Page images
PDF
EPUB

défier très souvent en physique et en morale. Il s'agit ici de l'intérêt du genre humain. Examinons donc si sa doctrine est vraie et utile, et soyons courts si nous pouvons.

1 « L'ordre et le désordre n'existent point, etc. >> Quoi! en physique un enfant né aveugle, ou privé de ses jambes, un monstre n'est pas contraire à la nature de l'espèce? N'est-ce pas la régularité ordinaire de la nature qui fait l'ordre, et l'irrégularité qui est le désordre? N'est-ce pas un très grand dérangement, un désordre funeste, qu'un enfant à qui la nature a donné la faim, et a bouché l'œsophage? Les évacuations de toute espèce sont nécessaires, et souvent les conduits manquent d'orifices: on est obligé d'y remédier; ce désordre a sa cause, sans doute. Point d'effet sans cause; mais c'est un effet très désordonné.

L'assassinat de son ami, de son frère, n'est-il pas un désordre horrible en morale? Les calomnies d'un Garasse, d'un Le Tellier, d'un Doucin, contre des jansénistes, et celles des jansénistes contre des jésuites; les impostures des Patouillet et Paulian ne sont-elles pas de petits désordres? La SaintBarthélemi, les massacres d'Irlande, etc. etc. etc., ne sont-ils pas des désordres exécrables? Ce crime a sa cause dans des passions; mais l'effet est exécrable; la cause est fatale; ce désordre fait frémir. 1 Première partie, page 60.

по

Reste à découvrir, si l'on peut, l'origine de ce désordre; mais il existe.

« 1 L'expérience prouve que les matières que « nous regardons comme inertes et mortes, pren<< nent de l'action, de l'intelligence, de la vie, quand << elles sont combinées d'une certaine façon. »

[ocr errors]

C'est là précisément la difficulté. Comment un germe parvient-il à la vie? l'auteur et le lecteur n'en savent rien. De là les deux volumes du Système; et tous les systèmes du monde ne sont-ils pas des rêves?

« Il faudrait définir la vie, et c'est ce que j'estime impossible. »

Cette définition n'est-elle pas très aisée, très commune? la vie n'est-elle pas organisation avec sentiment? Mais que vous teniez ces deux propriétés du mouvement seul de la matière, c'est ce dont il est impossible de donner une preuve; et si on ne peut le prouver, pourquoi l'affirmer? pourquoi dire tout haut: Je sais, quand on se dit tout bas : J'ignore?

[ocr errors][merged small][merged small]

Cet article n'est pas assurément plus clair que les plus obscurs de Spinosa, et bien des lecteurs s'indigneront de ce ton si décisif que l'on prend sans rien expliquer.

[blocks in formation]

4

[ocr errors]

<< 'La matière est éternelle et nécessaire; mais <<< ses formes et ses combinaisons sont passagères et «< contingentes, etc. »

Il est difficile de comprendre comment la matière étant nécessaire, et aucun être libre n'existant, selon l'auteur, il y aurait quelque chose de contingent. On entend par contingence ce qui peut être et ne pas être; mais tout devant être d'une nécessité absolue, toute manière d'être qu'il appelle ici mal à propos contingent, est d'une nécessité aussi. absolue que l'être même. C'est là où l'on se trouve plongé dans un labyrinthe où l'on ne voit point d'issue.

Lorsqu'on ose assurer qu'il n'y a point de Dieu, que la matière agit par elle-même, par une nécessité éternelle, il faut le démontrer comme une proposition d'Euclide, sans quoi vous n'appuyez votre système que sur un peut-être. Quel fondement pour la chose qui intéresse le plus le genre

humain!

2

« 2 Si l'homme d'après sa nature est forcé d'aimer << son bien-être, il est forcé d'en aimer les moyens. <<< Il serait inutile et peut-être injuste de demander <«< à un homme d'être vertueux, s'il ne peut l'être <«< sans se rendre malheureux. Dès que le vice le << rend heureux, il doit aimer le vice. »

Cette maxime est encore plus exécrable en
I Page 82.-2 Page 152.

morale que les autres ne sont fausses en physique. Quand il serait vrai qu'un homme ne pourrait être vertueux sans souffrir, il faudrait l'encourager à l'être. La proposition de l'auteur serait visiblement la ruine de la société. D'ailleurs, comment saura-t-il qu'on ne peut être heureux sans avoir des vices? n'est-il pas au contraire prouvé par l'expérience, que la satisfaction de les avoir domptés est cent fois plus grande que le plaisir d'y avoir succombé; plaisir toujours empoisonné, plaisir qui mène au malheur! On acquiert, en domptant ses vices, la tranquillité, le témoignage consolant de sa conscience; on perd en s'y livrant son repos, sa santé; on risque tout. Aussi l'auteur lui-même en vingt endroits veut qu'on sacrifie tout à la vertu; et il n'avance cette proposition que pour donner dans son système une nouvelle preuve de la nécessité d'être vertueux.

«

<< ' Ceux qui rejettent avec tant de raison les «< idées innées... auraient dû sentir que cette intelligence ineffable que l'on place au gouvernail du monde, et dont nos sens ne peuvent constater << ni l'existence ni les qualités, est un être de raison. >> En vérité, de ce que nous n'avons point d'idées innées, comment s'ensuit-il qu'il n'y a point de Dieu ? cette conséquence n'est-elle pas absurde? y a-t-il quelque contradiction à dire que Dieu nous 1 Page 167.

donne des idées par nos sens? n'est-il pas au contraire de la plus grande évidence que, s'il est un être tout puissant dont nous tenons la vie, nous lui devons nos idées et nos sens comme tout le reste? Il faudrait avoir prouvé auparavant que Dieu n'existe pas; et c'est ce que l'auteur n'a point fait; c'est même ce qu'il n'a pas encore tenté de faire jusqu'à cette page du chapitre x.

Dans la crainte de fatiguer les lecteurs par l'examen de tous ces morceaux détachés, je viens au fondement du livre, et à l'erreur étonnante sur laquelle il a élevé son système. Je dois absolument répéter ici ce qu'on a dit ailleurs.

HISTOIRE DES Anguilles suR LESQUELLES EST FONDÉ LE SYSTÈME *.

[ocr errors]

Il y avait en France, vers l'an 1750, un jésuite anglais nommé Needham, déguisé en séculier, qui servait alors de précepteur au neveu de M. Dillon, archevêque de Toulouse. Cet homme fesait des expériences de physique, et surtout de chimie.

Après avoir mis de la farine de seigle ergoté dans des bouteilles bien bouchées, et du jus de

⭑ Voyez l'article ANGUILLES. Jean Tuberville Needham, jésuite, né à Londres en 1713, et si souvent plaisanté par Voltaire pour son ridicule système des anguilles, ne doit pas être confondu avec Pierre Needham, helléniste médiocrement estimé, qui a donné l'édition des Geoponica, Cambridge, 1704, in-8°, celle de Theophrasti Characteres, 1712, etc.

« PreviousContinue »