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D. Juan. Et le petit Colin, fait-il toujours bien du bruit avec son tambour?

M. Dim. Toujours de même, monsieur. Je...

D. Juan. Et votre petit chien Brusquet, gronde-t-il toujours aussi fort, et mord-il toujours bien aux jambes les gens qui vont chez vous ?

M. Dim. Plus que jamais, monsieur.

D. Juan. Ne vous étonnez pas si je m'informe des nouvelles de toute la famille, car j'y prends beaucoup d'intérêt.

M. Dim. Nous vous sommes infiniment obligés. Je...

D. Juan. (lui tendant la main.) Touchez donc là, M. Dimanche. Etes-vous bien de mes amis ?

M. Dim. Monsieur, je suis votre serviteur.

D. Juan. Parbleu, je suis à vous de tout mon cœur. M. Dim. Vous m'honorez trop. Je...

D. Juan. Il n'y a rien que je ne fisse pour vous. M.Dim. Monsieur, vous avez trop de bonté pour moi. D. Juan. Et c'est sans intérêt, je vous prie de le croire.

M. Dim. Je n'ai point mérité cette grâce, assurément. Mais, monsieur...

D. Juan. Oh ça! M. Dimanche, sans façon, voulez-vous souper avec moi ?

M. Dim. Non, monsieur, il faut que je m'en retourne tout-à-l'heure. Je...

D. Juan. (se levant.) Allons! vite un flambeau pour conduire monsieur Dimanche, et que quatre ou cinq de mes gens prennent des mousquetons pour l'escorter.

M. Dim. (se levant aussi.) Monsieur, il n'est pas nécessaire, et je m'en irai bien tout seul.

Mais...

(Sganarelle ôte vite les siéges.) D. Juan. Comment! Je veux qu'on vous escorte, je m'intéresse trop à votre personne; je suis votre serviteur, et de plus, votre débiteur.

M. Dim. Ah! Monsieur...

D. Juan. C'est une chose que je ne cache pas, et je le dis à tout le monde.

M. Dim. Si...

D. Juan. Voulez-vous que je vous reconduise? M. Dim. Ah! monsieur, vous vous moquez. Monsieur...

D. Juan. Embrassez-moi, donc, s'il vous plaît. Je vous prie encore une fois, d'être persuadé que je suis tout à vous, et qu'il n'y a rien au monde que je ne fisse pour votre service. (Don Juan sort.)

Sgan. (à M. Dimanche.) Il faut avouer que vous avez en monsieur un homme qui vous aime bien.

M. Dim. Il est vrai; il me fait tant de civilités et tant de compliments que je ne saurais jamais lui demander de l'argent.

Sgan. Je vous assure que toute sa maison périrait pour vous, et je voudrais qu'il vous arrivât quelque chose, que quelqu'un s'avisât de vous donner des coups de bâton, et vous verriez de quelle manière !...

M. Dim. Je le crois; mais, Sganarelle, je vous prie de lui dire un petit mot de mon argent.

Sgan. Oh! ne vous mettez pas en peine,' il vous paiera le mieux du monde.

M. Dim. Mais vous, Sganarelle, vous me devez quelque chose en votre particulier.R

Sgan. Fi! ne parlez pas de cela.

M. Dim. Comment! je...

Sgan. Ne sais-je pas bien que je vous dois
M. Dim. Oui, mais...

Sgan. Allons, M. Dimanche, je vais vous éclairer.
M. Dim. Mais mon argent...

Sgan. (prenant M. Dimanche par le bras.) Fi! vous dis-je, ne parlez pas de cela.

(1.) De quoi s'avisait-il? etc., how could he take it into his head to come to us for money? And why did you not tell him that master was not at home?

(2.) De se faire céler, to deny one's self.

(3.) "I am extremely displeased with my servants for not having let you in at first."

(4.)" I had given orders that nobody should be admitted." (5.) Si je m'informe des nouvelles, if I inquire about. (6.) Donner des coups de bâton, to cudgel.

(7.) Ne vous mettez pas en peine, don't trouble yourself. (8.) "You owe me something on your own account."

Scène des Fourberies de Scapin.

Comédie de Molière.

Scapin, valet de Léandre, s'est engagé à tirer six cents écus de Géronte, père de Léandre.

Scapin, Géronte.

Scap. (faisant semblant de ne pas voir Géronte.) O ciel! O disgrâce imprévue! O misérable père ! Pauvre Géronte, que feras-tu?

