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Les hurlemens cependant continuoient toujours, & la dame continuoit de marquer fa frayeur, & en même tems, l'impoffibilité où elle prétendoit être d'accorder ce qu'on exigeoit de fa complaifance. Un des joueurs qui perdoit le plus, pour lui ôter tout prétexte, fort l'épée à la main, afin de chaffer le loup-garou; mais dès qu'il le vit, la frayeur le faifit, il rentre, ferme la porte avec tous les verrous qu'il y put trouver, fouhaitant même, pour fa sûreté, qu'il y en eût encore davantage; il fe tint quelque tems fur l'efcalier pour rappeler fes efprits, & diffimuler fon effroi. Heureufement pour fui, M. Oufle prit parti ailleurs. Notre brave ne l'entendant plus, monte audacieufement dans la chambre du jeu, y fait un grand détail d'un combat imaginaire, & fort à propos inventé, montre même du fang qui fortoit d'une bleffure qu'il s'étoit faite à la main, en fermant la porte avec trop de précipitation; affure enfin qu'il avoit donné tant de peur à cette horrible bête, qu'elle avoit été forcée de prendre la fuite & de fe retirer; & ainfi, il prouva à la dame alarmée, qu'elle devoit fe raffurer & continuer de jouer, fans rien craindre.. On le crut fur fa parole, mais on ne lui accorda pas ce qu'il fouhaitoit. Il eut beau dire, cette femme ne fe rendit point; le jeu fut remis à un autre jour. La dame cependant, en emportant l'argent qu'elle avoit gagné ( car fa peur & fes

vapeurs

ne l'empêchèrent pas de fe reffouvenir qu'elle avoit fait un gros gain, & qu'il étoit à propos de l'emporter,) demanda, afin de foutenir jufqu'au bout la comédie qu'elle avoit jouée, une escorte pour la conduire chez elle. Comme elle étoit jolie, de jeunes gens de l'affemblée fe préfentèrent pour lui rendre ce fervice. Les vapeurs la prirent encore dans le carroffe, par la crainte de trouver cę formidable loup-garou en chemin. Ceux qui la conduifoient firent de leur mieux le leur mieux pour la foulager; & enfin ils la remirent faine & fauve dans fa maifon. Pendant tout ce manège M, Oufle alloit toujours fon train, fans s'informer, comme on dois croire, de ce qui fe paffoit à fon fujet. On va rapporter le refte des aventures de fes courfes, comme loup-garou, dans le cinquième chapitre.

CHAPITRE V.

Fin des aventures de M. Oufle, loup-garou

COMME

OMME on craint d'ennuyer les lecteurs, en traitant trop long-tems d'une même matière, & qu'on a un très-grand nombre d'autres chofes à rapporter, on ne donnera point une defcription exacte de toutes les frayeurs qu'il fit cette nuit en qualité de loup-garou; & ainfi on paffe fous filence des bourgeois qui venoient de fouper en ville; un homme d'affaires, qui après avoir laiffé fa femme dormant tranquillement dans fon lit alloit trouver incognito une maîtreffe qui lui coutoit elle feulę autant que tout fon ménage enfemble; un vieux feigneur qui étoit dans un fiacre, & qui s'étoit dépouillé de tout l'appareil de fa grandeur, afin de voir fans embarras une petite grifette; trois, foi-difant abbés, qui chantoient mélodieufement certaines paroles qu'ils n'avoient pas affurément apprifes fur le lutrin; quelques amans qui reconduifoient leurs ma treffes, en marchant le plus lentement qu'ils pouvoient, afin de ne pas fe féparer trop tôt; un chimifte qui venoit de fouffler chez un grand, & qui emportoit de chez celui-ci plus d'argent qu'il

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n'y en auroit pu jamais produire; enfin tous gens à qui notre loup-garou donna fi vigoureufement la chaffe, qu'il les obligea de retourner bien vîte fur leurs pas, & d'alonger beaucoup leur chemin, en prenant des rues détournées, afin de ne plus courir rifque de le rencontrer. On paffera, dis-je, fous filence toutes ces petites aventures, pour s'arrêter feulement à deux de plus grande importance, que voici :

Un homme de confidération courant la pofte dans une chaife, & étant efcorté de deux cavaliers qui couroient avec lui, trouva dans fon paffage ce malheureux loup-garou. Les chevaux reculent fi promptement, & fe cabrent de telle forte, qu'ils renverfent les cavaliers par terre. L'homme de la chaife voyant ce fpectacle, & en même tems cette prétendue effroyable bête, fort avec précipitation, le loup fe jette tantôt fur l'un, tantôt fur l'autre, puis fur les chevaux, fans leur faire tant d'autre mal que de la peur. Après les avoir houfpillés à fon aife; car ils étoient fi effrayés, que pas un n'eut le courage de fe défendre, il fe met à hurler, comme s'il eût voulu par-là chan¬ ter la victoire qu'il venoit de remporter. Les chevaux cependant prennent le mors aux dents, & s'enfuient avec tant de légèreté, même ceux qui traînoient la chaife, qu'on auroit cru qu'ils fortoient de l'écurie, & qu'il y avoit plus d'un mois

pour

qu'ils n'avoient marché. Les hommes, de leur côté, ne furent pas moins diligens à courir, & M. Oufle à les fuivre. Enfin ils fe jetèrent tous dans une allée qu'ils trouvèrent ouverte, & fermèrent la porte fur eux. Le loup, qui n'avoit pu entrer avec eux dans cette allée, hurle plufieurs fois de toutes fes forces; une infinité de têtes en bonnet & en cornettes de nuit, pareiffent aux fenêtres, pour voir ce qui caufoit un fi grand fracas, mais toutes ces têtes fe retirèrent bien vîte; & malheureusement une fe trouva prife fous un chaffis qui tomba, parce que celui qui l'avoit levé ne s'étoit pas donné le tems de l'arrêter. Cette pauvre tête crioit épouvantablement, le loupgarou répondoit à cette voix plaintive, par des hurlemens, ce qui faifoit la plus horrible mufique du monde; on n'avoit jamais entendu un pareil duo. Perfonne n'ofoit ouvrir fa fenêtre, & regarder dans la rue, parce qu'entendant les cris de ce voisin affligé, on croyoit que c'étoit la bête qui le tenoit à la gorge. Heureufement un domestique étant entré dans la chambre, voit fon maître dans cette douloureufe fituation, lève promptement le chaffis, & le délivre du fupplice que lui avoit caufé fa curiofité funefte.

M. Oufle, après avoir donné une fi furieufe, alarme dans ce quartier, en alla chercher un autre, pour y promener fes vifions.

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