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Chacun se dit ami; mais fou qui s'y repose:
Rien n'est plus commun que ce nom,
Rien n'est plus rare que la chose.

VII. LE CERF ET LA VIGNE.

Un cerf, à la faveur d'une vigne fort haute,
Et telle qu'on en voit en de certains climats,
S'étant mis à couvert et sauvé du trépas,

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Les veneurs, pour ce coup, croyaient leurs chiens en faute:
Ils les rappellent donc. Le cerf, hors de danger,
Broute sa bienfaitrice: ingratitude extrême!
On l'entend; on retourne, on le fait déloger:
Il vient mourir en ce lieu même.

J'ai mérité, dit-il, ce juste châtiment :
Profitez-en, ingrats. Il tombe en ce moment.
La meute en fait curée: il lui fut inutile
De pleurer aux veneurs à sa mort arrivés.

Vraie image de ceux qui profanent l'asile
Qui les a conservés.

ΤΟ

VIII. LES VOLEURS ET L'ANE.

Pour un âne enlevé deux voleurs se battaient :
L'un voulait le garder, l'autre le voulait vendre.

Tandis que coups de poing trottaient,
Et que nos champions songeaient à se défendre,
Arrive un troisième larron

Qui saisit maître aliboron.

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L'âne, c'est quelquefois une pauvre province:

Les voleurs sont tel et tel prince,

Comme le Transilvain, le Turc, et le Hongrois.

Au lieu de deux, j'en ai rencontré trois :

Il est assez de cette marchandise.

De nul d'eux n'est souvent la province conquise :
Un quart voleur survient, qui les accorde net
En se saisissant du baudet.

IX.-L'ANE VÊTU DE LA PEAU DU LION.

De la peau du lion l'âne s'étant vêtu,
Etait craint partout à la ronde ;
Et bien qu'animal sans vertu,

Il faisait trembler tout le monde.

Un petit bout d'oreille échappé par malheur
Découvrit la fourbe et l'erreur :

Martin fit alors son office.

ΙΟ

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Ceux qui ne savaient pas la ruse et la malice
S'étonnaient de voir que Martin

Chassât les lions au moulin.

Force gens font du bruit en France

Par qui cet apologue est rendu familier.
Un équipage cavalier

Fait les trois quarts de leur vaillance.

ΙΟ

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X.-LA GRENOUILLE QUI SE VEUT FAIRE AUSSI GROSSE

QUE LE BUF.

Une grenouille vit un bœuf

Qui lui sembla de belle taille.

Elle, qui n'était pas grosse en tout comme un oeuf, Envieuse, s'étend, et s'enfle, et se travaille

Pour égaler l'animal en grosseur;

Disant: Regardez bien, ma sœur ;

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Est-ce assez? dites-moi; n'y suis-je point encore ?—

Nenni.-M'y voici donc ?-Point du tout.-M'y voilà ? Vous n'en approchez point. La chétive pécore

S'enfla si bien qu'elle creva.

Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages :
Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs ;
Tout petit prince a des ambassadeurs ;
Tout marquis veut avoir des pages.

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XI. LE GEAI PARÉ DES PLUMES DU PAON.

Un paon muait: un geai prit son plumage;
Puis après se l'accommoda;

Puis parmi d'autres paons tout fier se panada,
Croyant être un beau personnage.

Quelqu'un le reconnut: il se vit bafoué,
Berné, sifflé, moqué, joué,

Et par messieurs les paons plumé d'étrange sorte;
Même vers ses pareils s'étant réfugié,

Il fut par eux mis à la porte.

Il est assez de geais à deux pieds comme lui,
Qui se parent souvent des dépouilles d'autrui,
Et que l'on nomme plagiaires.

Je m'en tais, et ne veux leur causer nul ennui :
Ce ne sont pas là mes affaires.

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ΙΟ

XII. LE CHEVAL ET L'ANE.

En ce monde il se faut l'un l'autre secourir :
Si ton voisin vient à mourir,

C'est sur toi que le fardeau tombe.

Un âne accompagnait un cheval peu courtois,
Celui-ci ne portant que son simple harnois,
Et le pauvre baudet si chargé qu'il succombe.
Il pria le cheval de l'aider quelque peu ;
Autrement il mourrait devant qu'être à la ville.
"La prière, dit-il, n'en est pas incivile :
Moitié de ce fardeau ne vous sera que jeu."

Le cheval refusa, fit une pétarade;

Tant qu'il vit sous le faix mourir son camarade,
Et reconnut qu'il avait tort.

Du baudet en cette aventure
On lui fit porter la voiture,
Et la peau par-dessus encor.

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XIII.-LE LOUP ET LA CIGOGNE.

Les loups mangent gloutonnement.
Un loup donc étant de frairie
Se pressa, dit-on, tellement

Qu'il en pensa perdre la vie :

Un os lui demeura bien avant au gosier.

De bonheur pour ce loup, qui ne pouvait crier,

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