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quilles1, ne sont pas, si l'on veut, des preuves manifestes d'une revision pendant l'impression, puisqu'elles ont pu la précéder; mais on doit en voir des témoignages irrécusables dans les quatre cartons que l'auteur a exigés après le tirage et qui ont remplacé le feuillet 3 de la préface des Caractères et les feuillets 233, 641, 647. Plusieurs volumes avaient été livrés au public avant que ne fussent tirés les quatre cartons. Je ne sais si le volume décrit par M. Claudin dans le catalogue de la bibliothèque de M. Rochebilière sous le no 642 était de ceux-là; il avait du moins conservé, nous est-il dit, le feuillet primitif 233; contenait-il de même le premier tirage des trois autres feuillets, ou bien avait-il reçu trois cartons sur quatre? la question a échappé à l'attention de M. Claudin. Peut-être est-il, s'il n'y a été inséré aucun carton, le seul exemplaire de premier état qui subsiste encore. Quoi qu'il en soit, nous n'avons pas besoin de la rencontre d'un exemplaire sans cartons pour savoir de quelles fautes la Bruyère a voulu expurger son édition : elles nous sont révélées par une contrefaçon lyonnaise qui a reproduit exactement le texte d'un des premiers exemplaires de la ge originale. Cette contrefaçon, qui a suivi de très près la publication de l'édition parisienne, sera mentionnée sous le no 13.

Le feuillet que sans doute la Bruyère avait surtout à cœur de rem-` placer était le feuillet 641, qui portait deux singulières erreurs dont nous avons parlé à la page LXVI du tome I et aux pages 261 et 262 du tome III; elles s'étaient glissées dans les calculs astronomiques de la 7e édition, avaient été répétées dans la 8o, et réimprimées dans la 9o, lorsque la Bruyère les découvrit enfin ou plus vraisemblablement lorsqu'on les lui signala : le carton 641 substitua les vrais chiffres aux chiffres erronés.

Par les cartons 3 et 647 la Bruyère effaçait deux mots que l'imprimerie avait introduits en deux de ses phrases. A la première page de la préface de ses Caractères il avait écrit : « Comme les hommes ne se dégoûtent point du vice, il ne faut pas aussi se lasser de leur reprocher », c'est-àdire de leur adresser des reproches. Evidemment le compositeur crut réparer une omission en imprimant « de le leur reprocher. » Cette correction, qui n'était pas de son fait, l'auteur ne la toléra point: de là le carton 3, où il rétablissait le texte des huit premières éditions, qu'il entendait maintenir dans la ge; il était donc bien décidé à employer absolument, contrairement à l'usage, le mot reprocher.

Notre auteur, d'autre part, avait écrit et il avait imprimé dans la 8o édition, à la page 648: « qu'est-ce l'ordre, qu'est-ce que la règle ? » La phrase était devenue à la 9: « qu'est-ce que l'ordre, qu'est-ce que la règle ? » Le carton 647 supprima le premier que : « qu'est-ce l'ordre ? » Ici encore nous attribuons au typographe la correction que la Bruyère ne devait pas accepter. On fit disparaître à l'aide du même carton une faute d'impression à la première ligne de la page 647: le mot vaste y remplaça la faute vague.

Comme l'exemplaire de la bibliothèque Rochebilière, la contrefaçon de Lyon nous apprend l'objet du carton que la Bruyère fit imprimer pour remplacer le feuillet 233 : au lieu du mot ignorance que donnaient les

1. Voyez tome I, p. 76, note 1; tome II, p. 4o, note 5; p. 42, note 1; p. 44, note 4; p. 88, note 2; p. 120, note 4; p. 207, note 3; p. 227, note 1; p. 240, note 3; p. 254, note 2; tome III, p. 74, note ; p. 134, note 2; p. 139, note 1; p. 159, note 2; p. 170, note 2; p. 252, note 2; p. 261, notes 4 et 5; p. 262, note ; p. 438, notes 1 et 2; p. 444, note 6; p. 451, note 1; p. 454, note 3, etc. Parmi ces variantes, dont nous pourrions étendre la liste, la plupart sont, de toute certitude, des corrections de la Bruyère, et prouveront, aux yeux de tous, qu'il n'est pas exact que la ge édition ait paru « sans retouches. >>

7 et 8e éditions dans le 21 caractère du chapitre de la Ville (tome II, p. 207), on avait imprimé le mot ignominie, qui est pour nous une faute et pour M. Claudin une variante, un instant préférée par l'auteur et presque aussitôt abandonnée par lui: un carton restitua le mot ignorance.

