approchant.) Ah, c'est vrai; il est donc fou.

De Comte. Apparemment.

Mad. Thom. Je ne comprends pas cela.

Le Comte. Faites-le venir.

Mad. Thom. (criant.) Monsieur le chevalier, venez,

venez.

Le Comte. (criant.) Allons, chevalier, arrivez.

Scène X.

Le Comte, Le Chevalier, Mad. Thomas.

Mad. Thom. Entrez donc, monsieur le comte n'est pas enragé.

Le Chev. Vous n'êtes pas enragé ?

Le Comte. Je vous dis que non.

Le Chev. (avançant.) J'ai cru que vous alliez le devenir.

Le Comte. C'est un conte que je vous ai fait. Mad. Thom. Quand je vous l'ai dit, vous n'avez pas voulu m'en croire.

Le Comte. Je m'en vais boire à votre santé. (Il boit.)

Mad. Thom. Vous savez bien que les enragés ne boivent ni ne mangent.

Le Chev. Mais, mon général, pourquoi faisiez-vous donc toutes ces grimaces ?

Le Comte. Pour vous empêcher de manger autant, et pour que je pusse avoir ma part au gigot. Mais nous faisons la même route, et demain je vous promets de vous bien donner à dîner.

Le Chev. Ma foi, j'en ai été la dupe tout-à-fait. Le Comte. (se levant.) Voulez-vous que nous allions voir nos chevaux ?

Le Chev. Je ne demande pas mieux.

Mad Thom. Pendant ce temps-là, je m'en vais desservir tout cela, et faire préparer vos lits. (Elle emporte le plat et les assiettes.)

Le Comte. Vous ferez bien, madame Thomas. Allons, venez, chevalier. (Ils sortent.)

(1.) Rebattre un matelas, (le refaire, et battre avec des baguettes la laine qu'il contient,) to beat a mattress, to beat the wool and make up the mattress again.

(2.) Ecuyer de cuisine, head-cook.

(3.) Noix de veau, (petite glande qui se trouve dans une épaule de veau, proche la jointure des deux os,) knuckle.

(4.) Outarde, a wild turkey.

(6.) "Go about your business."

(5.) "Stewed pigeons."

(7.) Couvert, (appareil de table; la nappe avec les serviettes, couteaux, cuillières, etc., etc., dont on couvre la table,) table cloth and covers.

(8.) "In the mean time."

(9.) "Wedding feasts and banquets."

(10.) "Send him up."

(11.) "How do we get on."

(12.)

"I have done very wrong."

Scènes de l'Avocat Patelin.1

Comédie de Brueys.

[La Scène est dans un village près de Paris.]
M. Patelin, seul.

Cela est résolu: il faut aujourd'hui même, quoique je n'aie pas le sou, que je me donne un habit neuf... Qui est-ce qui, à me voir ainsi habillé, me prendrait pour un avocat? Ne dirait-on pas plutôt que je fusse un magister de ce bourg? Depuis quinze jours que j'ai quitté le village où je demeurais, pour venir m'établir en ce lieu-ci, croyant y faire mieux mes affaires...elles vont de mal en pis. J'ai de ce côté-là pour voisin, mon compère le juge du lieu...pas un pauvre petit procès. De cet autre côté un riche marchand drapier...pas de quoi m'acheter un méchant habit!...ah! pauvre Patelin, pauvre Patelin! comment feras-tu pour contenter ta femme qui veut absolument que tu maries ta fille! Qui voudra d'elle, en te voyant ainsi déguenillé ? Il faut bien, par force, avoir recours à l'industrie...Oui, tâchons adroitement à nous procurer, à crédit, un bon habit de drap, dans la boutique de M. Guillaume notre voisin. Si je puis une fois me donner l'extérieur d'un homme riche, tel qui refuse ma fille...

[Scène Suivante.]

M. Patelin, M. Guillaume.

M. P. (à part.) Bon! le voilà seul: approchons. M. G. (à part, feuilletant son livre.) Compte du troupeau...six cents bêtes...

M. P. (d part, lorgnant le drap.) Voilà une pièce de drap qui ferait bien mon affaire-(d M. Guillaume.) Serviteur, monsieur.

M. G. (sans le regarder.) Est-ce le sergent que j'ai envoyé quérir? qu'il attende.

T

M. P. Non, monsieur, je suis...

M. G. (l'interrompant en le regardant.) Une robe ...Le procureur donc ?...Serviteur.

M. P. Non, monsieur, j'ai l'honneur d'être avocat. M. G. Je n'ai pas besoin d'avocat: je suis votre serviteur.

M. P. Mon nom, monsieur, ne vous est sans doute pas inconnu. Je suis Patelin, l'avocat.

M. G. Je ne vous connais point, monsieur.

M. P. (à part.) Il faute se faire connaître. (à M. G.) J'ai trouvé, monsieur, dans les mémoires de feu mon père, une dette qui n'a pas été payée, et...

M. G. Ce ne sont pas mes affaires ; je ne dois rien. M. P. Non, monsieur: c'est au contraire feu mon père qui devait au vôtre trois cents écus, et comme je suis homme d'honneur je viens vous payer.

M. G. Me payer? Attendez, monsieur, s'il vous plaît...je me remets un peu votre nom. Oui, je connais depuis long-temps votre famille. Vous demeuriez au village ici près; nous nous sommes connus autrefois. Je vous demande excuse; je suis votre trèshumble et très-obéissant serviteur. (lui offrant sa chaise.) Asseyez-vous là, s'il vous plaît, asseyezvous là.

M. P. Monsieur !

M. G. Monsieur !

M. P. (s'asseyant.) Si tous ceux qui me doivent étaient aussi exacts que moi à payer leurs dettes, je serais beaucoup plus riche que je ne suis; mais je ne sais point retenir le bien d'autrui.

M. G. C'est pourtant ce qu'aujourd'hui beaucoup de gens savent fort bien faire.

M. P. Je tiens que la première qualité d'un honnête homme est de bien payer ses dettes, et je viens savoir quand vous serez en commodité de recevoir vos

trois cents écus.

M. G. Tout à l'heure.

« PreviousContinue »