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novices téméraires; il avoit toujours esté ardent à reprendre les défauts des autres, dit Thevet, quoique l'on ne puisse croire qu'il ait été capable d'une basse jalousie, puisqu'il était intimement lié avec tant d'écrivains célèbres de son temps. Mais il est certain qu'il eut d'abord des démêlés fort vifs avec Ronsard, et que celui-ci redoutait beaucoup ses traits satiriques, ainsi que le prouvent ces vers, qu'on a si souvent cités, mais pas toujours exactement, et qui ont été complètement modifiés dans les dernières éditions des œuvres de l'auteur de la Franciade:

Escarte loin de mon chef

Tout malheur et tous meschef;

Préserve-moy d'infamie

De toute langue ennemie,

Et de tout acte malin.

Et fay que devant mon prince
Désormais plus ne me pince

La tenaille de Mellin.

(Odes, liv. v, od. v. Hymne triomphal de la reyne de Navarre.)

Voilà ce qui est bien établi; ce qui l'est moins, ce sont les manœuvres odieuses, les moyens jaloux que Saint-Gelais aurait employés pour étouffer la faveur naissante du chantre de Cassandre, s'il fallait en croire certains biographes, qui, sans lui adresser ces reproches vagues que lui fait Claude Binet dans un passage de la Vie de Ronsard, précisent, au contraire, toutes les circonstances, comme s'ils avaient assisté en personne à ces débats, et vont jusqu'à dire que Henri II ayant chargé Mellin de lui lire une pièce nouvelle de Ronsard, Mellin la mutila, en changea l'ordre, y mit des vers absurdes de sa façon, et la défigura, en un mot, de la manière la plus ridicule. L'Advocat, et Chaudon et Delandine, qui l'ont ici servilement copié, auraient bien dû nous

dire où ils ont puisé cette curieuse particularité. On sait, du reste, quelle confiance il faut accorder à ces compilateurs, surtout aux deux derniers, dont l'ouvrage est si dépourvu de critique. Quoi qu'il en soit, il est certain que les réformateurs, tout les premiers, n'avaient pas ménagé Mellin. Du Bellay, au IVe chapitre du livre II de son Illustration, avait expressément désigné plusieurs de ses meilleures pièces comme des chansons vulgaires, indignes de prétendre au nom d'Odes. Il avait même écrit une piquante satire, où, sous les traits du poète courtisan, on reconnaissait aisément Mellin, quoique tous les reproches qu'elle contenait ne fussent point mérités par lui. Ronsard riposta également aux malices de Saint-Gelais, dans plusieurs de ses odes. Michel de l'Hospital, alors chancelier de Marguerite, sœur de Henri II, et grand ami des novateurs, publia une longue pièce latine, où il le dépeignait comme un vieillard envieux et borné. La querelle s'envenimait de plus en plus, quand des esprits plus calmes et plus sensés, voyant avec peine la désunion qui régnait parmi des gens de lettres faits pour s'estimer, tentèrent d'opérer entre eux un rapprochement. Guillaume des Autelz fut celui qui se chargea du rôle de médiateur; ses efforts furent couronnés de succès, et Ronsard et Mellin devinrent amis, et le restèrent jusqu'à leur mort. Mellin adressa au jeune poète un sonnet flatteur, que celui-ci fit imprimer en tête de la deuxième édition de ses Sonnets, donnée en 1553, in-8°. Ronsard, de son côté, lui donna plus d'une fois des éloges dans ses vers, et lui dédia celle de ses odes qui commence par ces mots :

Toujours ne tempeste enragée

Contre ses bords la mer Egée, etc.

On y trouve, entre autres, les témoignages suivants d'estime et de réconciliation :

Las ce monstre, ce monstre d'Ire
Contre toy me força d'escrire
Et m'eslança tout irrité,

Quand d'un vers enfiellé d'ïambes
Je vomissais les aigres flambes,
De mon courage despité :

Pource, Mellin, qu'on me fit croire,
Qu'en fraudant le prix de ma gloire
Tu avais caqueté de moy,
Et que d'une longue risée
Mon œuvre, par toi mesprisée,
Ne servit que de farce au roy.
Mais ores ores que tu nies
En tant d'honnestes compaignies
N'avoir mesdit de mon labeur,
Et que ta bouche le confesse
En présence de nous, je laisse
Le despit qui m'ardoit le cœur.