On raconte au sujet de cette ge édition une anecdote que nous ne saurions accueillir. Après la publication de la 8e la Bruyère, dit-on, avait préparé une édition nouvelle, qui n'eût pas été une simple réimpression; mais, à sa mort, ses héritiers, mécontents du peu de libéralité du libraire Michallet envers l'auteur des Caractères, auraient refusé de lui communiquer l'exemplaire où la Bruyère avait inscrit ses additions et ses remaniements. Cette inacceptable historiette, dont l'invraisemblance n'a point frappé Éd. Fournier (la Comédie de J. de la Bruyère, p. 495-497), avait peut-être pour point de départ une note du Catalogue de la bibliothèque de M, Kastner de Bâle, publié en 1844 par l'Alliance des Arts (in-8o, 2o partie, p. 8, no 40), note que M. Paul Lacroix, qui en était l'auteur, me signalait obligeamment, il y a quelques années. Après avoir très justement reproché aux éditeurs des Caractères de ne pas recourir aux impressions originales (l'édition Walckenaer n'avait pas encore paru), M. Lacroix ajoutait : « Nous avons vu chez un vieil amateur de Choisy-le-Roi un exemplaire portant des annotations et une préface manuscrite de la Bruyère. » En 1844, alors que M. Lacroix se rappelait ou croyait se rappeler un souvenir déjà lointain, on ne connaissait pas encore l'écriture de la Bruyère, et l'on a pu lui attribuer des annotations et une préface imaginées par un lecteur. La Bruyère ayant pris part à l'impression de la neuvième édition, nous pouvons être assurés qu'il y inséra toutes les variantes qu'il avait préparées.

Bien avant M. Lacroix, dès 1696, on prétendait que la Bruyère avait rédigé, en vue d'une prochaine édition, des réflexions nouvelles. C'est ce que nous révèle une lettre de l'abbé Jean Baptiste Dubos à Bayle : << A propos de la Bruyère, écrit-il le 23 septembre 1696 après avoir cité une réflexion des Caractères, je vous dirai que la neuvième édition de son livre paroît; il n'y a rien de changé, mais la dixième paroîtra cet hiver avec augmentation. L'on a fait cette augmentation sur quelques mémoires trouvés dans l'appartement que M. de la Bruyère avoit à Chantilly1. » Le manuscrit qu'après la mort de la Bruyère on trouva dans sa chambre à Paris, ou à Versailles, non à Chantilly, ne contenait pas de nouveaux caractères, mais les Dialogues sur le quiétisme qu'Ellies du Pin devait reviser, achever et publier.

b) Discours à l'Académie française.

La Bruyère prononça le 15 juin 1693 son discours à l'Académie.

La préface qu'il a mise en tête de ce Discours dans la 8e édition des Caractères, publiée en 1694, fait allusion (voyez tome III, p. 454) à un procès qu'engagèrent deux libraires, qui ne peuvent être que Coignard et Michallet, au sujet de l'impression de cette harangue. Nous ne saurions dire avec certitude si ce procès, bientôt abandonné, ou plutôt si la procédure par laquelle on l'entama, suivit ou précéda la publication du Discours qui fut faite en 1693, sous format in-4°, tant par Michallet que par Coignard, imprimeur de l'Académie. La famille Coignard obtenait, le 2 juillet 1693, un privilège « pour l'impression des discours de

1. Choix de la Correspondance inédite de Bayle, 1670-1706, publié par Emile Gigas, Copenhague, 1890, in-8°, p. 273.

prose et pièces de vers qui ont déjà été imprimés» ou « que l'Académie voudra faire imprimer à l'avenir, tant de par elle que dans les réceptions d'Académiciens. » Le 6 juillet, le privilège était enregistré à la chambre syndicale des imprimeurs 1, et le discours paraissait peu de jours après, «< avec privilége. » La librairie Michallet, d'autre part, imprima le même discours «< avec permission. » Le conflit signalé par la Bruyère se terminait par un accommodement: le privilège du 21 septembre 16932, qui autorisa Michallet à comprendre le discours dans les éditions des Caractères, en fut la conclusion.

Dans le n° du 10 août 1693, le Journal des Savants rendait compte des trois discours prononcés à l'Académie, le 15 juin, par MM. Bignon, la Bruyère et Charpentier, et publiés par la librairie Coignard. Il louait les trois harangues : << Ces trois discours, disait-il, quoique différents dans leur style et dans leur caractère, peuvent être proposés comme des modèles d'éloquence.... Le discours de M. de la Bruyère est d'une juste étendue et chargé d'un grand nombre de portraits3. » (P. 366-368.) Ce serait le seul témoignage favorable que nous pourrions extraire des documents contemporains, si Bayle n'en avait fait un éloge plus explicite dans l'une des lettres, adressées à J. A. Turretini.

