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CARACTÈRE MORAL.

Un grand sentiment de bien-être, des idées agréables et brillantes, des affections bienveillantes et douces; mais les habitudes auront peu de fixité; il y aura quelque chose de léger et de mobile dans les affections de l'âme, l'esprit manquera de profondeur et de force 1.

Tout ce que j'avance, c'est qu'on trouvera souvent ces circonstances physiques à côté de ces dispositions morales. Le médecin, qui verra les signes physiques, s'attendra aux effets moraux. Le philosophe, qui trouvera les signes moraux, sera confirmé dans ses observations par l'habitude du corps. Un homme sanguin aura beau jurer une activité infatigable, ce n'est pas à lui, toutes choses égales d'ailleurs, que Frédéric II confiera la défense d'une place importante; il l'appellera, au contraire, s'il veut un aimable courtisan.

On sait que les considérations générales prennent plus de vérité à mesure qu'on les étend sur un plus grand nombre d'individus2. Ainsi, dans la retraite de Moscou, l'armée française eût été sauvée par un génie allemand, un maréchal Daun, un Washington. Je voudrais trouver des noms moins célèbres. Il ne fal

la vie organique; ils vivent, ils ne se décomposent pas; mais, pour eux, point de mouvements, point de reproduction, point de discours.

il

Les mouvements causés par le grand sympathique sont involontaires : y a de la volonté dans tout ce qui vient du cerveau; plusieurs organes recevant à la fois les nerfs de ces deux centres, certains mouvements sont tantôt volontaires et tantôt involontaires.

De là ce vers fameux, l'histoire de notre vie :

Video meliora, proboque; deteriora sequor.

Le grand sympathique, en ce sens très-mal nommé, serait la cause de l'intérêt personnel, et le cerveau, la cause du besoin de sympathie : voilà les deux principes de l'Orient, Omaze et Arimaze, qui se disputent notre vie. (Voir l'ouvrage sublime de M. de Tracy sur la volonté.)

1 Pendant que j'étais à Rome, j'avais noté que, parmi mes connaissances, il n'y avait qu'un sanguin, l'aimable marquis Or***.

2 Probabilités de la Place, in-4°, 1814; Tracy, De la Volonté.

lait pas de génie, il ne fallait qu'un peu de cet esprit d'ordre si commun dans les armées autrichiennes, mais qui doit être si rare chez un peuple sanguin. Un seul mot peindra tout prévoir le danger est un ridicule.

Le peintre qui fera Brutus envoyant ses fils à la mort, ne don. nera pas au père la beauté idéale du sanguin, tandis que ce tempérament fera l'excuse des jeunes gens. S'il croit que le temps qu'il faisait à Rome le jour de l'assassinat de César est une chose indifférente, il est en arrière de son siècle. A Londres, il y a les jours où l'on se pend1.

CHAPITRE XCIV.

DU TEMPERAMENT BILIEUX.

Aggredior opus difficile. Je prie qu'on excuse trente pages d'une sécheresse mathématique. Pour dire les mêmes choses, au détail et à mesure du besoin, il en faudrait cent, et, pour sentir Michel-Ange, il faut passer là.

La bile est une des pièces les plus singulières de la machine humaine 2; formée d'un sang qui s'est dépouillé dans son cours de ses parties lymphatiques, elle est surchargée de matières huileuses. Ce sang rapporte des impressions de vie multipliées de chacun des organes qu'il a parcourus. Attaquée par la chimie, la bile est une substance inflammable, albumineuse, savonneuse. Aux yeux du physiologiste, c'est une humeur très-active, trèsstimulante, agissant comme un levain énergique sur les sucs alimentaires et sur les autres humeurs, imprimant aux solides des mouvements plus vifs et plus forts; elle augmente d'une manière directe leur ton naturel; elle agit directement aussi sur le système nerveux, et par lui sur les causes immédiates de la sensibilité. Presque toujours les effets stimulants de la bile coïncident avec ceux de l'humeur séminale, et ces deux substances si puis.

1 Vent et brouillards au mois d'octobre.

2 Saint Dominique, Jules II, Marius, Charles-Quint, Cromwell, c'est le tempérament des hommes grands par les actions.

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santes sur le bonheur et la sensibilité humaines ont des degrés correspondants d'exaltation.

Supposons un homme chez qui leur énergie soit extrême; supposons qu'il y ait chez cet homme un certain état de roideur et de tension dans tout le système, soit dans les points où s'épanouissent les extrémités nerveuses, soit dans les fibres musculaires. Donnons encore à cet homme une poitrine d'une grande capacité, un poumon et un cœur d'un grand volume : voilà l'image du bilieux parfait.

