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Telle est la différence entre l'économie de la

campagne et les illusions des villes.

L'économie à la ville est toute différente. Vivezvous dans votre terre, vous n'achetez presque rien; le sol vous produit tout; vous pouvez nourrir soixante personnes sans presque vous en apercevoir. Portez à la ville le même revenu, vous achetez tout chèrement, et vous pouvez nourrir à peine cinq ou six domestiques. Un père de famille qui vit dans sa terre avec douze mille livres de rente, aura besoin d'une grande attention pour vivre à Paris dans la même abondance avec quarante mille. Cette proportion a toujours subsisté entre l'économie rurale et celle de la capitale. Il en faut toujours revenir à la singulière lettre de madame de Maintenon à sa belle-sœur madame d'Aubigné, dont on a tant parlé; on ne peut trop la remettre sous les yeux :

«

« Vous croirez bien que je connais Paris mieux « que vous; dans ce même esprit, voici, ma chère << sœur, un projet de dépense, tel que je l'exécu<< terais si j'étais hors de la cour. Vous êtes douze << personnes : Monsieur et Madame, trois femmes, << quatre laquais, deux cochers, un valet de «< chambre.

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« Je compte quatre sous en vin pour vos quatre laquais et vos deux cochers; c'est ce que madame << de Montespan donne aux siens. Si vous aviez du « vin en cave, il ne vous coûterait pas trois sous; j'en mets six pour votre valet de chambre, et

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vingt pour vous deux, qui n'en buvez pas pour << trois.

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« Je mets une livre de chandelle par jour, quoiqu'il n'en faille qu'une demi-livre. Je mets dix « sous en bougie; il y en a six à la livre, qui coûte <<< une livre dix sous, et qui dure trois jours.

<< Je mets deux livres pour le bois : cependant << vous n'en brûlerez que trois mois de l'année, et << il ne faut que deux feux.

« Je mets une livre dix sous pour le fruit; le « sucre ne coûte que onze sous la livre, et il n'en « faut qu'un quarteron pour une compote.

« Je mets deux pièces de rôti on en épargne

<< une quand Monsieur ou Madame dîne où soupe << en ville; mais aussi j'ai oublié une volaille bouil« lie pour le potage. Nous entendons le ménage. << Vous pouvez fort bien, sans passer quinze livres, << avoir une entrée, tantôt de saucisses, tantôt de langue de mouton ou de fraise de veau, le gigot << bourgeois, la pyramide éternelle et la compote << que vous aimez tant'.

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« Cela posé, et ce que j'apprends à la cour, ma <«< chère enfant, votre dépense ne doit pas passer << cent livres par semaine : c'est quatre cents livres << par mois. Posons cinq cents, afin que les baga«< telles que j'oublie ne se plaignent pas que je <«<leur fais injustice. Cinq cents livres par mois <«< font,

« Pour votre dépense de bouche. . 6000 liv. « Pour vos habits.

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« Pour gages et habits de gens.

« Pour les habits, l'opéra et les ma

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1000

1000

1000

« Tout cela n'est-il pas honnête, etc. »

3000

12000 liv.

1 Dans ce temps-là, et c'était le plus brillant de Louis XIV, on ne servait d'entremets que dans les grands repas d'appareil.

2 Madame de Maintenon compte deux cochers, et oublie quatre chevaux, qui, dans ce temps-là, devaient, avec l'entretien des voitures, coûter environ deux mille francs par année.

Le marc de l'argent valait alors à peu près la moitié du numéraire d'aujourd'hui; tout le nécessaire absolu était de la moitié moins cher; et le luxe ordinaire qui est devenu nécessaire, et qui n'est plus luxe, coûtait trois à quatre fois moins que de nos jours. Ainsi le comte d'Aubigné aurait pu pour ses douze mille livres de rente, qu'il mangeait à Paris assez obscurément, vivre en prince dans sa terre.

Il y a dans Paris trois ou quatre cents familles municipales qui occupent la magistrature depuis un siècle, et dont le bien est en rentes sur l'Hôtelde-Ville. Je suppose qu'elles eussent chacune vingt mille livres de rente; ces vingt mille livres fesaient juste le double de ce qu'elles font aujourd'hui; ainsi elles n'ont réellement que la moitié de leur ancien revenu. De cette moitié on retrancha une moitié dans le temps inconcevable du système de Law. Ces familles ne jouissent donc réellement que du quart du revenu qu'elles possédaient à l'avénement de Louis XIV au trône; et le luxe étant augmenté des trois quarts, reste à peu près rien pour elles; à moins qu'elles n'aient réparé leur ruine par de riches mariages, ou par des successions, ou par une industrie secrète; et c'est ce qu'elles ont fait.

En tout pays tout simple rentier qui n'augmente pas son bien dans une capitale le perd à la longue.

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Les terriens se soutiennent, parce que l'argent augmentant numériquement, le revenu de leurs terres augmente en proportion; mais ils sont exposés à un autre malheur, et ce malheur est dans eux-mêmes. Leur luxe et leur inattention, non moins dangereuse encore, les conduisent à la ruine. Ils vendent leurs terres à des financiers qui entassent, et dont les enfans dissipent tout à leur tour. C'est une circulation perpétuelle d'élévation et de décadence; le tout faute d'une économie raisonnable, qui consiste uniquement à ne pas dépenser plus qu'on ne reçoit.

DE L'ÉCONOMIE publique.

L'économie d'un état n'est précisément que celle d'une grande famille. C'est ce qui porta le duc de Sulli à donner le nom d'Économies à ses mémoires. Toutes les autres branches d'un gouvernement sont plutôt des obstacles que des secours à l'administration des deniers publics. Des traités qu'il faut quelquefois conclure à prix d'or, des guerres malheureuses, ruinent un état pour long-temps; les heureuses même l'épuisent. Le commerce intercepté et mal entendu l'appauvrit encore; les impôts excessifs comblent la misère.

Qu'est-ce qu'un état riche et bien économisé? c'est celui où tout homme qui travaille est sûr d'une fortune convenable à sa condition, à.com

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