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qui devait être, le 11 mai 1696, l'un des signataires de son acte de décès et, le 14 mai, l'un des signataires de l'inventaire de ses meubles, rédigé à Versailles. L'abbé de Bospêche, prieur et châtelain président de Jarnage1, avait dans cette ville, nous dit la Bruyère, un bénéfice << qui le rendoit seigneur en partie de ce lieu-là ». Par amitié pour son commensal, la Bruyère recommandait à l'intendant de Moulins, dont la juridiction s'étendait sur la Haute et Basse Marche, la cause de la ville de Jarnage, engagée dans on ne sait quel conflit. A la lettre de la Bruyère était joint un mémoire relatif au litige dont se préoccupait l'abbé de Bospêche. N'ayant pu retrouver ce mémoire, non plus que la correspondance de Le Vayer, il nous est mal aisé de comprendre l'allusion que fait la lettre aux événements dont se plaignaient Jarnage et ses seigneurs. Ce n'est pas que l'on ne puisse citer dans la seconde partie du xvIIe siècle un certain nombre d'affaires qui aient agité la Marche: en 1678, perception du droit que l'on nommait droit « de petit sceau » et renouvellement du terrier à l'aide de déclarations individuelles 2 ; en 1686, exigences financières du duc de la Feuillade à Jarnage et dans ses autres châtellenies; enquête au cours des années suivantes sur les chartes de franchise dont jouissaient les châtellenies de la vicomté d'Aubusson, et par conséquent celle de Jarnage; imposition en 1689 d'une taille, de légalité contestable, réclamée par le duc de la Feuillade à la suite de sa promotion dans l'ordre du Saint-Esprit. Même de cette dernière affaire il n'était plus question sans doute en 1694, et la Bruyère devait parler d'un fait postérieur. S'agirait-il de l'incident suivant? Plusieurs semaines avant qu'il n'écrivit sa lettre, un ordre ministériel avait assigné Jarnage comme garnison à une compagnie du régiment de Condé. Le séjour des gens de guerre, alors même qu'ils étaient réunis dans une caserne, était une charge dont se plaignaient les villes; à plus forte raison s'en plaignaient-elles quand les soldats étaient logés chez l'habitant et s'y conduisaient le cas était fréquent

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pays conquis: c'est ainsi qu'en 1640 sept compagnies du régiment d'Enghien commettaient au Moutier d'Ahun, non loin de Jarnage, de tels méfaits que les habitants de la paroisse désertaient leur

1. Jarnage, petite ville de la Haute-Marche, était l'une des châtellenies qu'en 1686 Louis XIV avait cédées à François d'Aubusson, duc de la Feuillade, en échange de la terre de Saint-Cyr. « Jarnage, écrit Le Vayer dans un mémoire qui sera cité plus loin, est peu de chose et mal fermé ; c'est plutôt un bourg qu'une ville. Il y a seulement 320 âmes et 88 feux. »

2. Voyez sur cette affaire l'ouvrage intitulé: Histoire de la Marche. Mémoires du Président Chorllon, 1635-1685, publiés d'après le manuscrit original avec notes et introduction par F. Autorde, archiviste de la Creuse, Guéret, Amirault, 1886, p. 142-168.

village. A Jarnage, où certainement il n'y avait pas de caserne préparée à l'avance, protesta-t-on contre la venue de la compagnie annoncée ? Y pouvait-on invoquer le souvenir d'un privilège ou d'une composition qui exemptât la ville de l'obligation de recevoir une garnison? Je ne connais aucun document qui vienne à l'appui de cette conjecture; je la propose, non sans hésitation, en attendant que MM. Autorde et Fazy, qui déjà ont bien voulu me renseigner sur divers points, aient rencontré dans les archives départementales confiées à leur garde l'explication du passage que nous com

mentons.

La cause qui intéressait la Bruyère était celle de Jarnage, non celle même de l'abbé de Bospêche, qui paraît n'avoir été mêlé personnellement qu'à un seul procès, celui qu'il avait soutenu quatorze ans plus tôt, en tant que « prêtre, prieur commendataire du prieuré de Saint-Michel de Jarnage ». En l'année 1694, l'intendant Le Vayer avait eu à s'occuper plus d'une fois d'un Bospêche, personnage violent qui eut des démêlés avec le maire perpétuel de sa ville, et même fit échange de coups avec lui; mais ce Bospêche, homonyme et sans nul doute parent du nôtre, était François Laboreys de la Pigue, châtelain d'Aubusson, que Le Vayer dépeindra ainsi dans un mémoire daté de 1698: « Le président châtelain d'Aubusson, le seigneur Laboreix de la Pigue, est homme de distinction, qui fait beaucoup d'éclat, parle bien et représente de même; mais il est trop hardi et trop entreprenant; sa vivacité peut être dangereuse; il peut avoir quarante mille livres de bien. » Dans le même mémoire Le Vayer parle plus brièvement de notre abbé : « Le Sr Laboreix de Bospêche, aumônier de Mme la Princesse, a beaucoup de réputation; il a peu de bien et quelques mérites. >> Presque toujours absent, puisque sa charge le retenait à Versailles, l'abbé de Bospêche présida rarement les audiences de la châtellenie. Du moins passa-t-il ses dernières années à Jarnage. Il y mourut au mois d'avril 1713.

