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Vous seul en auriez eu toute la renommée,
N'importe, il vous citait ses lettres de l'armée;
Et, Richelieu présent, il aurait raconté
Ou Gênes défendue, ou Mahon emporté.
D'ailleurs homme de sens, d'esprit et de mérite;
Mais son meilleur ami redoutait sa visite.
L'un, bientôt rebuté d'une vaine clameur,
Gardait en l'écoutant un silence d'humeur.
J'en ai vu, dans le feu d'une dispute aigrie .
Prêts à l'injurier, le quitter de furie;
Et, rejetant la porte à son double battant,
Ouvrir à leur colère un champ libre en sortant.
Ses neveux, qu'à sa suite attachait l'espérance,
Avaient vu dérouter toute leur complaisance.
Un voisin asthmatique, en l'embrassant un soir,
Lui dit : Mon médecin me défend de vous voir.
Et parmi cent vertus cette unique faiblesse
Dans un triste abandon réduisit sa vieillesse.
Au sortir d'un sermon la fièvre le saisit,
Las d'avoir écouté sans avoir contredit;
Et, tout près d'expirer, gardant son caractère,
Il fesait disputer le prêtre et le notaire.

Que la bonté divine, arbitre de son sort,
Lui donne le repos que nous rendit sa mort,
Si du moins il s'est tu devant ce grand arbitre!

Un jeune bachelier, bientôt docteur en titre,
Doit, suivant une affiche, un tel jour, en tel lieu,
Répondre à tout venant sur l'essence de Dieu.
Venez-y, venez voir, comme sur un théâtre,
Une dispute en règle, un choc opiniâtre,
L'enthymème serré, les dilemmes pressans,
Poignards à double lame, et frappant en deux sens;
Et le grand syllogisme en forme régulière,
Et le sophisme vain de sa fausse lumière;

Des moines échauffés, vrai fléau des docteurs,

De pauvres Hibernois, complaisans disputeurs,

Qui, fuyant leurs pays pour les saintes promesses,
Viennent vivre à Paris d'argumens et de messes;
Et l'honnête public qui, même écoutant bien,
A la saine raison de n'y comprendre rien.
Voilà donc les leçons qu'on prend dans vos écoles!

Mais tous les argumens sont-ils faux ou frivoles?
Socrate disputait jusque dans les festins,
Et tout nu quelquefois argumentait aux bains.
Était-ce dans un sage une folle manie?

La contrariété fait sortir le génie.

La veine d'un caillou recèle un feu qui dort,
Image de ces gens, froids au premier abord,
Et qui, dans la dispute, à chaque repartie,
Sont pleins d'une chaleur qu'on n'avait point sentie.

C'est un bien, j'y consens. Quant au mal, le voici :
Plus on a disputé, moins on s'est éclairci.
On ne redresse point l'esprit faux ni l'œil louche.
Ce mot j'ai tort, ce mot nous déchire la bouche.
Nos cris et nos efforts ne frappent que le vent,
Chacun dans son avis demeure comme avant.
C'est mêler seulement aux opinions vaines
Le tumulte insensé des passions humaines.
Le vrai peut quelquefois n'être point de saison;
Et c'est un très grand tort que d'avoir trop raison.

Autrefois la Justice et la Vérité nues

Chez les premiers humains furent long-temps connues;
Elles régnaient en sœurs : mais on sait que depuis
L'une a fui dans le ciel et l'autre dans un puits.

La vaine Opinion règne sur tous les âges;
Son temple est dans les airs porté sur les nuages;
Une foule de dieux, de démons, de lutins,
Sont au pied de son trône; et, tenant dans leurs mains
Mille riens enfantés par un pouvoir magique,
Nous les montrent de loin sous des verres d'optique.
Autour d'eux, nos vertus, nos biens, nos maux divers,
En bulles de savon sont épars dans les airs;

Et le souffle des vents y promène sans cesse
De climats en climats le temple et la déesse.
Elle fuit et revient. Elle place un mortel
Hier sur un bûcher, demain sur un autel.

Le jeune Antinous eut autrefois des prêtres.
Nous rions maintenant des mœurs de nos ancêtres;
Et qui rit de nos mœurs ne fait que prévenir
Ce qu'en doivent penser les siècles à venir.
Une beauté frappante et dont l'éclat étonne,
Les Français la peindront sous les traits de Brionne,
Sans croire qu'autrefois un petit front serré,
Un front à cheveux d'or fut souvent adoré,
Ainsi l'Opinion, changeante et vagabonde,
Soumet la Beauté même, autre reine du monde;
Ainsi, dans l'univers, ses magiques effets

Des grands événemens sont les ressorts secrets.
Comment donc espérer qu'un jour, aux pieds d'un sage,
Nous la voyions tomber du haut de son nuage,

Et

que la Vérité, se montrant aussitôt,

Vienne au bord de son puits voir ce qu'on fait en haut ?

