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êtres aussi faibles que l'homme. Les Français ont laissé échapper de leurs dictionnaires une expression dont les Anglais se sont saisis. Les Anglais se sont enrichis plus d'une fois à nos dépens.

Plusieurs écrivains philosophes se sont étonnés de ce que tout le monde prétendant à l'esprit, personne n'ose se vanter d'en avoir.

« L'envie, a-t-on dit, permet à chacun d'être << le panégyriste de sa probité, et non de son es<< prit. » L'envie permet qu'on fasse l'apologie de sa probité, non de son esprit : pourquoi? c'est qu'il est très nécessaire de passer pour homme de bien, et point du tout d'avoir la réputation d'homme d'esprit.

On a ému la question si tous les hommes sont nés avec le même esprit, les mêmes dispositions pour les sciences, et si tout dépend de leur éducation et des circonstances où ils se trouvent. Un philosophe, qui avait droit de se croire né avec quelque supériorité, prétendit que les esprits sont égaux cependant on a toujours vu le contraire. De quatre cents enfans élevés ensemble sous les mêmes maîtres, dans la même discipline, à peine y en a-t-il cinq ou six qui fassent des progrès bien marqués. Le grand nombre est toujours des médiocres, et parmi ces médiocres il y a des nuances; en un mot, les esprits diffèrent plus que les visages.

SECTION VI.

Esprit faux.

Nous avons des aveugles, des borgnes, des bigles, des louches, des vues longues, des vues courtes, ou distinctes, ou confuses, ou faibles, ou infatigables. Tout cela est une image assez fidèle de notre entendement; mais on ne connaît guère de vues fausses. Il n'y a guère d'hommes qui prennent toujours un coq pour un cheval, ni un pot de chambre pour une maison. Pourquoi rencontre-t-on souvent des esprits, assez justes d'ailleurs, qui sont absolument faux sur des choses importantes? Pourquoi ce même Siamois, qui ne se laissera jamais tromper quand il sera question de lui compter trois roupies, croit-il fermement aux métamorphoses de Sammonocodom? Par quelle étrange bizarrerie des hommes sensés ressemblent-ils à don Quichotte, qui croyait voir des géans où les autres hommes ne voyaient que des moulins à vent? Encore don Quichotte était plus excusable que le Siamois qui croit qué Sammonocodom est venu plusieurs fois sur la terre, et que le Turc qui est persuadé que Mahomet a mis la moitié de la lune dans sa manche; car don Quichotte, frappé de l'idée qu'il doit combattre des géans, peut se figurer qu'un géant doit avoir le corps aussi

gros qu'un moulin, et les bras aussi longs que les ailes du moulin; mais de quelle supposition peut partir un homme sensé pour se persuader que la moitié de la lune est entrée dans une manche, et qu'un Sammonocodom est descendu du ciel pour venir jouer au cerf-volant à Siam, couper une forêt, et faire des tours de passe-passe?

Les plus grands génies peuvent avoir l'esprit faux sur un principe qu'ils ont reçu sans examen. Newton avait l'esprit très faux quand il commentait l'Apocalypse.

Tout ce que certains tyrans des ames désirent, c'est que les hommes qu'ils enseignent aient l'esprit faux. Un fakir élève un enfant qui promet beaucoup; il emploie cinq ou six années à lui enfoncer dans la tête que le dieu Fo apparut aux hommes en éléphant blanc, et il persuade l'enfant qu'il sera fouetté après sa mort pendant cinq cent mille années s'il ne croit pas ces métamorphoses. Il ajoute qu'à la fin du monde l'ennemi du dieu Fo viendra combattre contre cette divinité.

L'enfant étudie et devient un prodige; il argumente sur les leçons de son maître; il trouve que Fo n'a pu se changer qu'en éléphant blanc, parce que c'est le plus beau des animaux. Les rois de Siam et du Pégu, dit-il, se font la guerre pour un éléphant blanc; certainement si Fo n'avait pas été caché dans cet éléphant, ces rois n'auraient pas

été si insensés que de combattre

sion d'un simple animal.

pour la posses

L'ennemi de Fo viendra le défier à la fin du monde; certainement cet ennemi sera un rhinocéros, car le rhinocéros combat l'éléphant. C'est ainsi que raisonne dans un âge mûr l'élève savant du fakir, et il devient une des lumières des Indes; plus il a l'esprit subtil, plus il l'a faux, et il forme ensuite des esprits faux comme lui.

On montre à tous ces énergumènes un peu de géométrie, et ils l'apprennent assez facilement; mais, chose étrange! leur esprit n'est pas redressé pour cela; ils aperçoivent les vérités de la géométrie, mais elle ne leur apprend point à peser les probabilités; ils ont pris leur pli; ils raisonneront de travers toute leur vie, et j'en suis fâché pour eux.

Il

y a malheureusement bien des manières d'avoir l'esprit faux: 1o de ne pas examiner si le principe est vrai, lors même qu'on en déduit des conséquences justes; et cette manière est commune1;

2o De tirer des conséquences fausses d'un principe reconnu pour vrai. Par exemple, un domestique est interrogé si son maître est dans sa chambre, par , par des gens qu'il soupçonne d'en vouloir à sa vie s'il était assez sot pour leur dire la vérité, sous prétexte qu'il ne faut pas mentir, il I Voy. l'article CONSÉQUENCE.

:

est clair qu'il aurait tiré une conséquence absurde d'un principe très vrai.

Un juge qui condamnerait un homme qui a tué son assassin, parce que l'homicide est défendu, serait aussi inique que mauvais raisonneur.

De pareils cas se subdivisent en mille nuances différentes. Le bon esprit, l'esprit juste, est celui qui les démêle de là vient qu'on a vu tant de jugemens iniques, non que le cœur des juges fût méchant, mais parce qu'ils n'étaient pas assez éclairés.

ESSÉNIENS.

Plus une nation est superstitieuse et barbare, obstinée à la guerre malgré ses défaites, partagée en factions, flottante entre la royauté et le sacerdoce, enivrée de fanatisme, plus il se trouve chez un tel peuple un nombre de citoyens qui s'unissent pour vivre en paix.

Il arrive qu'en temps de peste, un petit canton s'interdit la communication avec les grandes villes; il se préserve de la contagion qui règne, mais il reste en proie aux autres maladies.

Tels on a vu les gymnosophistes aux Indes; telles furent quelques sectes de philosophes chez les Grecs; tels les pythagoriciens en Italie et en Grèce, et les thérapeutes en Égypte; tels sont aujourd'hui les primitifs nommés quakers et les dunkards en Pensylvanie; et tels furent à peu

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