« Il m'a prêté, écrit Bayle en parlant d'Henri Basnage, le discours de M. de la Bruyère, prononcé à l'Académie le jour de sa réception. Je ne sais pas ce que les connoisseurs en disent; mais, pour moi, je l'ai trouvé tout à fait beau. C'est un style d'un tour fort singulier, et qui, sans être selon toutes les règles du dégagement des périodes et des équivoques de nos nouveaux grammairiens, est plein d'idées qui, en peu de mots, enferment de grands objets.... >> L'article le plus important qui ait été consacré à la harangue de la Bruyère, celui du Mercure galant, est reproduit ci-après, p. 103.

Le discours de la Bruyère à l'Académie a pris place, à partir de la 8o, dans toutes les éditions des Caractères, avec la préface. D'autre part, il a été inséré, naturellement sans préface, dans tous les recueils des harangues prononcées par les membres de l'Académie française 5, ainsi que dans les réimpressions qui en ont été faites à l'étranger.

1. Bibliothèque nationale, département des Manuscrits, Librairie, registres des priviléges.

2. Même registre.

3. Voyez tome III, p. 433-436. Voici le passage de la lettre de Galland auquel nous avons fait allusion p. 433 : « On vous aura mandé la réception en même temps, à l'Académie françoise, de M. l'abbé Bignon et de M. de la Bruière, et la différence de la harange de l'un et de l'autre. La harangue de M. l'abbé Bignon a répondu à ce qu'on attendoit de lui; mais celle de M. de la Bruière ne correspondit pas à ses Caractères.» (Bibliothèque nationale, Fonds français, no 9362, lettre go.)

4. Lettres inédites adressées de 1686 à 1737 à J. A. Turretini, théologien genevois, publiées et annotées par E. de Budé. (Paris, Monnerat 1887, tome I; p. 234, lettre non datée.)

5. Recueil des pièces d'éloquence et de poésie qui ont remporté les prix donnés par l'Académie françoise en l'année 1693, avec plusieurs discours qui ont été prononcés dans l'Académie, Paris, J. B. Coignard, 1693, in-12; Recueil des harangues prononcées par Messieurs de l'Académie françoise, Coignard, Paris, 1698, in-40, p. 638-648; et 1714, in-12, tome II, p. 413-428. - Le portrait du cardinal de Richelieu, extrait du Discours, a été reproduit dans le Choix de discours de réception de l'Académie françoise, publié par L. Boudon, Paris, 1808, in-8°, tome I, p. 56.

6. Discours, harangues et autres pièces de Messieurs de l'Académie françoise, Amsterdam, G. Gallet, tome II, p. 122 et suivantes.

10.

Discours prononcez dans l'Académie françoise, à la reception de Monsieur l'abbé Bignon, et de Monsieur de la Bruyere, le lundy quinziéme juin MDCLXXXXIII. Paris, Vve de J. B. Coignard et J. B. Coignard fils, MDCLXXXXIII, avec privilege de Sa Majesté, in-4° de 43 pages.

11. Discours prononcé dans l'Académie françoise par Mr de la Bruyere, le lundy quinziéme juin MDCXCIII, jour de sa reception. Paris, E. Michallet, MDCXCIII, avec permission, in-4° de 20 pages.

c) Dialogues sur le quiétisme.

Les Dialogues que l'on a attribués à la Bruyère, et dont il nous semble être l'auteur pour partie, ont été achevés et publiés par l'abbé du Pin en 1698. Nous ne reviendrons pas sur la dissertation et les détails que contient la Notice placée en tête de ces Dialogues (tome III, p. 529 et suivantes).

Dans le no de septembre 1698 (p. 425), l'Histoire des ouvrages des savants annonçait la publication, par les soins de l'abbé du Pin, d'un «< ouvrage posthume de M. de la Bruyère, d'un même dessein que les Caractères et Mœurs de ce siècle,... Ce sont des dialogues, ajoutait Basnage. Il y parle du quiétisme, car tout le monde en parle aujourd'hui. »

La publication faite, Basnage s'empressait de la signaler : « M. du Pin, disait-il dans son no de décembre 1698 (p. 550), a fait imprimer sept dialogues posthumes du sieur de la Bruyère sur le quiétisme. Il y en a deux autres qui sont de M. du Pin lui-même. C'est pour tourner le quiétisme en ridicule, en poussant et peut-être aussi en outrant les conséquences. » Il fut rendu compte des Dialogues dans le Journal des Savants, no du 5 janvier 1699, p. 10, et dans les Nouvelles de la République des Lettres, no de juillet 1699, p. 30.

