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Racine en 1677. Ne pourroit-on pas même conjecturer que l'épître dont nous parlons eft de la même fabrique? Au refte, quel qu'en foit l'auteur, il falloit que la paffion l'aveuglât étrangement pour ne lui pas faire trouver le rôle de Mad. Pernelle un des plus heuteux du théâtre. Écoutons-le parler de Molière & de fes ouvrages.

Molière plaît affez, son génie eft folâtre,

Et, pour en bien parier, c'eft un bouffon plaifant.

Toutes fes piéces font d'agréables fottifes;
Il eft mauvais Poëte & bon Comédien.

Un fi fameux fuccès ne lui fut jamais dû.
Et, s'il a réuffi, c'eft qu'on l'a défendu.

A l'égard de la comédie critique, c'est un froid tiffu de fcènes fans invention, fans fel & fans gaieté. On y fuit fervilement la marche de la piéce critiquée. Il eft difficile fur-tout de concevoir qu'on ait pu revêtir cette pièce d'un privilége, puifqu'on ne nous permettroit pas aujourd'hui de tranfcrire les indécences groffières qui s'y trouvent ; c'eft cependant l'infipide auteur de cette rapfodie qui, dans la scène 10o, ofe juger Molière comme on va le voir. Il ravale la fcène au gré des ignorans,

Son efprit eft fi haut branché dans ce qu'il pense,
Qu'il ne defcend jamais jusqu'à la vraisemblance.

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C'est pour lui de l'Hébreu, que finir un ouvrage, &c.

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Après l'idée qu'on vient de donner de cette critique, de quoi peut-on s'étonner aujourd'hui dans ce genre-là, & quel auteur ofera fe plaindre?

Ce qu'on dit tous les jours, ce qu'on écrit encore fur le dénouement du Tartuffe, eft une tradition confervée de ce miférable drame. L'auteur ne mérite perfonnellement aucune réponse, mais on en doir à fes échos pour en arrêter, s'il fe peut, la fatigante répétition.

Le fondateur des mœurs théâtrales avoit dû fentir que fon faux dévot devoit être puni avec éclat à la fin de fon ouvrage, & les moyens qu'il employa pour parvenir à cet objet font autant le fruit de fon génie que tous les autres refforts de fa fable dramatique.

Si l'ingratitude monftrueufe de Tartuffe s'étoit développée par des voies ordinaires, il eut été impraticable de le punir autrement que par le mépris de ceux qu'il auroit abufé, ou tout au plus, pár la perte des avantages qu'il auroit cherché à fe procurer : dénouement imparfait & commun, qui n'auroit fuffi ni pour le fpectateur indigné, ni pour un génie de la trempe de Molière.

Mais, en fuppofant avec habileté que le bonhomme Orgon eft coupable à la rigueur envers fon Prince d'une forte de crime d'état, par le mystère qu'il fait de quelques papiers appartenans à un de fes amis difgraciés, Molière trouve un moyen natu

rel

rel d'attirer ce Prince même au dénouement des faits, & de conduire Tartuffe à une punition plus exemplaire & conféquemment plus utile.

Orgon a eu l'imbécillité de confier fon fecret au faux dévot qui, par un motif de conscience, s'est fait remettre la caffette des papiers, afin qu'en cas de pourfuite, Orgon put, en pleine fûreté, faire des fermens contre la vérité. Ce monftre va lui-même au pied du trône folliciter la ruine de fon bienfaiteur dès-lors c'eft de la décifion du Prince que dépendent les événemens.

Tartuffe eft déjà connu du Monarque fous un autre nom, comme un fourbe infigne; Orgon, au contraire, a rendu des fervices à fon Maître dans des tems de troubles 2. La clémence du Prince eft donc auffi naturelle que fon intervention étoit néceffaire; tout est donc convenable & vrai dans le dénouement du Tartuffe.

Quelle intéreffante leçon Molière ne donnoitpas aux Rois en les appelant à l'honneur de punir des vices contre lefquels aucune loi pofitive n'a

Ce trait de restriction mentale & plufieurs autres de cette espèce, répandus

dans la pièce, nous appren

nent que

les véritables ennemis de la pièce étoient

d'une fecte redoutable, dont l'ambition, le manége, &. l'intrigue dans les Cours,"

avoient fi fort élevé le crédit, qu'il a plié depuis fous fon propre poids.

2 Voyez la scène 2 de l'acte 1.

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fecondé la haine & le mépris qu'ils infpirent? Tels font l'ingratitude & l'hypocrifie 1.

Il couvroit fon protecteur de gloire en lui fuppofant la fageffe, le courage & la fermeté qu'il faut pour févir contre un homme dont le caractère funefte n'a que trop fouvent un appui difficile à

vaincre.

Il faut en convenir, la donation faite à Tartuffe, & ce qui en eft la fuite, ne valent rien dans la régle étroite. Molière le favoit. Son procédé détruit la vertu du contrat, dit-il, mais c'eft encore à cette occafion que, loin de le blâmer, il faut le louer de l'intervention du Prince qui, pour prix de la délation de Tartuffe pouvoit avoir validé l'acte dont il étoit

porteur.

Dès-lors les alarmes de Mad. Pernelle & de fon fils font fondées, & Molière, en cet endroit, emploie, avec raifon, le fublime de fon art en pouffant les craintes de cette foible mère & d'Orgon auffi loinqu'elles peuvent aller, mais fur-tout en laiffant croire à Tartuffe que l'ordre apporté par l'Exempt dont il eft fuivi eft décerné contre fon bienfaiteur, tandis qu'il en va devenir l'objet pour effrayer fes

Ici on punit trois vices qui font impunis chez les autres peuples, l'ingratitude, la diffimulation, & l'avarice,

dit Mentor dans Télémaque, liv. 5. L'hypocrifie étoit-elle inconnue dans la Créte

femblables, & pour remplir de joie tous ceux qu'avoit fait frémir l'apparence de fon fuccès.

On a donc eu tort de dire jufqu'à préfent que le dénouement du Tartuffe étoit mauvais; on peut en trouver de foibles chez Molière lorfque l'imitation des anciens le jette dans l'efpéce de fables qu'ils avoient adoptées, mais toutes les fois qu'il invente fon fujet, c'eft la vérité, c'est la nature qui le conduifent 1.

Ce qu'on auroit pu remarquer, c'est que ce dénouement est dans quelques endroits moins bien. écrit que le refte de l'ouvrage, où Molière eft fouvent égal & quelquefois fupérieur à Defpréaux même par rapport aux vers. On verra qu'il s'en étoit apperçu puifqu'il avoit permis qu'on y fit, de fon tems, des retranchemens marqués dans l'édition. de 1682.

On a fait, de nos jours, une observation critique fur la fcène 5o du 4o acte. On ne fouffriroit pas aujourd'hui ( dit-on) qu'un mari fe cachât fous une

› M. Riccoboni, p. 124 de fes Obfervations fur la Comédie, dit, à l'égard de ce dénouement, qu'il est le même que celui des piéces Italiennes où Molière avoit pris l'idée de fon caractère. On va voir que les

prétendus originaux qu'on fuppofe imités par notre Auteur, n'étoient, eux-mêmes, que de fades copies du Tartuffe. Ce qu'il y a d'étonnant dans cette affertion, c'eft qu'il eft faux que les dénouemens foient les mêmes.

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