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Puis fait un long repli, puis tâche à faire un saut
Contre son bienfaiteur, son sauveur, et son père.
Ingrat, dit le manant, voilà donc mon salaire !

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Tu mourras ! A ces mots, plein d'un juste courroux,
Il vous prend sa cognée, il vous tranche la bête;
Il fait trois serpents de deux coups,
Un tronçon, la queue, et la tête.
L'insecte, sautillant, cherche à se réunir;
Mais il ne put y parvenir.

Il est bon d'être charitable :

Mais envers qui? c'est là le point.
Quant aux ingrats, il n'en est point
Qui ne meure enfin misérable.

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XXXVII.-LE LOUP ET L'AGNEAU.

La raison du plus fort est toujours la meilleure :
Nous l'allons montrer tout à l'heure.

Un agneau se désaltérait

Dans le courant d'une onde pure.

Un loup survient à jeun, qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.

"Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage?
Dit cet animal plein de rage:

Tu seras châtié de ta témérité."

"—Sire, répond l'agneau, que votre majesté
Ne se mette pas en colère;

Mais plutôt qu'elle considère
Que je me vas désaltérant

Dans le courant,

Plus de vingt pas au-dessous d'elle;
Et que, par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson."

"Tu la troubles! reprit cette bête cruelle;
Et je sais que de moi tu médis l'an passé."
"Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né?
Reprit l'agneau; je tette encor ma mère."

"Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.-"

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"Je n'en ai point."-" C'est donc quelqu'un des

tiens;

Car vous ne m'épargnez guère,

Vous, vos bergers, et vos chiens.

On me l'a dit : il faut que je me venge."

Là-dessus, au fond des forêts

Le loup l'emporte, et puis le mange

Sans autre forme de procès.

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LE LOUP, LA CHÈVRE ET LE CHEVREAU. 35

XXXVIII.-LE LOUP, LA CHÈVRE ET LE

CHEVREAU.

La bique, allant remplir sa traînante mamelle,

Et paître l'herbe nouvelle,

Ferma sa porte au loquet,
Non sans dire à son biquet:
Gardez-vous, sur votre vie,
D'ouvrir que l'on ne vous die,
Pour enseigne et mot du guet :
'Foin du loup et de sa race!''
Comme elle disait ces mots,
Le loup, de fortune, passe;
Il les recueille à propos,

Et les garde en sa mémoire.

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La bique, comme on peut croire,

N'avait pas vu le glouton.

Dès qu'il la voit partie, il contrefait son ton,

Et, d'une voix papelarde,

Il demande qu'on ouvre, en disant: "Foin du loup!"
Et croyant entrer tout d'un coup.

Le biquet soupçonneux par la fente regarde :
"Montrez-moi patte blanche, ou je n'ouvrirai point,"
S'écria-t-il d'abord. Patte blanche est un point
Chez les loups, comme on sait, rarement en usage.
Celui-ci, fort surpris d'entendre ce langage,
Comme il était venu s'en retourna chez soi,
Où serait le biquet s'il eût ajouté foi

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Au mot du guet que, de fortune,
Notre loup avait entendu ?

Deux sûretés valent mieux qu'une Et le trop en cela ne fut jamais perdu.

XXXIX.-L'ANE ET LE PETIT CHIEN.

Ne forçons point notre talent;
Nous ne ferions rien avec grâce:
Jamais un lourdaud, quoi qu'il fasse,
Ne saurait passer pour galant.

Peu de gens, que le ciel chérit et gratifie,
Ont le don d'agréer infus avec la vie.

C'est un point qu'il leur faut laisser,
Et ne pas ressembler à l'âne de la fable,

Qui, pour se rendre plus aimable

Et plus cher à son maître, alla le caresser.

"Comment! disait-il en son âme,

Ce chien, parce qu'il est mignon,
Vivra de pair à compagnon
Avec monsieur, avec madame;
Et j'aurai des coups de bâton!
Que fait-il? il donne la patte;

Puis aussitôt il est baisé :

S'il en faut faire autant afin que l'on me flatte,

Cela n'est pas bien malaisé."

Dans cette admirable pensée,

Voyant son maître en joie, il s'en vient lourdement,

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Lève une corne tout usée,

La lui porte au menton fort amoureusement,
Non sans accompagner, pour plus grand ornement,
De son chant gracieux cette action hardie.
"Oh! oh! quelle caresse! et quelle mélodie!
Dit le maître aussitôt. Holà, Martin-bâton !"
Martin-bâton accourt: l'âne change de ton.
Ainsi finit la comédie.

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XL.-LE SINGE ET LE CHAT.

Bertrand avec Raton, l'un singe et l'autre chat,
Commensaux d'un logis, avaient un commun maître.
D'animaux malfaisants c'était un très-bon plat:
Ils n'y craignaient tous deux aucun, quel qu'il pût être.
Trouvait-on quelque chose au logis de gâté,

L'on ne s'en prenait point aux gens du voisinage :
Bertrand dérobait tout; Raton, de son côté,
Était moins attentif aux souris qu'au fromage.
Un jour, au coin du feu, nos deux maîtres fripons
Regardaient rôtir des marrons.

Les escroquer était une très-bonne affaire :
Nos galants y voyaient double profit à faire;
Leur bien premièrement, et puis le mal d'autrui.
Bertrand dit à Raton: "Frère, il faut aujourd'hui

Que tu fasses un coup de maître;

Tire-moi ces marrons. Si Dieu m'avait fait naître
Propre à tirer marrons du feu,

Certes, marrons verraient beau jeu."

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