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Aussitôt fait que dit: Raton, avec sa patte,

D'une manière délicate,

Écarte un peu la cendre, et retire les doigts;

Puis les reporte à plusieurs fois,

Tire un marron, puis deux, et puis trois en escroque ;
Et cependant Bertrand les croque.

Une servante vient: adieu mes gens. Raton
N'était pas content, ce dit-on.

Aussi ne le sont pas la plupart de ces princes
Qui, flattés d'un pareil emploi,
Vont s'échauder en des provinces
Pour le profit de quelque roi.

XLI.-LE BERGER ET SON TROUPEAU.

"Quoi! toujours il me manquera

Quelqu'un de ce peuple imbécile !

Toujours le loup m'en gobera!

J'aurai beau les compter! ils étaient plus de mille,
Et m'ont laissé ravir notre pauvre Robin!

Robin mouton, qui par la ville

Me suivait pour un peu de pain,

Et qui m'aurait suivi jusques au bout du monde !
Hélas! de ma musette il entendait le son;

Il me sentait venir de cent pas à la ronde.
Ah! le pauvre Robin mouton !"

Quand Guillot eut fini cette oraison funèbre,
Et rendu de Robin la mémoire célèbre,

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Il harangua tout le troupeau,

Les chefs, la multitude, et jusqu'au moindre agneau, 15

Les conjurant de tenir ferme :

Cela seul suffirait pour écarter les loups.

Foi de peuple d'honneur ils lui promirent tous
De ne bouger non plus qu'un terme.

"Nous voulons, dirent-ils, étouffer le glouton
Qui nous a pris Robin mouton."
Chacun en répond sur sa tête.
Guillot les crut, et leur fit fête.
Cependant, devant qu'il fût nuit,

Il arriva nouvel encombre :

Un loup parut; tout le troupeau s'enfuit. Ce n'était pas un loup, ce n'en était

que l'ombre.

Haranguez de méchants soldats;

Ils promettront de faire rage:

Mais, au moindre danger, adieu tout leur courage;
Votre exemple et vos cris ne les retiendront pas.

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XLII. LE RENARD ET LE BOUC.

Capitaine renard allait de compagnie

Avec son ami bouc des plus haut encornés :
Celui-ci ne voyait pas plus loin que son nez;
L'autre était passé maître en fait de tromperie.
La soif les obligea de descendre en un puits:
Là, chacun d'eux se désaltère.

Après qu'abondamment tous deux en eurent pris,

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Le renard dit au bouc: Que ferons-nous, compère?
Ce n'est pas tout de boire, il faut sortir d'ici.
Lève tes pieds en haut, et tes cornes aussi ;
Mets-les contre le mur: le long de ton échine
Je grimperai premièrement;

Puis sur tes cornes m'élevant,
A l'aide de cette machine,
De ce lieu-ci je sortirai,

Après quoi je t'en tirerai.

Par ma barbe, dit l'autre, il est bon; et je loue

Les

gens bien sensés comme toi.

Je n'aurais jamais, quant à moi,

Trouvé ce secret, je l'avoue.

Le renard sort du puits, laisse son compagnon,

Et vous lui fait un beau sermon

Pour l'exhorter à patience.

Si le ciel t'eût, dit-il, donné par excellence

Autant de jugement que de barbe au menton,

Tu n'aurais pas, à la légère,

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Descendu dans ce puits. Or, adieu; j'en suis hors: Tâche de t'en tirer, et fais tous tes efforts;

Car, pour moi, j'ai certaine affaire

Qui ne me permet pas d'arrêter en chemin.

En toute chose il faut considérer la fin.

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XLIII.-LE POT DE TERRE ET LE POT DE FER.

Le pot de fer proposa

Au pot de terre un voyage.

Celui-ci s'en excusa,

Disant qu'il ferait que sage

De garder le coin du feu :
Car il lui fallait si peu,

Si

peu que la moindre chose
De son débris serait cause:
Il n'en reviendrait morceau.
"Pour vous, dit-il, dont la peau
Est plus dure que la mienne,
Je ne vois rien qui vous tienne.
-Nous vous mettrons à couvert,
Repartit le pot de fer:
Si quelque matière dure
Vous menace d'aventure,
Entre deux je passerai,
Et du coup vous sauverai."
Cette offre le persuade.

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Pot de fer son camarade

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Se met droit à ses côtés.

Mes gens s'en vont à trois pieds
Clopin clopant comme ils peuvent,
L'un contre l'autre jetés

Au moindre hoquet qu'ils treuvent.

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Le pot de terre en souffre; il n'eut pas fait cent pas Que par son compagnon il fut mis en éclats,

Sans qu'il eût lieu de se plaindre.

Ne nous associons qu'avecque nos égaux;
Ou bien il nous faudra craindre

Le destin d'un de ces pots.

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XLIV. LE CHÊNE ET LE ROSEAU.

Le chêne un jour dit au roseau :
"Vous avez bien sujet d'accuser la nature;
Un roitelet pour vous est un pesant fardeau :
Le moindre vent qui d'aventure
Fait rider la face de l'eau,

Vous oblige à baisser la tête;

Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du soleil,

Brave l'effort de la tempête.

Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr.

Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage

Dont je couvre le voisinage,
Vous n'auriez pas tant à souffrir;
Je vous défendrais de l'orage:

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Mais vous naissez le plus souvent Sur les humides bords des royaumes du vent. La nature envers vous me semble bien injuste. -Votre compassion, lui répondit l'arbuste, Part d'un bon naturel; mais quittez ce souci : Les vents me sont moins qu'à vous redoutables; 20 Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici Contre leurs coups épouvantables

Résisté sans courber le dos;

Mais attendons la fin." Comme il disait ces mots,
Du bout de l'horizon accourt avec furie

Le plus terrible des enfants

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