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A la tempête de sa voix;

L'air en retentissait d'un bruit épouvantable :

La frayeur saisissait les hôtes de ces bois;

Tous fuyaient, tous tombaient au piège inévitable
Où les attendait le lion.

"N'ai-je pas bien servi dans cette occasion ?

Dit l'âne en se donnant tout l'honneur de la chasse.
—Oui, reprit le lion, c'est bravement crié ;
Si je ne connaissais ta personne et ta race,
J'en serais moi-même effrayé."

L'âne, s'il eût osé, se fût mis en colère,
Encor qu'on le raillât avec juste raison ;
Car qui pourrait souffrir un âne fanfaron?
Ce n'est pas là leur caractère.

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XXXIII.-LE PAON SE PLAIGNANT À JUNON.

Le paon se plaignait à Junon.
Déesse, disait-il, ce n'est pas sans raison
Que je me plains, que je murmure :
Le chant dont vous m'avez fait don
Déplaît à toute la nature;

Au lieu qu'un rossignol, chétive créature,
Forme des sons aussi doux qu'éclatants,
Est lui seul l'honneur du printemps.
Junon répondit en colère :

Oiseau jaloux, et qui devrais te taire,
Est-ce à toi d'envier la voix du rossignol,
"oi que l'on voit porter à l'entour de ton col

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LE RAT DE VILLE ET LE RAT DES CHAMPS.

Un arc-en-ciel nué de cent sortes de soies;

Qui te panades, qui déploies

Une si riche queue et qui semble à nos yeux
La boutique d'un lapidaire?

Est-il quelque oiseau sous les cieux

Plus que toi capable de plaire?

Tout animal n'a pas toutes propriétés.

Nous vous avons donné diverses qualités :
Les uns ont la grandeur et la force en partage;
Le faucon est léger, l'aigle plein de courage;

Le corbeau sert pour le présage;

La corneille avertit des malheurs à venir;

Tous sont contents de leur ramage.

Cesse donc de te plaindre; ou bien pour te punir, Je t'ôterai ton plumage.

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XXXIV.-LE RAT DE VILLE ET LE RAT DES CHAMPS.

Autrefois le rat de ville
Invita le rat des champs,
D'une façon fort civile,
A des reliefs d'ortolans.

Sur un tapis de Turquie
Le couvert se trouva mis.
Je laisse à penser la vie
Que firent ces deux amis.

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"Mais rien ne vient m'interrompre ; 25

Je mange tout à loisir.

Adieu donc. Fi du plaisir

Que le crainte peut corrompre !"

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XXXV.-LE RENARD ET LA CIGOGNE.

Compère le renard se mit un jour en frais,
Et retint à dîner commère la cigogne.
Le régal fut petit et sans beaucoup d'apprêts:
Le galant, pour tout besogne,

Avait un brouet clair; il vivait chichement.
Ce brouet fut par lui servi sur une assiette :
La cigogne au long bec n'en put attraper miette;
Et le drôle eut lapé le tout en un moment.

Pour se venger de cette tromperie,

A quelque temps de là, la cigogne le prie.
"Volontiers, lui dit-il; car avec mes amis
Je ne fais point cérémonie."

A l'heure dite, il courut au logis
De la cigogne son hôtesse;
Loua très-fort sa politesse ;

Trouva le dîner cuit à point.

Bon appétit surtout; renards n'en manquent point.

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ΙΟ

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Il se réjouissait à l'odeur de la viande

Mise en menus morceaux, et qu'il croyait friande.
On servit, pour l'embarrasser,

En un vase à long col et d'étroite embouchure.
Le bec de la cigogne y pouvait bien passer;
Mais le museau du sire était d'autre mesure.
Il lui fallut à jeun retourner au logis,

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Honteux comme un renard qu'une poule aurait pris, 25 Serrant la queue, et portant bas l'oreille.

Trompeurs, c'est pour vous que j'écris :
Attendez-vous à la pareille.

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XXXVI.—LE VILLAGEOIS ET LE SERPENT.

Ésope conte qu'un manant
Charitable autant que peu sage,
Un jour d'hiver se promenant

A l'entour de son héritage,

Aperçut un serpent sur la neige étendu,
Transi, gelé, perclus, immobile rendu,

N'ayant pas à vivre un quart d'heure.

Le villageois le prend, l'emporte en sa demeure ;
Et, sans considérer quel sera le loyer

D'une action de ce mérite,
Il l'étend le long du foyer,
Le réchauffe, le ressuscite.

L'animal engourdi sent à peine le chaud,
Que l'âme lui revient avecque la colère.

Il lève un peu la tête, et puis siffle aussitôt ;

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