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quai-je, en l'interrompant; mais fi je ne puis atteindre, qu'au médiocre, adieu la gloire; & fi un Auteur se décrie d'abord par un mauvais ouvrage, dequel front pourra-t-il fe produire une autre fois alors, adieu le profit, adieu la vie, adieu le néceffaire.

Cela ne doit pas vous rebutter, me dit mon Auteur, pour peu que l'on ait de capacité, & que l'on foit d'abord bien .conduit, on fe tire aisemment d'affaire. Si l'on manque de favoir, on a de l'imagination: fi l'imagination ne fournit pas, on imite; après tout, quand on ne réüffiroit pas, en qualité d'Auteur, on trouveroit toujours moïen de fe dédommager, en qualité de Compilateur. Effatez feulement, je m'offre de vous fervir de guide, & de donner mon fuffrage à vos prémiéres productions; car je fuis connu par deux in douze, un in quarto, & un in folio, que j'ai donnés au public.

M'étant enfin laiffé perfuader, je fis provifion de plumes, d'ancre & de papier, & je me mis à écrire l'Hiftoire de ma vie, qui me paroiffoit déjà affés remplie d'avantures, pour intéreffer la curiofité d'un Lecteur, peu

difficile. Je travaillai, environ deux mois, avec une affiduité, qui charma mon Auteur; il fe flattoit d'avoir acquis un homme à la République. des Lettres. Lorfqu'il vit mon ouvrage à la prémiére partie, & qu'il. l'eut revû, il faut me dit-il, le vendre. Le vendre, m'écriai-je? Eh! il n'eft pas fini. N'importe, ajouta-t-il, c'est ainsi qu'il faut en ufer ici. Si vôtre ouvrage étoit achevé, fans avoir été vendu, vous vous trouveriez. à la difcrétion des Libraires : vous feriez même en danger de le garder, ou de vous contenter de ce que l'on voudroit vous en donner. Il femble. qu'il en foit des Libraires comme de ces gens, qui fe mettent avec appetit, à une table fervie trop abondamment la profufion feule des mèts les raffafie: de même, fi vous faites voir un ouvrage achevé à un Libraire il. prend du dégout; fi vous ne lui en prefentez qu'un échantillon, l'appétit. lui vient.

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Comme je ne connoiffons pas encore le caractére des Libraires, je n'eus rien à repliquer. Je pris mon. manufcrit, & je fuivis mon Auteur, chès un de ceux avec qui il étoit en:

plus

plus grande relation. Nous trouvâmes un homme, ou plutôt une figure humaine, qui paroiffoit n'avoir, que le feul mouvement de la langue, encore n'en ufoit-elle que bien rarament. Cette figure étoit debout derriére un grand & haut comptoir furmonté d'un pupitre; elle étoit enveloppée d'une vieille robe de chambre, d'un brocard de foïe, reteint en cramoifi, elle avoit un bonnet gras fur la tête, une plume paffée derriére l'o reille, & étoit appuïée fur un gros livre de comptes. Je lui fis un compliment affés court, qu'elle n'entendit pas, ou qu'elle feignit de ne pas entendre; mais mon Auteur, aïant pris la parole, & fait un éloge de ma perfonne & de mon ouvrage, la figure parut. prendre vie, à la fin. Elle entr'ouvrit la bouche, & lui, dit qu'à fa confidération, elle fe chargeroit de cette copie; mais qu'elle ne pouvoit en donner, que trois florins de la feuille, & que c'étoit tout ce qu'un. nouveau débarqué pouvoit raisonnablement demander.

Je n'eûs pas plûtôt entendu la modicité de la fomme, que je repris. mon papier, & hauffant un peu la

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