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saire contre la mémoire du plus malheureux des rois. Il se procura des éditions du poëme de la Sarcotis; il paraissait évident que Milton en avait imité quelques morceaux, comme il avait imité Grotius et le Tasse.

Mais Lauder ne s'en tint pas là; il déterra une mauvaise traduction en vers latins du Paradis perdu du poëte anglais; et joignant plusieurs vers de cette traduction à ceux de Masenius, il crut rendre par là l'accusation plus grave, et la honte de Milton plus complète. Ce fut en quoi il se trompa lourdement; sa fraude fut découverte. Il voulait faire passer Milton pour un faussaire, et

que

lui-même fut convaincu de l'être. On n'examina point le poëme de Masenius, dont il n'y avait alors très peu d'exemplaires en Europe. Toute l'Angleterre, convaincue du mauvais artifice de l'Écossais, n'en demanda pas davantage. L'accusateur confondu fut obligé de désavouer sa manœuvre, et d'en demander pardon.

Depuis ce temps on imprima une nouvelle édition de Masenius en 1757. Le public littéraire fut surpris du grand nombre de très beaux vers dont la Sarcotis était parsemée. Ce n'est, à la vérité, qu'une longue déclamation de collége sur la chute de l'homme; mais l'exorde, l'invocation, la description du jardin d'Éden, le portrait d'Ève, celui du diable, sont précisément les mêmes que dans

Milton. Il y a bien plus : c'est le même sujet, le même nœud, la même catastrophe. Si le diable veut, dans Milton, se venger sur l'homme du mal que Dieu lui a fait, il a précisément le même dessein chez le jésuite Masenius; et il le manifeste dans des vers dignes peut-être du siècle d'Auguste:

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Semel excidimus crudelibus astris,

Et conjuratas involvit terra cohortes.
Fata manent, tenet et superos oblivio nostri;
Indecore premimur, vulgi tolluntur inertes
Ac viles animæ, cœloque fruuntur aperto:

Nos, divum soboles, patriaque in sede locandi,
Pellimur exilio, mœstóque Acheronte tenemur.
« Heu! dolor! et superum decreta indigna! Fatiscat
« Orbis, et antiquo turbentur cuncta tumultu,
« Ac.redeat deforme Chaos; Styx atra ruinam
<< Terrarum excipiat, fatoque impellat eodem

"

Et cœlum, et cœli cives. Ut inulta cadamus

Turba, nec umbrarum pariter caligine raptam

. Sarcoteam, invisum caput, involvamus? ut astris
Regnantem, et nobis domina cervice minantem,
Ignavi patiamur? Adhuc tamen improba vivit !

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Vivit adhuc, fruiturque Dei secura favore!

Cernimus, et quicquam furiarum absconditur Orco!

« Vah, pudor, æternumque probrum Stygis! Occidat, amens,

Occidat, et nostræ subeat consortia culpæ.

« Hæc mihi secluso cœlis solatia tantum

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Excidii restant. Juvat hac consorte malorum

Posse frui, juvat ad nostram seducere pœnam

Frustra exultantem, patriaque exsorte superbam.

Ærumnas exempla levant; minor illa ruina est,
Quæ caput adversi labens oppresserit hostis. »

Sarcotis, 1, 271 et seq.

On trouve dans Masenius et dans Milton de

pe

tits épisodes, de légères excursions absolument semblables; l'un et l'autre parlent de Xerxès, qui 'couvrit la mer de ses vaisseaux :

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'. Quantus erat Xerxes, medium dum contrahit orbem
• Urbis in excidium! . . . . .

Sarcotis, 111, 461.

Tous deux parlent sur le même ton de la tour de Babel; tous deux font la même description du luxe, de l'orgueil, de l'avarice, de la gourmandise.

Ce qui a le plus persuadé le commun des lecteurs du plagiat de Milton, c'est la parfaite ressemblance du commencement des deux poëmes. Plusieurs lecteurs étrangers, après avoir lu l'exorde, n'ont pas douté que tout le reste du poëme de Milton ne fût pris de Masenius. C'est une erreur bien grande, et aisée à reconnaître.

Je ne crois pas que le poëte anglais ait imité en tout plus de deux cents vers du jésuite de Cologne; et j'ose dire qu'il n'a imité que ce qui méritait de l'être. Ces deux cents vers sont fort beaux; ceux de Milton le sont aussi ; et le total du poëme de Masenius, malgré ces deux cents beaux vers, ne vaut rien du tout.

Molière prit deux scènes entières dans la ridicule comédie du Pédant joué, de Cyrano de Bergerac. Ces deux scènes sont bonnes, disait-il en

plaisantant avec ses amis; elles m'appartiennent de droit; je reprends mon bien. On aurait été, après cela, très mal reçu à traiter de plagiaire l'auteur du Tartufe et du Misanthrope.

Il est certain qu'en général Milton, dans son Paradis, a volé de ses propres ailes en imitant; et il faut convenir que s'il a emprunté tant de traits de Grotius et du jésuite de Cologne, ils sont confondus dans la foule des choses originales qui sont à lui; il est toujours regardé en Angleterre comme un très grand poëte.

Il est vrai qu'il aurait dû avouer qu'il avait traduit deux cents vers d'un jésuite; mais de son temps, dans la cour de Charles II, on ne se souciait ni des jésuites, ni de Milton, ni du Paradis perdu, ni du Paradis retrouvé. Tout cela était ou bafoué ou inconnu.

ÉPREUVE.

Toutes les absurdités qui avilissent la nature humaine nous sont donc venues d'Asie, avec toutes les sciences et tous les arts! C'est en Asie, c'est en Égypte qu'on osa faire dépendre la vie et la mort d'un accusé ou d'un coup de dés, ou de quelque chose d'équivalent, ou de l'eau froide, ou de l'eau chaude, ou d'un fer rouge, ou d'un morceau de pain d'orge. Une superstition à peu près semblable existe encore, à ce qu'on prétend,

dans les Indes, sur les côtes de Malabar, et au Japon.

Elle passa d'Égypte en Grèce. Il y eut à Trezène un temple fort célèbre, dans lequel tout homme qui se parjurait mourait sur-le-champ d'apoplexie. Hippolyte, dans la tragédie de Phèdre, parle ainsi à sa maîtresse Aricie :

Aux portes de Trezène, et parmi ces tombeaux
Des princes de ma race antiques sépultures,
Est un temple sacré, formidable aux parjures.
C'est là que les mortels n'osent jurer en vain;
Le perfide y reçoit un châtiment soudain;
Et, craignant d'y trouver la mort inévitable,
Le mensonge n'a point de frein plus redoutable.
Acte v, scène I.

I

Le savant commentateur du grand Racine fait cette remarque sur les épreuves de Trezène :

<< M. de La Motte a dit qu'Hippolyte devait pro« poser à son père de venir entendre sa justifica<< tion dans ce temple où l'on n'osait jurer en vain. << Il est vrai que Thésée n'aurait pu douter alors << de l'innocence de ce jeune prince; mais il eût eu « une preuve trop convaincante contre la vertu << de Phèdre, et c'est ce qu'Hippolyte ne voulait « pas faire. M. de La Motte aurait dû se défier un << peu de son goût, en soupçonnant celui de Racine, qui semble avoir prévu son objection. En

«

**Luneau de Boisjermain, dont le Commentaire sur Racine parut en 1768. (L. D. B.),

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