Par grand hasard en étant échappé, Non pas franc, car pour gage il y laissa sa queue; S'étant, dis-je, sauvé sans queue, et tout honteux, Pour avoir des pareils (comme il était habile), Un jour que les renards tenaient conseil entre eux : "Que faisons-nous, dit-il, de ce poids inutile, Et qui va balayant tous les sentiers fangeux ? Que nous sert cette queue? il faut qu'on se la coupe: Si l'on me croit, chacun s'y résoudra. -Votre avis est fort bon, dit quelqu'un de la troupe: Que le pauvre écourté ne put être entendu. 5 ΙΟ 15 XIX.-LES DEUX MULETS. Deux mulets cheminaient, l'un d'avoine chargé, Celui-ci, glorieux d'une charge si belle, N'eût voulu pour beaucoup en être soulagé. Et faisait sonner sa sonnette, Sur le mulet du fisc une troupe se jette, 5 ΙΟ Le mulet, en se défendant, Se sent percé de coups; il gémit, il soupire. Ami, lui dit son camarade, Il n'est pas toujours bon d'avoir un haut emploi : 15 XX.-LE LION ET LE CHASSEUR. Un fanfaron, amateur de la chasse, 5 ΙΟ 15 La vraie épreuve de courage N'est que dans le danger que l'on touche du doigt: Tel le cherchait, dit-il, qui, changeant de langage, S'enfuit aussitôt qu'il le voit. XXI. LA MORT ET LE BÛCHERON. Un pauvre bûcheron, tout couvert de ramée, Le créancier, et la corvée, Lui font d'un malheureux la peinture achevée. "C'est, dit-il, afin de m'aider A recharger ce bois; tu ne tarderas guère." Le trépas vient tout guérir; Mais ne bougeons d'où nous sommes : C'est la devise des hommes. 5 ΙΟ 15 XXII.-LES DEUX RATS, LE RENARD ET L'EUF. Deux rats cherchaient leur vie; ils trouvèrent un œuf. Le dîner suffisait à gens de cette espèce : Il n'était pas besoin qu'ils trouvassent un bœuf. Pleins d'appétit et d'allégresse, Ils allaient de leur œuf manger chacun sa part, Car comment sauver l'œuf? Le bien empaqueter, C'était chose impossible autant que hasardeuse. Leur fournit une invention. Comme ils pouvaient gagner leur habitation, L'un se mit sur le dos, prit l'œuf entre ses bras ; Puis, malgré quelques heurts et quelques mauvais pas, L'autre le traîna par la queue. Qu'on m'aille soutenir, après un tel récit, Que les bêtes n'ont point d'esprit ! 5 ΙΟ 15 20 XXIII.-LE LION S'EN ALLANT EN GUERRE. Le lion dans sa tête avait une entreprise : LA CHIEN À QUI ON A COUPE LES OREILLES. Et combattre à son ordinaire ; L'ours, s'apprêter pour les assauts; Le renard ménager de secrètes pratiques; Et le singe, amuser l'ennemi par ses tours. 19 5 ΙΟ Renvoyez, dit quelqu'un, les ânes, qui sont lourds, Et les lièvres, sujets à des terreurs paniques. -Point du tout, dit le roi, je les veux employer: Notre troupe sans eux ne serait pas complète. L'âne effraiera les gens, nous servant de trompette; 15 Et le lièvre pourra nous servir de courrier." Le monarque prudent et sage De ses moindres sujets sait tirer quelque usage, Il n'est rien d'inutile aux personnes de sens. 20 XXIV. LA CHIEN À QUI ON A COUPÉ LES OREILLES. "Qu'ai-je fait, pour me voir ainsi Le bel état où me voici ! Devant les autres chiens oserai-je paraître ? Qui vous ferait choses pareilles !" Ainsi criait Mouflar, jeune dogue; et les gens, C 5 |