Cette empreinte est la plus forte qui s'observe dans la nature vivante. Tout se tient dans une machine ainsi organisée. L'activité des agents de la génération accroît celle du foie; l'activité de la bile accroît celle de tous les mouvements, et en particulier la circulation du sang. Les deux humeurs qui règnent sur l'individu augmentent la sensibilité des extrémités nerveuses. Tous les mouvements rencontrent des résistances dans la roideur des parties; mais toutes les résistances sont énergiquement vaincues. Pour achever ce tableau, voyez le caractère âcre et ardent que la bile imprime à la chaleur des mains; voyez des vaisseaux artériels et veineux d'un plus grand calibre, et une masse de sang plus considérable même que dans le tempérament sanguin.

CARACTÈRE MORAL.

Des sensations violentes, des mouvement brusques et impétueux, des impressions aussi rapides et aussi changeantes que chez le sanguin; mais, comme chaque impression a un degré plus considérable de force, elle devient pour le moment plus dominante encore. La flamme qui dévore le bilieux produit des idées et des affections plus absolues, plus exclusives, plus inconstantes.

Elle lui donne un sentiment presque habituel d'inquiétude. Le bien-être facile du sanguin lui est à jamais inconnu ; il ne peut goûter de repos que dans l'excessive activité. Ce n'est que dans les grands mouvements, lorsque le danger ou la difficulté réclament toutes ses forces, lorsqu'à chaque instant il en a la conscience pleine et entière, que cet homme jouit de l'existence. Le bilieux est forcé aux grandes choses par son organisation physique.

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Le cardinal de Richelieu dirigeait bien une négociation, mais n'eût peut-être été qu'un fort mauvais ambassadeur. Il faut un homme sanguin et aimable, rachetant sans cesse par les détails l'odieux du fond, comme lord Chesterfield, ou le duc de Nivernais.

Jules Romain et Michel-Ange n'ont peint que des êtres bilieux. Le Guide, au contraire, s'est élevé à la beauté céleste, en ne présentant presque que des corps sanguins. Par là sa beauté manque de sévérité. Cela est singulier en Italie, où les peintres vivaient au milieu d'un peuple bilieux.

CHAPITRE XCV.

LES TROIS JUGEMENTS.

On va m'accuser de tout donner aux tempéraments. J'en conviens, dans la vie réelle nous avons des indices bien autrement sûrs, bien autrement frappants; mais dans tous ces signes il y a du mouvement. Importants pour la musique et la pantomime, ils sont nuls pour les arts du dessin, qui restent muets et presque immobiles.

Dès la première seconde qu'un esprit vif aperçoit un homme célèbre, un souverain, par exemple, il vérifie l'idée qu'il s'en est formée. Le jugement porté1 vient presque toujours de la connaissance que l'esprit vif a des tempéraments.

Quelques secondes après, le jugement physiognomonique modifie cet aperçu.

2

Au bout de quelques minutes, il est bouleversé à son tour par les jugements qui résultent en foule des mouvements qu'il observe. Raphaël s'occupait sans cesse des nuances qui influent sur les deux premiers jugements.

Le troisième était moins important pour lui, comme les deux premiers pour Cervantes 3.

1 Un peu instinctif, dira-t-on peut-être en 1916.

2 Voir le Traité de la Science des physionomies dans l'École de Venise, tome IV de cet ouvrage.

3 Mais on veit quelquefois dans le second jugement ce que le troisième

Un horloger habile devine l'heure en voyant les rouages d'une pendule. Le peintre doit montrer par les formes de son personnage le caractère que ses organes le forcent à avoir.

Je sais bien encore qu'avec tous les signes d'un tempérament on peut être d'un tempérament contraire; mais cette vérité, trèsimportante pour le médecin et le philosophe, ne signifie rien pour le peintre.

Elle est au delà de ses moyens. Philopomen ne peut pas être condamné à scier du bois.

CHAPITRE XCVI.

LE FLEGMATIQUE.

Le lecteur a-t-il voyagé; je le prie de se rappeler son entrée à Naples et à Rotterdam.

N'a-t-on jamais quitté Paris; de quelque finesse que l'on soit doué, on court grand risque de suivre les pas d'Helvétius, qui n'a d'esprit qu'en copiant d'après nature les routes que prennent les Français pour arriver au bonheur. On peut ouvrir les Voyages 1; mais l'évidence produite par la foule des petites circonstances manque toujours à qui n'a pas vu avec les yeux de la tête, disait un grand homme.

Un Anglais très-calme décrit ainsi son entrée dans Rotterdam :

« Le nombre de ces petits vaisseaux (schuytz) qui parcourent les rues, et leur propreté sont encore moins étonnants que le calme et le silence avec lequel ils traversent la ville. Il est vrai qu'on peut considérer le calme et le silence comme le caractère

ne peut pas donner. Une civilisation très-avancée ne permet pas de dire à un inconnu quelque chose qui décèle ou beaucoup d'esprit, ou beaucoup d'âme; c'est cette circonstance qui a élevé parmi nous la physiognomonie au rang des sciences les plus intéressantes.

1 Pour l'Italie, de Brosses, Misson, Duclos; pour la Hollande, Voyage fait en 1794, trad. par Cantwell, chez Buisson, an V, tom. I, p. 22.

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