Qui, de le voir s'aventurant, Osa bien quitter sa tanière. Elle approcha, mais en tremblant. Une autre la suivit, une autre en fit autant: Et leur troupe à la fin se rendit familière Jusqu'à sauter sur l'épaule du roi. Le bon sire le souffre et se tient toujours coi. Qui les croque, qui les tue, Qui les gobe à son plaisir; Et grenouilles de se plaindre, Et Jupin de leur dire: "Eh quoi! votre désir Vous avez dû premièrement Garder votre gouvernement; Mais ne l'ayant pas fait, il vous devait suffire De peur d'en rencontrer un pire." LVIII.-L'ANE ET LE CHIEN. Il se faut entr'aider; c'est la loi de nature. Car il est bonne créature. Il allait par pays, accompagné du chien, Gravement, sans songer à rien; Tous deux suivis d'un commun maître. Ce maître s'endormit. L'âne se mit à paître : Il était alors dans un pré Dont l'herbe était fort à son gré. ΙΟ Point de chardons pourtant; il s'en passa pour l'heure: Il ne faut pas toujours être si délicat ; Et faute de servir ce plat, Rarement un festin demeure. Notre baudet s'en sut enfin Passer pour cette fois. Le chien mourant de faim, Il fit longtemps la sourde oreille. Enfin il répondit: "Ami, je te conseille D'attendre que ton maître ait fini son sommeil; Ta portion accoutumée : Il ne saurait tarder beaucoup.' Sur ces entrefaites un loup Sort du bois, et s'en vient: autre bête affamée. Tu l'étendras tout plat." Pendant ce beau discours, Je conclus qu'il faut qu'on s'entr'aide. LIX.-L'EIL DU MAÎTRE. Un cerf, s'étant sauvé dans une étable à bœufs, Fut d'abord averti par eux Qu'il cherchât un meilleur asile. Mes frères, leur dit-il, ne me décelez pas : Et vous n'en aurez point regret. Les bœufs, à toutes fins, promirent le secret. Comme l'on faisait tous les jours: L'on va, l'on vient, les valets font cent tours, Ni cerf enfin. L'habitant des forêts Rend déjà grâce aux boeufs, attend dans cette étable. Il trouve pour sortir un moment favorable. L'un des boeufs ruminant lui dit: "Cela va bien; Mais quoi! l'homme aux cent yeux n'a pas Je crains fort pour toi sa venue; 5 ΙΟ 15 fait sa revue: 20 Jusque-là, pauvre cerf, ne te vante de rien." Qu'est-ce ci? dit-il à son monde; Je trouve bien peu d'herbe en tous ces râteliers. Ses larmes ne sauraient la sauver du trépas. Phèdre sur ce sujet dit fort élégamment: "Il n'est, pour voir, que l'œil du maître.” Quant à moi, j'y mettrais encor l'œil de l'amant. LX.-LE LION ET LE MOUCHERON. "Va-t'en, chétif insecte, excrément de la terre !" Parlait un jour au moucheron. "Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de roi Un bœuf est plus puissant que toi : A peine il achevait ces mots 5 Que lui-même il sonna la charge, Dans l'abord il se met au large; Puis prend son temps, fond sur le cou Le quadrupède écume, et son œil étincelle; Il rugit. On se cache, on tremble à l'environ; Est l'ouvrage d'un moucheron. Un avorton de mouche én cent lieux le harcèle ; Tantôt entre au fond du naseau. La rage alors se trouve à son faîte montée. Il y rencontre aussi sa fin. Quelle chose par là nous peut être enseignée ? 30 35 |