Dressant à notre amitié neuve
Un autel, j'atteste le fleuve
Qui des parjures n'a pitié,
Que ni l'oubli ni le temps même
Ni la rancœur ni la mort blême,
Ne desnou'ront nostre amitié.

Ne pense donc que le temps brise
L'accord de nostre foy promise, etc.

(Odes, liv. IV, od. 21, éd. 1623.)

Joachim du Bellay, qui, dans toute cette affaire, paraît avoir été peut-être celui dont la réconciliation fut la plus sincère, lui adressa plusieurs sonnets de ses Regrets, des vers latins pleins d'élégance, qu'il fit précéder, en les publiant plus tard, de quelques lignes d'autant plus flat

teuses, qu'elles étaient parfaitement justes, et une ode, où l'on remarque ces éloges :

Mellin, que chérit et honore

La Cour du roy, plein de bonheur,
Mellin, que France avoue encore
Des muses le premier honneur,

Mellin, tes vers emmiellés

Qui aussi doux que ton nom coulent,
Au nectar des muses meslés

L'honneur de tous les autres foulent.

Pourquoi doncques si longue nuict
Veux-tu sur tes labeurs estendre,
Opprimant la voix de ton bruict

Qui malgré toy se faict entendre? Etc.

(Ode III, des Vers Lyriques de J. du Bellay.)

Enfin, la bonne harmonie se rétablit entièrement entre ce genus irritabile vatum, et Mellin garda sa considération personnelle et son influence sur l'esprit des jeunes poètes, qui ne dédaignaient pas toujours de le consulter. On s'est donc trompé, quand on a dit que, de dépit, le vieil ami de Marot ne composa plus désormais que des vers latins; il suffit de jeter les yeux sur cette partie de ses œuvres, qui est fort peu étendue, pour voir qu'il en fit à toutes les époques de sa vie, et principalement, au contraire, dans sa jeunesse.

Une fois sa paix faite avec Ronsard et son école, Mellin coula paisiblement le reste de ses jours dans la somptueuse résidence de Fontainebleau, où le retenait le soin de sa charge de bibliothécaire, au milieu de ses livres et de quelques anciens amis. Ses démêlés et la faveur croissante

de Ronsard n'avaient nullement diminué la confiance du roi, qui l'honora toujours beaucoup. C'estoit encore à lui qu'on avoit recours pour tous discours latins et françois, dit Thevet. C'est à cette même époque (1556) que Henri II, sur la demande des bibliothécaires et des savants, rendit une ordonnance bien profitable aux progrès des sciences et des lettres les libraires devaient remettre aux bibliothèques royales un exemplaire sur vélin et relié de tous les livres imprimés avec privilége. Il paraît que cette ordonnance fut, malheureusement, assez mal observée.

Le dernier des travaux de Mellin paraît avoir été la Sophonisbe. Il l'imita entièrement de l'italien du célèbre prélat Jean Georges Trissino, et n'en mit en vers que les chœurs. Brantôme préférait hautement cette traduction à l'original. Elle fut représentée à Blois, en 1556, à l'occasion des noces de M. de Cypierre, gouverneur du prince qui fut depuis Charles IX. Le même Brantôme nous apprend que la reine Catherine, qui avait été la première à organiser ces divertissements, conçut ensuite des craintes superstitieuses de la reproduction de tous ces malheurs passés ou imaginaires, et ne voulut plus désormais qu'on jouât une seule tragédie à la Cour. La Biographie universelle fixe la représentation de cette pièce à l'année 1559, mais c'est une erreur; cette date est seulement celle de son impression. Quant à la part que François Habert aurait prise à la mise en scène de l'œuvre de son ami, suivant la même Biographie, j'ignore où le fait est puisé.

Le trépas de Mellin de Saint-Gelais fut aussi tranquille que sa vie. Il vit la mort s'approcher sans crainte et sans faiblesse. Non loin de ses derniers instants, il se fit apporter son luth, et improvisa ces vers latins, qui passent avec raison pour les plus élégants qu'il ait faits en cette langue :

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