Voyez au sujet des Dialogues sur le quiétisme, dans The Saturday Review, no du 9 octobre 1869 (p. 483 et 484), un article dont notre édition a été l'occasion.

12.

Dialogues posthumes du sieur de la Bruyère sur le quiétisme. Paris, C. Osmont, MDCXCIX, in-12.

L'approbation des docteurs de la Faculté de théologie de Paris, datée du 2 décembre 1698, est signée: Blampignon, curé de SaintMerry, et Hideux, curé des Saints-Innocents.

Le privilège, daté du 30 juin 1698, obtenu par le sieur *** (Desprez), qui le cède au libraire Osmont, et enregistré le 16 septembre, est accordé pour huit années. L'Achevé d'imprimer est du 5 décembre 1698.

Le nom de la Bruyère, que donnent le privilège et l'approbation, et qui est imprimé en toutes lettres dans l'Avis au lecteur et dans la Préface, ne devait point, tout d'abord, être livré au public: Dialogues posthumes du sieur de la B* *, etc., tel est le titre imprimé en tête de la page 1.

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Sur les remaniements que subit l'édition des Dialogues pendant le tirage et sur les cartons que du Pin y introduisit, voyez au tome III les pages 533 et 540; sur les divers états que présente l'édition, voyez ibidem, p. 541.

Il parut la même année une contrefaçon des Dialogues: voyez tome III, p. 541, note 1.

B. ÉDITIONS POSTHUMES.

Un certain nombre d'éditions des Caractères, de celles surtout qui ont paru en Hollande, ont été préparées sans soin. Elles contiennent très souvent, comme œuvres de la Bruyère, quelques imitations que personne ne pouvait sérieusement lui attribuer, et se trouvent jointes, parfois, à des volumes imprimés à des dates différentes, et mal à propos réunis par le relieur, avec des faux titres inexacts.

13. Les Caractères de Théophraste, etc. Neuvième édition, revue, corrigée et augmentée. Paris, Michallet, 1696. Avec privilège de Sa Majesté. In-12.

A peine les premiers volumes de la ge édition des Caractères étaientils en vente chez Michallet qu'un libraire lyonnais, nous ne savons lequel, imprima cette contrefaçon, dont il devait publier trois ans plus tard une seconde édition.

Ce qui donne quelque intérêt à ces deux contrefaçons, c'est que la première, dont le texte a été exactement reproduit dans la seconde, fut imprimée d'après l'un des volumes qui sortirent de la librairie Michallet avant l'impression des cartons. L'une et l'autre nous mettent sous les yeux les mots sur lesquels devaient porter les dernières corrections que la Bruyère ait faites à son œuvre voyez ci-dessus la notice de la ge édition originale.

Les volumes de ces contrefaçons se terminent par une clef imprimée de 22 pages, qui se réfère à la « neuvième et dernière édition », et dont les renvois, partagés en deux colonnes, s'appliquent les uns à la neuvième édition de Paris, les autres à une édition de Lyon, qui est bien évidemment celle-ci, nulle autre n'ayant paru à Lyon en 1696. C'est donc à bon droit que M. Raymond Toinet a restitué à Lyon1 cette contrefaçon, qui se présentait frauduleusement au public comme une édition de Michallet. Elle reproduit les fautes de l'impression de Michallet, et en a pour le moins ajouté une tannière pour tannerie.

La clef qui l'accompagne a été imprimée après la mort de la Bruyère et j'en vois une preuve dans l'allusion qui, page 2, est faite aux quatre volumes des Parallèles des anciens et des modernes publiés par Ch. Perrault de 1688 à 1697. L'impression du tome III s'achevait le 20 septembre 1692, et c'est du 27 novembre 1696 qu'est daté l'Achevé d'imprimer du tome IV, qui, selon la coutume, portait le millésime 1697. Nous avons dit ailleurs, tome II, p. 313, en nous appuyant sur la date de l'Achevé d'imprimer du tome IV des Parallèles, que la clef im

1. Les Écrivains moralistes du xvi1° siècle, dans la Revue d'Histoire littéraire de la France, 1916, p. 584, note a.

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