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DICTIONNAIRE

RAISONNÉ

DES DIFFICULTÉS

GRAMMATICALES ET LITTÉRAIRES

DE LA LANGUE FRANÇAISE

PAR

J.-CH. LAVEAUX

TROISIÈME ÉDITION

REVUE D'APRÈS LE NOUVEAU DICTIONNAIRE DE L'ACADÉMIE

ET LES TRAVAUX PHILOLOGIQUES LES PLUS RÉCENTS

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AVERTISSEMENT

SUR CETTE TROISIÈME ÉDITION.

Nous n'avons annoncé qu'une simple révision du Dictionnaire des difficultés grammaticales et littéraires, de J. Ch. Laveaux. Nous ne pouvions, en effet, avoir l'intention de corriger les ouvrages d'un philologue distingué, que nous serions heureux de pouvoir un jour suivre de loin.

Respectant son jugement en général, sans cependant nous en tenir toujours aux opinions qu'il a émises dans le Dictionnaire des difficultés, nous avons souvent puisé sans serupule dans ses derniers ouvrages', soit des définitions plus claires et plus conformes à l'usage, soit des articles entiers se rapportant à notre sujet 2.

Quant aux décisions que Laveaux a maintenues constamment, elles ont toutes été conservées. Mais une note avertit le lecteur lorsqu'elles ne sont pas conformes à celles de l'Académie.

Nous avons même laissé subsister cet arrêt, souvent un peu trop absolu, qu'on trouve dans un grand nombre d'articles: Ce mot n'est pas du style noble 3.

Toutefois, certaines suppressions ont été jugées nécessaires.

Dans la seconde édition de son livre, Laveaux avait ajouté de longs articles de rhétorique, extraits textuellement de l'Encyclopédie, et qui n'avaient pas de liaison intime avec le reste de l'ouvrage; ils ont disparu de celle-ci. Retranchant également les jugements portés par Laveaux sur une foule de termes barbares recueillis par Mercier dans son dictionnaire de Néologie, nous nous sommes contenté de conserver les articles relatifs à des expressions,

1 Ces ouvrages sont : le Nouveau dictionnaire de la langue Française, Paris, Déterville et Lefèvre, 1820, 2 vol. in-t., et le Dictionnaire synonymique de la langue Française, Paris, Alexis Eymery, 1826, 2 vol. in-8.

2 Voyez, par exemple, l'article Genre.

3 Au lieu de le modifier dans chaque passage, nous nous contenterons de citer ici, comme correctif, ce morceau plein de modération et de justesse que nous trouvons dans un discours de M. Patin, et où l'emploi légitime des termes familiers nous parait parfaitement distingue de l'abus qu'on en a fait :

« Cet abandon du mot propre, ce recours à la circonlocution, à l'équivalent, devaient, à la longue, énerver et appauvrir le « style, le rendre vague, froid, tendu, monotone. C'est ce qui est arrivé, et ce dont on s'est senti très-fatigué, lorsque après deux « siècles de fécondité littéraire a commencé l'épuisement; c'est à quoi on a tâche de remédier en relâchant la rigueur des * rèzles prohibitives.

« Il y avait une aristocratie de style, fière, dédaigneuse, qui avait toujours été s'épurant, se resserrant, mais qui, à la fin, « pour se recruter, fut bien obligée d'ouvrir ses rangs aux mots plébéiens, roturiers, qu'elle avait jusque-là repoussés. Cette

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« révolution se fit peu à peu, avec gradation. D'abord on y procéda par des anoblissements partiels; ensuite ce fut une irruption, une conquête violente, une prise de possession turbulente et déréglée de la part de la démocratie des mots. A la fin du « XVIIIe siècle, quelques écrivains avaient repris les mots techniques proscrits par Buffon. J.-J. Rousseau en avait hasardé plusieurs; Bernardin de Saint-Pierre les avait prodigués dans ses belles descriptions de la nature qu'ils contribuérent à animer a par leur nouveaute. Après les mots techniques, les mots propres, ce fut le tour des mots familiers. On comprit de quel avantage ils pouvaient être pour détendre le style, qui avait grand besoin d'être détendu. On les employa d'abord avec un art fort discret. On les prenait parmi les plus voisins du haut style; on leur choisissait une place où ils n'attirassent trop particulière«ment ni l'œil, ni l'oreille, ni l'effort de la voix, ni l'attention de l'esprit; on les relevait par un entourage distingué...

