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pour avoir du pain; l'autre va l'attaquer et est battue. La famille servante est l'origine des domestiques et des manoeuvres; la famille battue est l'origine des esclaves.

Il est impossible dans notre malheureux globe que les hommes vivant en société ne soient pas divisés en deux classes, l'une de riches qui commandent, l'autre de pauvres qui servent; et ces deux se subdivisent en mille, et ces mille ont encore des nuances différentes.

Tu viens, quand les lots sont faits, nous dire: Je suis homme comme vous; j'ai deux mains et deux pieds, autant d'orgueil et plus que vous, un esprit aussi désordonné pour le moins, aussi inconséquent, aussi contradictoire que le vôtre. Je suis citoyen de Saint-Martin, ou de Raguse, ou de Vaugirard: donnez-moi ma part de la terre. Il y a dans notre hémisphère connu environ cinquante mille millions d'arpens à cultiver, tant passables que stériles. Nous ne sommes qu'environ un milliard d'animaux à deux pieds sans plumes sur ce continent; ce sont cinquante arpens pour chacun faites-moi justice; donnez-moi mes cinquante arpens.

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On lui répond: Va-t'en les prendre chez les Cafres, chez les Hottentots, ou chez les Samoïèdes; arrange-toi avec eux à l'amiable; ici toutes les parts sont faites. Si tu peux avoir parmi nous le

manger, le vêtir, le loger et le chauffer, travaille pour nous comme fesait ton père; sers-nous, ou amuse-nous, et tu seras payé; sinon tu seras obligé de demander l'aumône, ce qui dégraderait trop la sublimité de ta nature, et t'empêcherait réellement d'être égal aux rois, et même aux vicaires de village, selon les prétentions de ta noble fierté.

SECTION II.

Tous les pauvres ne sont pas malheureux. La plupart sont nés dans cet état, et le travail continuel les empêche de trop sentir leur situation; mais quand ils la sentent, alors on voit des guerres, comme celle du parti populaire contre le parti du sénat à Rome, celles des paysans en Allemagne, en Angleterre, en France. Toutes ces guerres finissent tôt ou tard par l'asservissement du peuple, parce que les puissans ont l'argent, et que l'argent est maître de tout dans un état : je dis dans un état, car il n'en est pas de même de nation à nation. La nation qui se servira le mieux du fer subjuguera toujours celle qui aura plus d'or et moins de courage.

Tout homme naît avec un penchant assez violent pour la domination, la richesse et les plaisirs, et avec beaucoup de goût pour la paresse; par conséquent tout homme voudrait avoir l'argent et les femmes ou les filles des autres, être

leur maître, les assujétir à tous ses caprices, et ne rien faire, ou du moins ne faire que des choses très agréables. Vous voyez bien qu'avec ces belles dispositions, il est aussi impossible que les hommes soient égaux qu'il est impossible que deux prédicateurs ou deux professeurs de théologie ne soient pas jaloux l'un de l'autre.

Le genre humain, tel qu'il est, ne peut subsister, à moins qu'il n'y ait une infinité d'hommes utiles qui ne possèdent rien du tout; car, certainement, un homme à son aise ne quittera pas sa terre pour venir labourer la vôtre; et si vous avez besoin d'une paire de souliers, ce ne sera pas un maître des requêtes qui vous la fera. L'égalité est donc à la fois la chose la plus naturelle et en même temps la plus chimérique.

Comme les hommes sont excessifs en tout quand ils le peuvent, on a outré cette inégalité; on a prétendu dans plusieurs pays qu'il n'était pas permis à un citoyen de sortir de la contrée où le hasard l'a fait naître; le sens de cette loi est visiblement : << Ce pays est si mauvais et si mal « gouverné, que nous défendons à chaque indi<< vidu d'en sortir, de peur que tout le monde n'en « sorte. » Faites mieux : donnez à tous vos sujets envie de demeurer chez vous, et aux étrangers d'y venir.

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Chaque homme, dans le fond de son coeur, a

droit de se croire entièrement égal aux autres hommes : il ne s'ensuit pas de là que le cuisinier d'un cardinal doive ordonner à son maître de lui faire à dîner; mais le cuisinier peut dire : Je suis homme comme mon maître; je suis né comme lui en pleurant; il mourra comme moi dans les mêmes angoisses et les mêmes cérémonies. Nous fesons tous deux les mêmes fonctions animales. Si les Turcs s'emparent de Rome, et si alors je suis cardinal et mon maître cuisinier, je le prendrai à mon service. Tout ce discours est raisonnable et justė; mais en attendant que le Grand-Turc s'empare de Rome, le cuisinier doit faire son devoir, ou toute société humaine est pervertie.

A l'égard d'un homme qui n'est ni cuisinier d'un cardinal, ni revêtu d'aucune autre charge dans l'état; à l'égard d'un particulier qui ne tient à rien, mais qui est fâché d'être reçu partout avec l'air de la protection ou du mépris, qui voit évidemment que plusieurs monsignors n'ont ni plus de science, ni plus d'esprit, ni plus de vertu que lui, et qui s'ennuie d'être quelquefois dans leur antichambre, quel parti doit-il prendre? Celui de s'en aller.

ÉGLISE.

1. Précis de l'histoire de l'église chrétienne.

Nous ne porterons point nos regards sur les profondeurs de la théologie; Dieu nous en préserve! l'humble foi seule nous suffit. Nous ne fesons jamais que raconter.

Dans les premières années qui suivirent la mort de Jésus-Christ dieu et homme, on comptait chez les Hébreux neuf écoles, ou neuf sociétés religieuses, pharisiens, sadducéens, esséniens, judaïtes, thérapeutes, récabites, hérodiens, disciples de Jean, et les disciples de Jésus, nommés les frères, les galiléens, les fidèles, qui ne prirent le nom de chrétiens que dans Antioche, vers l'an 60 de notre ère, conduits secrètement par Dieu même dans des voies inconnues aux hommes.

Les pharisiens admettaient la métempsycose, les sadducéens niaient l'immortalité de l'ame et l'existence des esprits, et cependant étaient fidèles au Pentateuque.

Pline le naturaliste1 (apparemment sur la foi de Flavius Josèphe) appelle les esséniens gens æterna in qua nemo nascitur, « famille éternelle dans laquelle il ne naît personne,» parce que les

'Livre v, chap. XVII.

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