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on douta de sa sincérité, on suspecta sa conversion; et sa renommée n'en fut pas grandie auprès de la posté

rité.

Sa réputation de critique manque également de lustre : étroitesse de goût, esprit de dénigrement, ignorance, voilà ce qu'on lui reproche. Et il est certain qu'il n'est pas très instruit des Grecs, qu'il maltraite outrageusement ses ennemis personnels, et qu'en général sa critique manque de largeur et de portée. Mais il n'est pas moins vrai que son Lycée est une œuvre considérable : il témoigne du dernier état du classicisme; il est, en matière de critique littéraire, l'aboutissement de l'esprit du xvi° siècle, il forme un corps organique d'histoire et de critique; enfin la disposition même du livre en laissait voir pleinement les lacunes, et permettait d'essayer de les combler. C'est presque tout ce que l'on peut demander à ceux qui font du nouveau en ce genre. Quant à dire que sa doctrine soit fort originale, on ne le peut guère. La Harpe répète, ressasse, délaye le principe littéraire énoncé par Voltaire dans le Siècle de Louis XIV: « Le génie n'a qu'un siècle, après quoi il dégénère ». Et il voit la source de toute beauté dans « l'imitation des grands modèles ».

L'éloquence avait été restaurée par les Discours de Rousseau, puis, plus généralement, par les accents oratoires si fréquents dans la Nouvelle-Héloïse et dans l'Emile. C'était une éloquence très voisine du lyrisme, faite non seulement de la passion de convaincre, mais aussi du

besoin de parler de soi, de dire ses souffrances; éloquence individualiste sans doute, mais qui gardait cependant le caractère tout général de l'éloquence véritable, par suite même de l'orgueil démesuré de Rousseau, désireux de se faire connaître à tous, et d'imposer à tous l'admiration de ce qu'il était, l'amour de ce qu'il aimait lui

même.

Les Encyclopédistes avaient vite senti quelle puissance le rythme oratoire, le nombre et le mouvement, pouvaient seuls donner aux idées. Et, tandis que d'Alembert s'évertuait à la grandiloquence dans ses Eloges, ils gagnaient à leur cause le pompeux rhéteur Thomas. Cet honnête homme, assez benèt, ne vit dans les principes de l'Encyclopédie que matières à développements, que sujets de discours français. Le succès lui vint; il en fut étonné, et, à ses derniers moments, paraît-il, scandalisé. Sa période, quoique compassée et monotone, réhabitua le public académique au rythme de l'éloquence.

Enfin vinrent les orateurs révolutionnaires. Je ne cite que le plus grand d'entre eux, Mirabeau. Étudiez la phrase suivante; voyez combien elle comporte, combien elle commande pour ainsi dire de gestes différents, de changements dans le ton et dans le débit voilà enfin de l'éloquence, nourrie, forte, passionnée :

Dans tous les pays, dans tous les âges, les aristocrates ont implacablement poursuivi les amis du peuple; et si, par je ne sais quelle combinaison de la fortune, il s'en est élevé quelqu'un dans leur sein, c'est celui-là surtout qu'ils ont frappé, avides qu'ils étaient d'inspirer la terreur par le choix de la victime. Ainsi périt le dernier des Gracques de la main des patriciens; mais, atteint du coup mortel, il lança de la poussière vers le ciel en attestant les dieux vengeurs; et de cette poussière naquit Marius: Marius,

moins grand pour avoir exterminé les Cimbres que pour avoir abattu dans Rome l'aristocratie de la noblesse.

Voilà des accents nouveaux; voilà une puissance inconnue ou oubliée qui renaît. Les orateurs révolutionnaires n'ont assurément pas équipé de toutes pièces la génération littéraire du romantisme prête à se lever ils ont pourtant sonné en quelque sorte le clairon pour son éveil.

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