Bientôt on fit différemment et même tout autrement. On puisa dans la partie la plus basse de notre vocabulaire, et « ces mots, étonnes de leur subite élévation, on les mit le plus possible en lumière; à notre vieille pourpre usée et dechirée, on n'eut pas bonte de coudre des haillons, et l'on obtint ainsi un effet de surprise infaillible, qui dut passer pour du plaisir « et de l'admiration auprès de tous ceux que cela ne révoltait pas. » (Mélanges de littérature ancienne et moderne, p. 189-190.)

nouvelles alors, mais qui ont passé dans l'usage, ou qu'un patronage illustre aurait dù, peut-être, faire adopter. Enfin un grand nombre d'erreurs signalées par Laveaux dans le Dictionnaire de l'Académie et la Grammaire des Grammaires ayant été corrigées dans les dernières éditions de ces deux ouvrages, nous nous sommes cru obligé de supprimer des observations critiques aujourd'hui sans objet.

Ces retranchements, et le choix d'une disposition typographique plus favorable, ont permis de réduire l'ouvrage à un seul volume et d'y faire cependant quelques additions devenues indispensables. Nous avons ajouté beaucoup de citations tirées des auteurs classiques, et en particulier du texte des Pensées de Pascal, publié par M. Cousin dans son excellent rapport à l'Académie 1. M. Egger, qui trouve un si noble plaisir à diriger les jeunes gens dans leurs travaux, a bien voulu nous fournir plusieurs exemples fort curieux qu'il avait recueillis dans ses lectures; il y a même joint quelques remarques inédites dont il nous a permis de faire usage. Nous sommes heureux de trouver ici l'occasion de lui témoigner notre reconnaissance.

De fréquents emprunts ont été faits aux spirituels ouvrages de Charles Nodier et aux excellentes notes dont M. Lemaire a enrichi sa nouvelle édition de la Grammaire des Grammaires; nous avons mieux aimé les citer textuellement que d'ôter à ce travail, en l'analysant, l'autorité du nom de son auteur.

Enfin quelques améliorations matérielles ont été introduites dans cette édition. Les mots que l'Académie n'admet pas y sont précédés d'un astérisque, et, toutes les fois que cela s'est pu, le nom d'auteur, placé par Laveaux au-dessous de chaque citation, a été suivi de l'indication précise de l'ouvrage, et du numéro de la page pour les prosateurs, du vers pour les poëtes. Nous espérons avoir donné ainsi plus d'autorité au travail de Laveaux; car c'est en rendant facile à tous la vérification des exemples que le grammairien se place réellement sous la sauvegarde de tous les écrivains éminents dont il cite les ouvrages.

1 Notre travail, dont la publication a été retardée par des circonstances indépendantes de notre volonté, était déjà terminé, lorsque M. Faugère a donne son édition des fragments de l'ascal. Nous regrettons de n'avoir pu profiter de ce travail important.

2 Voyez, dans l'article E, les observations sur l'e muet.

CH. MARTY LAVEAUX.

DISCOURS PRÉLIMINAIRE

DE LA PREMIÈRE ÉDITION.

Il n'est peut-être aucune science sur laquelle on ait plus écrit que sur la langue française. Depuis deux siècles qu'on a commencé de cultiver cette langue, les ouvrages destinés à l'enseigner se sont toujours multipliés de plus en plus; et comme si les difficultés augmentaient à mesure qu'on travaille à les éclaircir, plus on a d'écrits sur cette matière, plus on croit nécessaire d'en publier de nouveaux.