Gér. (à part.) Que dit-il là de moi, avec ce visage affligé ?

Scap. N'y a-t-il personne qui puisse me dire où est le seigneur Géronte?

Gér. Qu'y a-t-il, Scapin ?

Scap. Où pourrai-je le rencontrer pour lui dire cette infortune?

Gér. Qu'est-ce que c'est donc ?

Scap. En vain je cours de tous côtés pour le pou

voir trouver.

Gér. Me voici.

Scap. Il faut qu'il soit caché dans quelque endroit qu'on ne puisse point deviner.

?

Gér. Holà! Es-tu aveugle, que tu ne me vois pas Scap. Ah! monsieur, il n'y a pas moyen de vous

rencontrer.

Gér. Il y a une heure que je suis devant toi. Qu'est-ce que c'est donc qu'il y a?

Scap. Monsieur...
Gér. Quoi ?

Scap. Monsieur votre fils

Gér. Hé bien ? mon fils...

Scap. Est tombé dans une disgrâce la plus étrange du monde.

Gér. Et quelle ?

Scap. Je l'ai trouvé tantôt1 tout triste de je ne sais quoi que vous lui avez dit, où vous m'avez mêlé assez mal à propos; et cherchant à divertir cette tristesse, nous nous sommes allés promener sur le port. Là, entr'autres plusieurs choses, nous avons arrêté nos yeux sur une galère turque assez bien équipée. Un jeune Turc de bonne mine nous a invités à aller à bord, et nous a présenté la main. Nous y avons passé. Il nous a fait mille civilités, nous a donné la collation, où nous avons mangé des fruits excellents, et bu du vin le meilleur qui se puisse boire.

Gér. Qu'y a-t-il de si affligeant à tout cela?

Scap. Attendez, monsieur, nous y voici.3 Pendant que nous mangions, il a fait mettre la galère en mer; et se voyant éloigné du port, il m'a fait mettre dans un esquif, et m'envoie vous dire que, si vous ne lui envoyez par moi tout à l'heure cinq cents écus, il va vous emmener votre fils à Alger.

Gér. Comment! cinq cents écus!

Scap. Oui, monsieur; et de plus, il ne m'a donné pour cela que deux heures.

Gér. Ah! le pendard de Turc! m'assassiner de la façon !

Scap. C'est à vous, monsieur, d'aviser promptement aux moyens de sauver des fers un fils que vous aimez avec tant de tendresse.

Gér. Qu'allait-il faire dans cette galère ?

Scap. Il ne songeait pas à ce qui est arrivé.

Gér. Va-t'en Scapin, va-t'en vite dire à ce Turc que je vais envoyer la justice après lui."

des

Scap. La justice en pleine mer! vous moquez-vous

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Gér. Mais qu'allait-il faire dans cette galère ?

Scap. Une méchante destinée conduit quelquefois les personnes.

Gér. Il faut, Scapin, il faut que tu fasses ici l'action d'un serviteur fidèle.

Scap. Quoi, monsieur ?

Gér. Que tu ailles dire à ce Turc qu'il me renvoie mon fils, et que tu te mettes à sa place, jusqu'à ce que j'aie amassé la somme qu'il demande.

Scap. Hé! monsieur, songez-vous à ce que vous dites? et vous figurez-vous que ce Turc ait si peu de sens que d'aller recevoir un misérable comme moi à la place de votre fils ?

Gér. Mais qu'allait-il faire dans cette galère ? Scap. Il ne devinait pas ce malheur. Songez, monsieur, qu'il ne m'a donné que deux heures. Gér. Tu dis qu'il demande... Scap. Cinq cents écus.

Gér. Cinq cents écus! n'a-t-il point de conscience? Scap. Vraiment oui, de la conscience, un Turc! Gér. Sait-il bien ce que c'est que cinq cents écus?

Scap. Oui, monsieur, il sait que c'est mille cinq cents livres.

Gér. Croit-il, le traître, que mille cinq cents livres se trouvent dans le pas d'un cheval ?

Scap. Ce sont des gens qui n'entendent point de raisons.

Gér. Mais qu'allait-il faire dans cette galère ? Scap. Il est vrai; mais quoi! on ne prévoyait pas les choses. De grâce, monsieur, dépêchez. Gér. Tiens, voilà la clef de mon armoire, Scap. Bon.

Gér. Tu l'ouvriras.
Scap. Fort bien.

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