Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

Tuque prior, tu, parce, genus qui ducis Olympo;
Projice tela manu, sanguis meus. »

L. vi, 834-835.

I

Enfin on sait combien de larmes fit verser 1 à l'empereur Auguste, à Livie, à tout le palais, ce seul demi-vers :

[ocr errors][merged small][merged small]

Homère n'a jamais fait répandre de pleurs. Le vrai poëte est, à ce qu'il me semble, celui qui remue l'ame et qui l'attendrit; les autres sont de beaux parleurs. Je suis loin de proposer cette opinion pour règle. Je donne mon avis, dit Montaigne, non comme bon, mais comme mien.

DE LUCAIN.

Si vous cherchez dans Lucain l'unité de lieu et d'action, vous ne la trouverez pas; mais où la trouveriez-vous? Si vous espérez sentir quelque émotion, quelque intérêt, vous n'en éprouverez pas dans les longs détails d'une guerre dont le fond est rendu très sec, et dont les expressions sont ampoulées; mais si vous voulez des idées fortes, des discours d'un courage philosophique et su

1* Ce fait, généralement accrédité, a été contesté avec raison par le savant M. Mongez dans un mémoire qu'il lut à l'Institut (Académie des belles lettres). Voyez le Moniteur du 1er décembre 1818. (L. D. B.)

blime, vous ne les verrez que dans Lucain parmi les anciens. Il n'y a rien de plus grand que le discours de Labienus à Caton, aux portes du temple de Jupiter Ammon, si ce n'est la réponse de Caton même :

[ocr errors]

« Hæremus cuncti superis; temploque tacente

Nil facimus non sponte Dei. . . .

.... Steriles num legit arenas

a Ut caneret paucis? mersitne hoc pulvere verum?
Estne Dei sedes nisi terra, et pontus, et aer,

«

[ocr errors][ocr errors]

Et cœlum, et virtus? Superos quid quærimus ultra ?

Jupiter est quodcumque vides, quocumque moveris. »
Pharsal., 1. 1x, 573-574; 576-580.

Mettez ensemble tout ce que les anciens poëtes ont dit des dieux, ce sont des discours d'enfans en comparaison de ce morceau de Lucain. Mais, dans un vaste tableau où l'on voit cent personnages, il ne suffit pas qu'il y en ait un ou deux supérieurement dessinés.

DU TASSE.

Boileau a dénigré le clinquant du Tasse1; mais qu'il y ait une centaine de paillettes d'or faux dans une étoffe d'or, on doit le pardonner. Il y

* Tous les jours, à la cour, un sot de qualité
Peut juger de travers avec impunité;
A Malherbe, à Racan, préférer Théophile,
Et le clinquant du Tasse à tout l'or de Virgile.

Sat. 1x, v. 173.

(L. D. B.)

a beaucoup de pierres brutes dans le grand bâtiment de marbre élevé par Homère. Boileau le savait, le sentait, et il n'en parle pas. Il faut être juste.

On renvoie le lecteur à ce qu'on a dit du Tasse dans l'Essai sur la poésie épique*. Mais il faut dire ici qu'on sait par cœur ses vers en Italie. Si à Venise, dans une barque, quelqu'un récite une stance de la Jérusalem délivrée, la barque voisine lui répond par la stance suivante.

Si Boileau eût entendu ces concerts, il n'aurait eu rien à répliquer.

On connaît assez le Tasse : je ne répéterai ici ni les éloges ni les critiques. Je parlerai un peu plus au long de l'Arioste.

DE L'ARIOSTE.

L'Odyssée d'Homère semble avoir été le premier modèle du Morgante, de l'Orlando innamorato, et de l'Orlando furioso, et, ce qui n'arrive pas toujours, le dernier de ces poëmes a été sans contredit le meilleur.

Les compagnons d'Ulysse changés en pourceaux; les vents enfermés dans une peau de chèvre; des musiciennes qui ont des queues de poisson, et qui mangent ceux qui approchent d'elles; Ulysse qui suit tout nu le chariot d'une

Tome XIII, à la suite de la Henriade.

belle princesse, qui venait de faire la grande lessive; Ulysse déguisé en gueux qui demande l'aumône, et qui ensuite tue tous les amans de sa vieille femme, aidé seulement de son fils et de deux valets, sont des imaginations qui ont donné naissance à tous les romans en vers qu'on a faits depuis dans ce goût.

Mais le roman de l'Arioste est si plein et si varié, si fécond en beautés de tous les genres, qu'il m'est arrivé plus d'une fois, après l'avoir lu tout entier, de n'avoir d'autre désir que d'en recommencer la lecture. Quel est donc le charme de la poésie naturelle! Je n'ai jamais pu lire un seul chant de ce poëme dans nos traductions en prose.

Ce qui m'a surtout charmé dans ce prodigieux ouvrage, c'est que l'auteur, toujours au dessus de sa matière, la traite en badinant. Il dit les choses les plus sublimes sans effort; et il les finit souvent par un trait de plaisanterie qui n'est ni déplacé ni recherché. C'est à la fois l'Iliade, l'Odyssée, et don Quichotte; car son principal chevalier errant devient fou comme le héros espagnol, et est infiniment plus plaisant'. Il y a bien plus, on s'intéresse à Roland, et personne ne s'intéresse à don

**Roland n'est pas du tout plaisant; il est terrible au contraire: ses actes de folie inspirent toujours l'épouvante; ils sont bien loin d'exciter le rire ou la gaieté. C'est le poëme qui, dans la plupart de ses admirables détails, est véritablement plaisant. (L. D. B.)

Quichotte, qui n'est représenté dans Cervantes que comme un insensé à qui on fait continuellement des malices.

Le fond du poëme qui rassemble tant de choses est précisément celui de notre roman de Cassandre, qui eut tant de vogue autrefois parmi nous, et qui a perdu cette vogue absolument, parce qu'ayant la longueur de l'Orlando furioso il n'a aucune de ses beautés; et quand il les aurait en prose française, cinq ou six stances de l'Arioste les éclipseraient toutes. Ce fond du poëme est que la plupart des héros, et les princesses qui n'ont pas péri pendant la guerre, se retrouvent dans Paris après mille aventures, comme les persondu roman de Cassandre1 se retrouvent dans la maison de Polémon.

nages

II y a dans l'Orlando furioso un mérite inconnu à toute l'antiquité; c'est celui de ses exordes. Chaque chant est comme un palais enchanté, dont le vestibule est toujours dans un goût différent, tantôt majestueux, tantôt simple, même grotesque. C'est de la morale, ou de la gaieté, ou de la galanterie, et toujours du naturel et de la vérité.

Voyez seulement cet exorde du quarante-qua

**Tel est en effet, au premier aperçu, le fond du poëme de l'Arioste; mais c'est le seul point de ressemblance qui existe entre le Roland et le roman de La Calprenède. (L. D. B. )

« PreviousContinue »