Cette opinion semble justifiée par l'embarras où se trouvent souvent, au milieu de tant de secours divers, les gens du monde et même les gens de lettres qui désirent parler et écrire purement. Ceux même d'entre ces derniers qui ont fait une étude particulière de la grammaire, c'est-à-dire, qui ont comparé les divers systèmes, rectifié les règles par les faits, rejeté ou concilie les décisions qui paraissent contradictoires, sont encore fréquemment arrêtés par des doutes longs à éclaircir, par des incertitudes où ils ne voient point d'issue.

La nature de cette science et l'histoire de sa marche nous révèlent les causes de ces difficultés, et du besoin toujours renaissant d'instructions nouvelles. Une langue vivante, composée des usages actuels de la nation qui la parle, doit changer en bien ou en mal, suivant les changements favorables ou défavorables que le temps apporte nécessairement à ces usages. Ainsi, de demisiècle en demi-siècle, et quelquefois plus tôt, il y a de nouveaux usages à faire remarquer, de nouveaux abus à signaler; de sorte que les anciens réformateurs, si recommandables à l'époque où ils ont écrit, perdent successivement de leur mérite à mesure que la langue s'enrichit de nouvelles expressions et de nouveaux tours, ou qu'elle se corrompt par des écarts contre lesquels ils n'ont pas eu occasion de s'élever.

Cependant ils conservent longtemps leur autorité tout entière dans l'esprit d'un grand nom→ bre, et les nouveaux observateurs ne peuvent qu'avec peine porter la lumière dans leurs doctrines surannées. De là les opinions diverses, soit en faveur des anciens, soit en faveur des modernes; de là des di cussions et des disputes, et par conséquent des doutes et des incertitudes qui appellent des éclaircissements et des décisions nouvelles.

Mais ce qui augmente la confusion, c'est que les contemporains ne sont pas plus d'accord entre eux. Vaugelas, Bouhours, Ménage, les écrivains de Port-Royal, furent divisés; Furetière s'éleva contre l'Académie française; de nos jours, Desfontaines, Fréron et Geoffroi, eontre les meilleurs écrivains de notre siècle; La Harpe contre Voltaire, son maître; et Domergue contre plusieurs de ses contemporains.

Convenons cependant qu'à travers les tourbillons que ces athlètes élèvent dans leurs arènes littéraires, la vérité et le bon goût brillent assez souvent, et qu'ils triomphent à la fin de l'ignorance et de la méchanceté. Malgré la colère de Boubours, les illustres écrivains de Port-Royal ont enrichi notre langue d'un grand nombre d'expressions nouvelles et heureuses; Furetière a mieux fait que l'Académie française; une quantité de mots et d'expressions que Desfontaines s'était efforcé de condamner au ridicule, sont employés aujourd'hui par les écrivains les plus élégants et les plus purs; et les malheureux détracteurs du style de Voltaire n'ont fait que passer.

La marche de la science grammaticale en France n'a pas peu contribué non plus à retarder les progrès de la langue, et à répandre dans les esprits l'incertitude et l'erreur. On passa subitement de la critique des langues mortes à celle de la langue nationale; et, sans remarquer que la langue française diffère essentiellement de la langue latine par sa syntaxe et ses constructions, on a fait à cette langue une application forcée de la grammaire latine. Alors on appliqua aux noms français dont la terminaison ne change point, et dont les divers rapports ne sont indiqués que par leur place ou par les prépositions dont on les accompagne, les cas qui servent à distinguer les diverses terminaisons des noms latins, et à marquer leurs différents rapports; et la langue française fut forcée d'admettre, comme la langue latine, des cas et des déclinaisons. Cette erreur s'est tellement enracinée, que malgré les grammairiens philosophes qui l'ont vic

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