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fituation fans s'éveiller, & tourna le derrière à fon curieux. Ce changement de fituation le mit dans une cruelle perplexité. Il concluoit quelquefois que c'étoit une preuve qu'elle avoit du mépris pour lui, & qu'elle ne l'aimoit point. Pourtant, quand il confidéroit bien ce que fes livres affuroient qu'elle devoit faire pour marquer fon infidélité, il trouvoit fes conclufions injuftes, puifqu'elle ne s'étoit point éveillée en furfaut. La première chofe qu'il fit le matin, auffitôt qu'il eut quitté le lit, ce fut d'aller confulter fes livres, pour voir s'il étoit dit en effet qu'elle devoit s'éveiller en furfaut pour qu'il eût fujet de l'accufer d'infidélité; il y apprit qu'il n'avoit point du tout été trompé par fa mémoire. Après cet éclairciffement il jugea à propos de pouffer fes épreuves. auffi loin que fes lectures lui avoient donné d'inf tructions pour le faire.

Il paffa quelques jours à chercher trois fortes de pierres auxquels les fuperftitieux attribuent la vertu de faire connoître ce qu'il fouhaitoit tant d'apprendre. La première eft appelée galériate (1),

(1) Avicenne dit que fi l'on pile la pierre galériate qui fe trouve en Lybie & en Bretagne, qu'on la lave ou qu'on la faffe laver à une femme, fi elle n'eft pas chafte, elle piffera auffitôt, & non au contraire. Les admirables fecrets. d'Albert le Grand, l. 2, p. 403.

la feconde quirim (1), & la troisième bératide (2). Il ne les trouva point, quelques recherches qu'il en fît, & quelques fommes qu'il promît pour les avoir. Il fut certes bien heureux de ne pas trouver en fon chemin quelque fripon difpofé à profiter de fa fottife, car il étoit fort facile de lui vendre bien cher d'autres pierres de vil prix, fous le nom de celles qu'il demandoit puifque n'en ayant jamais vu, il n'eût pu connoître fi on l'eût trompé. Il s'informa encore s'il n'étoit pas poffible d'avoir de l'eau d'une certaine fontaine d'Ethiopie (3), à laquelle on attribue la même propriété. A peine daigna-t-on l'écouter; s'il n'avoit pas eu d'autres reffources, il auroit été inconfolable de ne pouvoir obtenir de cette eau merveilleufe, ni de ces admirables piermais fa mémoire vint à fon fecours. Il fe

res;

(1) La pierre quirim fait dire à un homme tout ce qu'il a dans l'efprit, fi on la met far fa tête pendant qu'il dort. On trouve cette pierre dans le nid des huppes, & on l'appelle ordinairement la pierre des traîtres, id. p. 10.

(2) Si on veut favoir la pensée & les deffeins des autres, on prendra la pierre bératide qui eft de couleur noire, & on la mettra dans la bouche, id. P. TOO.

(3) II y avoit en Ethiopie unc fontaine dont les eaux avoient la propriété de faire dire tout ce qu'on favoit quand on en avoit bu. Diod. Sicil.

rappela que le cœur d'un merle (1), ou le cœur & le pied droit d'un chat-huant (2), produiroient le même effet que ces pierres, ou l'eau de cette fontaine. Son valet Mornand, qui faifoit profeffion de fiffler des linottes & d'apprendre à párler à des merles & à des fanfonnets, avoit un merle parfaitement inftruit, mais haï de la plupart des voifins, parce qu'il n'y avoit point de fommeil, quelque profond qu'il fût, qui pût tenir contre le bruit qu'il faifoit. C'étoit le plus, étonnant gofier de merle qu'on eût jamais entendu. La fuperftition de M. Oufe vengea tous, ces mécontens. Il alla donc dans la chambre de Mornand, pendant que celui-ci étoit allé en ville; il prend cette pauvre bête, lui tord impitoyablement le cou, l'emporte & lui ôte le cœur. Il avoit fait chercher la veille un chat-huant dont il prit auffi le cœur & le pied droit. On ne parlera

(1) Si on met le cœur d'un merle fous la tête d'une perfonne qui dort, & qu'on l'interroge, elle dira tout haut ce qu'elle aura fait. Les admirables fecrets d'Albert le Grand, 2, p. 119. Trinum Magicum, p. 127.

(2) Si l'on met le cœur & le pied droit d'un chat-huant; fur une perfonne endermie, elle dira auffitôt tout ce qu'elle aura fait, & répondra aux demandes qu'on lui fera. Les admirables fecrets d'Albert le Grand, 1. 2, p. 110,

point ici de l'affliction de Mornand quand, à fon retour, il ne trouva point fon cher merle. Il fuffit de dire qu'il l'aimoit comme un des plus habiles élèves qu'il eût formés, & qu'il efpéroit tirer une bonne fomme d'une fi belle éducation.

Monfieur Qufle, muni de toutes ces chofes, s'alla coucher auprès de fa femme; car pendant ces épreuves il lui tint compagnie toutes les nuits. Il fe preffa de faire femblant de dormir auffitôt qu'il fut au lit, afin que ne donnant aucune diftraction à fa bonne époufe, elle fît véritablement ce qu'il ne faifoit qu'en apparence. La pauvre femme s'endormit en effet, bien éloignée de foupçonner rien de ce qu'on avoit entrepris de lui faire. Il lui lève d'abord la tête le plus doucement qu'il peut, & met deffous le cœur du merle; puis il lui fait, à voix baffe, des interrogations fur ce qu'il fouhaitoit favoir. A toutes ces demandes nulle réponse. La moitié de la nuit fe palla dans. ce ridicule manège, & il le continua pendant l'autre moitié, après avoir mis fur elle le cœur & le pied du chat-huant. Enfin voyant tous fes artifices devenus fi inutiles, il quitta prife, bien réfolu de ne plus confulter le fommeil, puifqu'il en avoit tiré fi peu de fatisfaction. On va peut être croire qu'après avoir connu la vanité & l'impofture de ces fuperftitieufes pratiques, il n'y ajouta plus de foi, & qu'il y renonça pour tou

jours; on croira affurément avec raifon que cela devoit être ainfi; mais cet homme étoit trop prévenu pour prendre un parti raisonnable. Il s'accufoit toujours lui-même de fon peu de fuccès. Il ne lui venoit point du tout dans l'efprit d'en attribuer la faute à fes livres. Auffi, bien loin de fe laffer, il reprit courage & fe propofa d'autres opérations. C'est ce qu'on va voir dans lę feptième chapitre.

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