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LETTRES.

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I

LA BRUYÈRE A LE VAYER 1

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A Versailles, 18 novembre.

Agréez, Monsieur, je vous supplie, que je joigne au mémoire que je prends3 la liberté de vous envoyer ma recommandation en faveur de la petite ville de Jarnage dans une cause qui me paroît tout à fait favorable et à laquelle je prends un singulier intérêt à cause de Monsieur l'abbé de Beaupesche', aumônier de Madame la Duchesse, et avec qui, outre sa considération particulière, j'ai d'intimes liaisons comme étant tous deux de la même maison; c'est un gentilhomme qui a un bénéfice à Jarnage qui le rend seigneur en partie de ce lieu-là. Comme

1. En tête de cette lettre, Le Vayer a écrit: « Mr de la Bruyère recommande Jarnage et m'offre son livre. Réponse à faire au plus tôt. Fait ce 30 janvier. >>

2. La Bruyère écrit agrées, comme plus loin vous avés, vous m'obligerés, que vous les ayés, vous feriés, etc.

3. Je prend dans l'autographe.

4. Jarnage dans l'autographe et non Jarnages comme on l'écrit aujourd'hui. 5. a sans accent, et il en est de même plus loin pour tous les mots où nous mettons un accent grave.

6. Intérest comme en d'autres lettres.

7. La Bruyère, qui ignorait l'orthographe véritable du nom Bospêche, écrit beaupesche, et plus loin fagon, france, sans majuscule.

8. J'ay sans apostrophe dans l'autographe comme dans presque tous les mots qui en réclament une; l'y remplace ici l'i comme plus loin dans moy, luy, icy, joye, roy, cecy.

9. Meme, sans accent circonflexe dans les deux lettres autographes. Notons que l'accentuation et la ponctuation font le plus souvent défaut dans la correspondance de la Bruyère.

il sait l'affection que vous avez pour moi et que notre connoissance est déjà ancienne, il m'a prié de vous écrire en faveur de cette petite ville, et j'ai pris avec plaisir cette occasion de vous devoir quelque chose sur ce qu'il desire de votre autorité. Vous m'obligerez sensiblement de faire pour lui tout ce qu'il vous sera possible; je le prendrai comme fait pour moi, qui suis et avec une très grande estime et avec respect, Monsieur,

Votre très humble et très obéissant serviteur,

DE LA BRUYÈRE.

J'ose faire ici mes compliments très humbles à Madame l'intendante 2.

J'oubliois que j'ai à vous demander comment je pourrois vous faire tenir ma huitième et dernière édition 3.

II

LA BRUYÈRE A LE VAYER⭑

Ce 23 janvier, à Versailles.

Je vis, Monsieur, il y a deux jours, Madame Fagon". Nous parlâmes ensemble de vous; je la trouvoi fort satisfaite d'une lettre qu'elle me dit que vous lui aviez écrite: on ne peut pas

1. La Bruyère écrit scait, sans cédille.

2. Jacques Le Vayer avait épousé le 23 février 1677 Renée Françoise Le Boindre, sa cousine germaine, fille d'un conseiller au Parlement. Ils eurent un fils qui fut maître des requêtes et deux filles visitandines.

3. Edition avec une majuscule; le mot est souligné.

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4. Au dos: A Monsieur, Monsieur le Vayer, intendant de Moulins. - En tête de la lettre on lit de la main de Le Vayer: « Réponse à faire au plus tôt. Fait ce 30 janvier. »

5. Guy Crescent Fagon avait épousé Anne Marie Nozereau. A l'occasion de la mort de Mme Fagon, le 7 avril 1717, Dangeau écrivait : « C'étoit une femme de beaucoup d'esprit, mais fort extraordinaire. Elle étoit toujours malade et passoit presque toute sa vie à Bourbon, où elle faisoit beaucoup de bien et étoit fort honorée. Elle se croyoit plus grand médecin que son mari,.... généralement reconnu pour le plus grand médecin de France. » Elle disparut onze mois avant son mari, laissant deux fils, l'un conseiller d'Etat, conseiller au Conseil royal des finances, et l'autre évêque de Lombez. 6. Ecritte dans l'autographe.

être davantage dans vos intérêts qu'elle y est, et aussi Mr le premier médecin. Elle m'a paru surprise qu'on ait dit que la petite ville de Bourbon ait encore pensé à être sumergée1 (sic), et elle me dit que Mr Fagon appréhendoit que le roi ne vînt à lui parler de cela, parce qu'il ne pourroit pas lui dire que les réparations aient été bien faites et que, n'étant point selon le marché, vous les ayez fait refaire par Monsieur Surville ou à ses dépens; elle me dit aussi que les routes ne sont que de terre et fort mauvaises par conséquent, et point du tout selon la manière que Surville les devoit construire. Madame Fagon a fort à cœur ces réparations de Bourbon, et Mr le p. médecin ne s'y intéresse pas moins. Ils vouloient vous en écrire; mais m'ayant trouvé sous leur main et entretenu de vous, monsieur, et de Bourbon, ils m'ont prié de vous en écrire2; ils m'ont ajouté même que vous feriez une chose3 digne de vous et de votre réputation de travailler pendant votre intendance à réparer des lieux si utiles à toute la France. Ils ont bien de la joie que vous ayez eu raison des bureaux; Mme Fagon n'a rien oublié pour savoir qui avoit autrefois arrêté les réponses 5 de Mr de Barbezieux et les ordres du roi qui vous avoient été envoyés, et ils n'auront garde, comme elle l'espère, de s'y jouer davantage. J'entre dans tout ceci à la prière des personnes que je vous nomme, et aussi par

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1. « Quelques-uns disent sumerger, mais mal, écrit Richelet dans son Dictionnaire françois, 1680. Tous les bons auteurs et tous ceux qui parlent bien disent ou écrivent submerger. » Et Furetière (1690): «< On ne dit pas

sumerger. »

2. L'auteur du Lexique a relevé dans les lettres de la Bruyère et surtout dans ses Caractères un certain nombre d'exemples de répétitions d'un mot dans une même phrase (Lexique de la Bruyère, p. LXVII); ici la négligence et la rapidité avec lesquelles il écrivait ses lettres sont plus apparentes qu'ailleurs.

3. Un chose dans l'autographe. Nous rappelons qu'ailleurs la Bruyère a écrit l'ancien maison (t. III, p. 481), un autre main (t. III, p. 501), et qu'il a laissé passer dans le texte de la rre édition les uns pour les unes et dans deux éditions un antichambre pour une antichambre. A côté de ces citations qui nous montrent la Bruyère usant au féminin du mot un comme il avait fait du mot ancien, peut-être convient-il de noter que, d'autre part, le mot chose est employé dans certains cas comme substantif masculin. Voyez le Dictionnaire de Richelet et celui de Littré.

4. Pour la Bruyère l'abréviation de madame est « Mde ».

5. Réponce, ici et plus loin comme en d'autres lettres de l'auteur.

6. Voyez dans le Lexique, p. 203, et dans la lettre XXII, tome III, p. 516, d'autres exemples de la locution se jouer à.

notre ancienne amitié, qui me fait prendre une très grande part à ce qui vous touche. Réponse s'il vous plait, et recevez mes très humbles respects.

DE LA BRUYÈRE.

L'adresse est toujours à Mr de la Bruyère, à l'hôtel de Condé, à Versailles.

Il ne faut point que l'on sache que c'est moi qui vous ai écrit de ces choses.

Mes respects très humbles à Madame l'intendante.

NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE

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