Il est pour le savant et pour les sages même
Une autre illusion : cet esprit de système,
Qui bàtit en rêvant des mondes enchantés,

Et fonde mille erreurs sur quelques vérités.
C'est par lui qu'égarés après de vaines ombres,
L'inventeur du calcul chercha Dieu dans les nombres,
L'auteur du mécanisme attacha follement

La liberté de l'homme aux lois du mouvement.
L'un d'un soleil éteint veut composer la terre;
La terre, dit un autre, est un globe de verre '.
De là ces différens soutenus à grands cris;
Et, sur un tas poudreux d'inutiles écrits,
La Dispute s'assied dans l'asile du sage.

La contrariété tient souvent au langage;
On peut s'entendre moins, formant un même son,

C'est une des rêveries de M. de Buffon.

Que si l'un parlait basque, et l'autre bas-breton.
C'est là, qui le croirait ? un fléau redoutable;
Et la pâle famine, et la peste effroyable,
N'égalent point les maux et les troubles divers
Que les malentendus sèment dans l'univers.

Peindrai-je des dévots les discordes funestes,
Les saints emportemens de ces ames célestes,
Le Fanatisme au meurtre excitant les humains,
Des poisons, des poignards, des flambeaux dans les mains;
Nos villages déserts, nos villes embrasées,

Sous nos foyers détruits nos mères écrasées ;
Dans nos temples sanglans abandonnés du ciel,
Les ministres rivaux égorgés sur l'autel;
Tous les crimes unis, meurtre, inceste, pillage,
Les fureurs du plaisir se mêlant au carnage;
Sur des corps expirans, d'infames ravisseurs
Dans leurs embrassemens reconnaissent leurs sœurs;
L'étranger dévorant le sein de ma patrie,
Et sous la piété déguisant sa furie;

Les pères conduisant leurs enfans aux bourreaux,
Et les vaincus toujours trainés aux échafauds?...
Dieu puissant! permettez que ces temps déplorables
Un jour par nos neveux soient mis au rang des fables.

Mais je vois s'avancer un fâcheux disputeur;
Son air d'humilité couvre mal sa hauteur;
Et son austérité, pleine de l'Évangile,

Paraît offrir à Dieu le venin qu'il distille.

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«

Monsieur, tout ceci cache un dangereux poison:

Personne, selon vous, n'a ni tort ni raison;

« Et sur la vérité n'ayant point de mesure,

Il faut suivre pour loi l'instinct de la nature!

Monsieur, je n'ai point dit un mot de tout cela...
Oh! quoique vous ayez déguisé ce sens-là,

⚫ En vous interprétant la chose devient claire... »

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Mais en termes précis j'ai dit tout le contraire.

Cherchons la vérité, mais d'un commun accord:
Qui discute a raison, et qui dispute a tort.
Voilà ce que j'ai dit ; et d'ailleurs, qu'à la guerre,
A la ville, à la cour, souvent il faut se taire.

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Mon cher monsieur, ceci cache toujours deux sens.
. Je distingue... » - Monsieur, distinguez, j'y consens.
J'ai dit mon sentiment, je vous laisse les vôtres,
En demandant pour moi ce que j'accorde aux autres...
- Mon fils, nous vous avons défendu de penser;
Et pour vous convertir je cours vous dénoncer.

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Heureux! ô trop heureux qui, loin des fanatiques,
Des causeurs importuns, et des jaloux critiques,
En paix sur l'Hélicon pourrait cueillir des fleurs!
Tels on voit dans les champs de sages laboureurs,
D'une ruche irritée évitant les blessures,
En dérober le miel à l'abri des piqûres.

DISTANCE.

Un homme qui connaît combien on compte de pas d'un bout de sa maison à l'autre s'imagine que la nature lui a enseigné tout d'un coup cette distance, et qu'il n'a eu besoin que d'un coup d'oeil, comme lorsqu'il a vu des couleurs. Il se trompe; on ne peut connaître les différens éloignemens des objets que par expérience, par comparaison, par habitude. C'est ce qui fait qu'un matelot, en voyant sur mer un vaisseau voguer loin du sien, vous dira sans hésiter à quelle distance on est à peu près de ce vaisseau; et le passager n'en pourra former qu'un doute très confus 1.

■ On lit ici, dans toutes les éditions, un article de dix pages

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