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Je vois fort bien comme l'on entre,

Et ne vois pas comme on en sort."

XXVIII.-L'HUÎTRE ET LES PLAIDEURS.

Un jour deux pèlerins sur le sable rencontrent
Une huître, que le flot y venait d'apporter :
Ils l'avalent des yeux, du doigt ils se la montrent;
A l'égard de la dent, il fallut contester.
L'un se baissait déjà pour ramasser la proie;
L'autre le pousse, et dit: "Il est bon de savoir
Qui de nous en aura la joie.

Celui qui le premier a pu l'apercevoir

En sera le gobeur; l'autre le verra faire.

-Si par là l'on juge l'affaire,

Reprit son compagnon, j'ai l'œil bon, Dieu merci.
-Je ne l'ai pas mauvais aussi,

Dit l'autre ; et je l'ai vue avant vous, sur ma vie.
-Hé bien! vous l'avez vue; et moi je l'ai sentie."
Pendant tout ce bel incident,

Perrin Dandin arrive: ils le prennent pour juge.
Perrin fort gravement, ouvre l'huître, et la gruge,
Nos deux messieurs le regardant.

Ce repas fait, il dit, d'un ton de président :

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Tenez, la cour vous donne à chacun une écaille

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Sans dépens; et qu'en paix chacun chez soi s'en aille."
Mettez ce qu'il en coûte à plaider aujourd'hui ;
Comptez ce qu'il en reste à beaucoup de familles :
Vous verrez que Perrin tire l'argent à lui,

Et ne laisse aux plaideurs que le sac et les quilles.

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Petit poisson deviendra grand,
Pourvu que Dieu lui prête vie;
Mais le lâcher en attendant,

Je tiens pour moi que c'est folie;

Car de le rattraper il n'est pas trop certain.

Un carpeau, qui n'était encore que fretin,

Fut pris par un pêcheur au bord d'une rivière.
Tout fait nombre, dit l'homme en voyant son butin;
Voilà commencement de chère et de festin:

Mettons-le en notre gibecière.

Le pauvre carpillon lui dit en sa manière :
Que ferez-vous de moi? Je ne saurais fournir
Au plus qu'une demi-bouchée.

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LE RENARD ET LES POULETS D'INDE.

Laissez-moi carpe devenir;

Je serai par vous repêchée;

Quelque gros partisan m'achètera bien cher:

Au lieu qu'il vous en faut chercher

Peut-être encor cent de ma taille

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Pour faire un plat: quel plat! croyez-moi, rien qui vaille.
Rien qui vaille! eh bien, soit, repartit le pêcheur :
Poisson, mon bel ami, qui faites le prêcheur,
Vous irez dans la poêle; et, vous avez beau dire,
Dès ce soir on vous fera frire.

Un Tiens vaut, ce dit-on, mieux que deux Tu l'auras : L'un est sûr; l'autre ne l'est pas.

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XXX.-LE RENARD ET LES POULETS D'INDE.

Contre les assauts d'un renard

Un arbre à des dindons servait de citadelle.

Le perfide ayant fait tout le tour du rempart,
Et vu chacun en sentinelle,

S'écria: "Quoi! ces gens se moqueront de moi!
Eux seuls seront exempts de la commune loi!
Non, par tous les dieux! non." Il accomplit son dire.
La lune, alors luisant, semblait, contre le sire,
Vouloir favoriser la dindonnière gent.
Lui, qui n'était novice au métier d'assiégeant,
Eut recours à son sac de ruses scélérates,
Feignit vouloir gravir, se guinda sur ses pattes,
Puis contrefit le mort, puis le ressuscité.

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Arlequin n'eût exécuté

Tant de différents personnages.

Il élevait sa queue, il la faisait briller,

Et cent mille autres badinages,

Pendant quoi nul dindon n'eût osé sommeiller.
L'ennemi les lassait en leur tenant la vue

Sur même objet toujours tendue.

Les pauvres gens étant à la longue éblouis,
Toujours il en tombait quelqu'un : autant de pris,
Autant de mis à part: près de moitié succombe.
Le compagnon les porte en son garde-manger.

Le trop d'attention qu'on a pour le danger
Fait le plus souvent qu'on y tombe.

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XXXI.-LE LIÈVRE ET LA PERDRIX.

Il ne se faut jamais moquer des misérables,
Car qui peut s'assurer d'être toujours heureux?
Le sage Ésope dans ses fables

Nous en donne un exemple ou deux.
Celui qu'en ces vers je propose,

Et les siens, ce sont même chose.

Le lièvre et la perdrix, concitoyens d'un champ,
Vivaient dans un état, ce semble, asscz tranquille,

Quand une meute s'approchant

Oblige le premier à chercher un asile :

Il s'enfuit dans son fort, met les chiens en défaut,
Sans même en excepter Brifaut.

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Enfin il se trahit lui-même

Par les esprits sortant de son corps échauffé.
Miraut, sur leur odeur ayant philosophé,

Conclut que c'est son lièvre, et d'une ardeur extrême

Il le pousse; et Rustaut, qui n'a jamais menti,

Dit que le lièvre est reparti.

Le pauvre malheureux vient mourir à son gîte.
La perdrix le raille et lui dit :

Tu te vantais d'être si vite !

Qu'as-tu fait de tes pieds?" Au moment qu'elle rit,
Son tour vient; on la trouve. Elle croit que ses ailes
La sauront garantir à toute extrémité;

Mais la pauvrette avait compté
Sans l'autour aux serres cruelles.

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XXXII.-LE LION ET L'ANE CHASSANT.

Le roi des animaux se mit un jour en tête
De giboyer; il célébrait sa fête.

Le gibier du lion, ce ne sont pas moineaux,

Mais beaux et bons sangliers, daims et cerfs bons et beaux. Pour réussir dans cette affaire

Il se servit du ministère

De l'âne à la voix de Stentor.

L'âne à messer lion fit office de cor.

Le lion le posta, le couvrit de ramée,

Lui commanda de braire, assuré qu'à ce son
Les moins intimidés fuiraient de leur maison.
Leur troupe n'était pas encore accoutumée

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