qui

Sur cette première lettre Le Vayer avait écrit : « Réponse à faire au plus tôt ». La réponse néanmoins se fit attendre pendant plus de trois mois; la Bruyère ne se plaindra point de ce retard dans une seconde lettre, datée du 23 janvier 1695, mais il terminera celle-ci par ces mots : « Réponse s'il vous plaît ». Cette nouvelle lettre fut écrite à l'instigation de deux autres amis, M. Fagon, premier médecin du roi, et madame Fagon. La Bruyère venait de publier dans la 8o édition, dont il offrait un exemplaire à Le Vayer, une apostrophe à Fagon, qui déjà était une preuve de sympathie et d'estime, même d'admiration. Surintendant des eaux minérales en tant que premier médecin du roi, Fagon s'intéressait particulièrement à Bourbon l'Archambault, où Madame Fagon résidait

souvent. Il appréhendait d'ailleurs qu'un jour ou l'autre le roi ne l'interrogeât sur ce qui se passait à Bourbon, et il souhaitait que M. Le Vayer le mît au courant de l'état des travaux entrepris par ses ordres. Bourbon, qui, paraît-il, avait subi une inondation, redoutait une nouvelle submersion, et un entrepreneur, du nom de Surville, avait été chargé des réparations nécessaires. Mal faites, il avait fallu les recommencer. Le même Surville avait dû construire des routes; elles étaient loin d'être achevées lorsque le ménage Fagon et la Bruyère appelaient l'attention de l'intendant sur l'utilité qu'il y avait à rendre facile l'accès des eaux de Bourbon. Cette fois Le Vayer répondit avec empressement à la Bruyère: la lettre de ce dernier était du 23 janvier 1695, et la réponse est datée du 30. Les papiers de Le Vayer contiennent-ils la minute de cette réponse? Je l'ignore. Pour ce qui concerne les routes, Le Vayer constatera lui-même en 1698 qu'elles étaient encore mauvaises. « Les chemins du Bourbonnois, dira-t-il1, ne sont guère plus praticables, surtout en hiver, que ceux du Nivernois. Il s'y forme des fondrières que appelle vulgairement tartes bourbonnoises, elles n'ont presque pas de fond; avec un peu de soin et de dépenses on pourroit y remédier'. Mais il y a le chemin de la ville de Bourbon à Moulins et de Moulins au Veurdre qu'il est absolument nécessaire de réparer. Cela est dû à la commodité du public, et surtout d'une infinité de personnes de qualité et d'étrangers qui vont aux eaux, cela est dû au nom illustre de Bourbon qu'elle porte; et avant les derniers ouvrages qui viennent d'y être faits, elle étoit en droit de reprocher l'oubli dans lequel elle est demeurée tant de siècles, jusqu'à ces derniers temps qu'elle semble reprendre les premiers honneurs qu'elle mérite et qu'elle avoit perdus. >>

l'on

On remarquera dans la seconde des lettres de la Bruyère la trace d'un conflit singulier qui avait mis aux prises, non pas le ministre et l'intendant, mais l'intendant et les bureaux du ministère. Ces bureaux avaient retardé, je ne sais pour quelle raison, l'envoi à Moulins des instructions de Barbezieux et des ordres du roi. Le

1. Mémoire de la généralité de Moulins par l'intendant J. Le Vayer, publié par P. Flament, Moulins, 1906, p. 166-167.

2. Dans son mémoire Le Vayer rappelle que précédemment on avait déjà employé pour les réparations des routes les gens du pays, auxquels il avait été accordé comme compensation des réductions de taille. Plus tard, en des lettres datées des 1er et 18 février 1699, conservées aux Archives nationales (G7 408) et analysées par M. P. Flament, p. 167, il proposait de réparer les routes de la généralité par des «< cailloutages ou des pavés », en recourant aux habitants. La pierre, ajoute-t-il, serait amenée aux endroits les plus défoncés par les métayers des paroisses voisines, qui, assurait-il, feraient sans déplaisir cette indispensable corvée.

Vayer se plaignit et triompha de la mauvaise volonté des bureaux. C'est là un incident administratif dont il ne serait pas sans intérêt de connaître les détails.

La seconde lettre a été scellée par un cachet de cire rouge qui porte des armoiries. Contrairement à ce que nous pensions lorsque nous avons publié notre Album, les armoiries de notre auteur, dissemblables sur quelques points de celles de son père et de son oncle Jean, étaient les mêmes que celles de son frère Robert-Pierre. Ainsi dans son blason, comme dans celui de son frère, les molettes sont substituées aux étoiles qui figurent dans les armoiries coloriées de l'Album, des racines de bruyères remplacent les bâtons écotés, et le croissant d'hermine ne soutient plus une touffe de bruyères.

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