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et en économie, l'enthousiasme du bien, sans illusion, la conviction, sans esprit sectaire, donnent du prix à cet ouvrage. L'auteur y combat parfois une opinion qui s'annonçait de nos jours comme une religion, et qui l'était si peu qu'elle a disparu, en moins de dix années. Mais il ne méconnaît pas les circonstances sociales auxquelles cette opinion avait dû naissance : les analysant avec justesse, il en trouve le correctif en elles-mêmes; et, de l'esprit d'égalité, de l'émulation pour le bien-être, de cette amélioration matérielle qui accroît et multiplie le travail, de cette amélioration morale qui seule donne du prix et de la dignité au bien-être, il fait sortir, avec le progrès des individus, la stabilité du pouvoir.

Dans cette utopie, souvent appuyée sur des chiffres, il reste beaucoup à faire, sans doute; et tout n'est pas également démontré; mais on ne peut qu'honorer ce sage et généreux publiciste des classes populaires, qui, parcourant sans cesse les lieux où elles s'instruisent, où elles souffrent, où elles travaillent, recherche tout ce qui peut les éclairer, sans exalter leur orgueil, et veut améliorer à la fois leurs sentiments et leur état social. Rien de plus essentiel à cet égard que l'instruction primaire partout répandue et sagement graduée, telle que la conçoivent les pouvoirs de l'État, et telle que récemment un vote législatif vient de l'encourager avec une prodigalité judicieuse. Les bons ouvrages sur ce sujet, ceux qui sont le fruit du dévouement et de l'expérience, ne sauraient obtenir trop de faveur. C'est en ce sens que l'Académie a placé près du savant Traité de M. de la Farelle un simple Manuel de l'instruction primaire, le livre de Me Sauvan, ce livre écrit avec simplicité par une personne d'un esprit distingué, après trente ans de travaux et de vertus.

L'Académie décerne à chacun de ces deux ouvrages une médaille de 3,000 francs.

Un ouvrage également lié à l'instruction primaire, et qui la suit dans la famille, pour la mettre toujours en rapport avec l'intérêt de l'État, le Cours de morale sociale par M. Dinocourt, reçoit de l'Académie une médaille de 2,000 francs, comme premier encouragement à d'utiles travaux. D'autres médailles semblables sont partagées entre des ouvrages où l'Académie a reconnu, sous des formes très-diverses, la même empreinte d'utilité morale.

Dans la Philosophie sociale de M. Hello, le sentiment et la tradition des vertus de l'ancienne magistrature se produisant avec force et gravité, dans les Mélanges littéraires de M. Gérusez, l'érudition choisie, l'élégance du style, la pureté des sentiments et du goût ont obtenu les suffrages de l'Académie; et elle a cru devoir signaler ce mérite indépendamment des autres éloges que peuvent attirer à ces deux ouvrages la science du jurisconsulte et le talent du critique.

L'Histoire de France, élégamment abrégée par M. Mennechet, et contenue dans les limites d'un récit intéressant et moral, a paru digne de la même distinction. Enfin l'Académie, pour être juste, a voulu récompenser le talent qu'une jeune personne, travaillant pour un pieux devoir, a trouvé dans la pureté du sentiment filial qui la force d'écrire. Elle décerne à Mile Crombach une médaille de 1,500 francs.

Sans prétendre être plus sévère sur le goût que sur la morale, l'Académie ne décernera pas cette année le prix qu'elle avait proposé depuis trois ans pour une question de littérature et d'érudition moderne, l'influence du génie espagnol sur les lettres françaises au commencement du dix-septième siècle. Un seul ouvrage remarquable lui était parvenu sur ce sujet; et cet ouvrage, très-ingénieux dans quelques parties, était d'ailleurs incomplet et n'appréciait

pas la part d'originalité personnelle et nationale qui s'est maintenue sous cette imitation.

L'Académie attend de nouveaux candidats à ce savant

concours.

Elle décerne aujourd'hui le prix qu'elle avait proposé pour un sujet tout français, l'éloge de Mme de Sévigné; et elle s'est félicitée que ce nom ait appelé un talent digne de le célébrer. La femme qui fut un grand écrivain dans le siècle de Bossuet, sans écrire autre chose que des lettres à sa fille, méritait d'être louée de nos jours par une autre femme, par celle qui, dans des poésies célèbres, échappées de sa pure et modeste retraite, a donné tant de charmes à l'expression des sentiments de famille, et n'a jamais séparé l'imagination et la vertu. L'Académie couronne l'éloge de Mme de Sévigné par Mme Tastu.

La cour de Louis XIV et la terre des Rochers, la vie de Mme de Sévigné, ses conversations, ses lectures, sa tendresse, revivent dans cet éloge, souvent avec son propre langage heureusement rappelé, avec d'élégantes et simples paroles, un esprit qui ne coûte rien au naturel, une grâce digne du sujet et qui lui ressemble. Le discours même qu'on va lire me dispense d'en parler davantage, et fera paraître ce que j'ai dit bien faible. Ajoutons seulement un mot, c'est que le discours qui vient après, l'accessit auquel l'Académie a voulu décerner une médaille, est un travail très-distingue, parfois trop savant, mais toujours spirituel, et même éloquent lorsque l'orateur peut se montrer sérieux à son aise, comme, par exemple, dans une belle description de Port-Royal, dont Mme de Sévigné aurait su gré à son jeune et austère panégyriste: l'auteur de cet ouvrage est M. Caboche, professeur de l'Université, dont le nom sera bientôt honorablement connu dans les lettres. Enfin, après ce discours, vient encore l'ouvrage élégant d'une autre femme, à laquelle

le siècle et le génie de Mme de Sévigné ont inspiré de fines réflexions et d'ingénieuses peintures.

Un si heureux retour vers les modèles du dix-septième siècle invite l'Académie à chercher encore dans cette grande époque les sujets de ses concours; elle propose aujourd'hui l'éloge de Pascal, de ce grand et multiple génie, qui, disant lui-même avec un modeste orgueil, que la géométrie devait être l'essai et non l'emploi de notre force, indiquait assez que, pour analyser les puissances de sa pensée, il faudra surtout faire ressortir son caractère de profond moraliste et d'écrivain sublime.

Pour sujet de prix de poésie, l'Académie propose un des grands spectacles qui frappent aujourd'hui nos yeux, l'Influence de la civilisation chrétienne en Orient; et elle se plaît à penser, qu'en célébrant cette influence, on rencontrera partout, depuis les bords du Nil et les plaines de la Morée jusqu'aux gorges de l'Atlas, les souvenirs anciens et récents de la valeur et de l'humanité française.

RAPPORT

SUR

LES CONCOURS DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE

EN 1841.

MESSIEURS,

Lorsque l'Académie française décernait, il y a un an, pour la première fois, la dotation littéraire destinée par un ingénieux citoyen à récompenser de grandes études sur notre histoire, elle s'attendait bien, en proclamant M. Augustin Thierry, qu'une palme si justement acquise ne serait pas transférée de longtemps à un autre nom et à d'autres ouvrages. Cette première épreuve avait eu presque le caractère d'un Concours décennal. Le prix était annoncé depuis la mort déjà éloignée du jeune fondateur. Un grand nombre d'écrits historiques, quelquesuns très-remarquables, avaient paru dans l'intervalle. L'examen avait été laborieux; le choix pouvait sembler difficile. Mais aujourd'hui nul doute n'a pu s'élever. Le court espace de temps écoulé depuis notre dernière séance annuelle n'a point produit d'ouvrage à comparer soit aux Considérations sur l'Histoire de France, soit au

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