Page images
PDF
EPUB

Homère et son rival 120 sont mes dieux du Parnasse.
Je le dis aux rochers, on veut d'autres discours :
Ne pas louer son siècle est parler à des sourds.
Je le loue, et je sais qu'il n'est pas sans mérite;
Mais, près de ces grands noms, notre gloire est petite:
Tel de nous, dépourvu de leur solidité,

N'a qu'un peu d'agrément, sans nul fonds de beauté;
Je ne nomme personne: on peut tous nous connaître.

(1687.)

5

LE CORBEAU ET LE RENARD

I. 2

Maitre Corbeau, sur un arbre perché,
Tenait en son bec un fromage.

Maitre Renard, par l'odeur alléché,

Lui tint à peu près ce langage:

"Hé! bonjour, monsieur du Corbeau.

Que vous êtes joli! que vous me semblez beau!
Sans mentir, si votre ramage

Se rapporte à votre plumage,

Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois."
A ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie;
Et pour montrer sa belle voix,

Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.
Le Renard s'en saisit, et dit: "Mon bon Monsieur,
Apprenez que tout flatteur

Vit aux dépens de celui qui l'écoute :
Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute."

Le Corbeau, honteux et confus,

Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus.

[ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small]

LE RAT DE VILLE ET LE RAT DES CHAMPS

I. 9

Autrefois le Rat de ville
Invita le Rat des champs,
D'une façon fort civile,
A des reliefs d'ortolans.

30

[merged small][ocr errors][merged small]

Sur un tapis de Turquie
Le couvert se trouva mis.
Je laisse à penser la vie
Que firent ces deux amis.

Le régal fut fort honnête:
Rien ne manquait au festin;
Mais quelqu'un troubla la fête
Pendant qu'ils étaient en train.

A la porte de la salle
Ils entendirent du bruit:
Le Rat de ville détale;
Son camarade le suit.

Le bruit cesse, on se retire:
Rats en campagne aussitôt;
Et le citadin de dire:
"Achevons tout notre rôt.

- C'est assez, dit le rustique;
Demain vous viendrez chez moi.
Ce n'est pas que je me pique
De tous vos festins de roi;

Mais rien ne vient m'interrompre :
Je mange tout à loisir.

Adieu donc. Fi du plaisir

Que la crainte peut corrompre!"

LE LOUP ET L'AGNEAU

I. IO

La raison du plus fort est toujours la meilleure:
Nous l'allons montrer tout à l'heure.

Un Agneau se désaltérait

Dans le courant d'une onde pure.

Un Loup survient à jeun, qui cherchait aventure,

Et que

la faim en ces lieux attirait.

20

25

30

"Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage?" Dit cet animal plein de rage:

"Tu seras châtié de ta témérité.

- Sire, répond l'Agneau, que Votre Majesté
Ne se mette pas en colère;
Mais plutôt qu'elle considère
Que je me vas 121 désaltérant
Dans le courant,

Plus de vingt pas au-dessous d'Elle;
Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.

Tu la troubles, reprit cette bête cruelle;
Et je sais que de moi tu médis l'an passé.

- Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né?
Reprit l'Agneau; je tette encor ma mère.

[ocr errors][merged small]

-Je n'en ai point.

- C'est donc quelqu'un des tiens;

Car vous ne m'épargnez guère,
Vous, vos bergers, et vos chiens.
On me l'a dit: il faut que je me venge."
Là-dessus, au fond des forêts

Le loup l'emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procès.

[merged small][merged small][ocr errors][merged small]

LES ANIMAUX MALADES DE LA PESTE

VII. I

Un mal qui répand la terreur,

Mal que le Ciel en sa fureur

25

Inventa pour punir les crimes de la terre,

La peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom),

Capable d'enrichir en un jour l'Achéron,122

Faisait aux animaux la guerre.

Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés:
On n'en voyait point d'occupés

30

A chercher le soutien d'une mourante vie;

Nul mets n'excitait leur envie;

Ni loups ni renards n'épiaient
La douce et l'innocente proie;
Les tourterelles se fuyaient:

Plus d'amour, partant plus de joie.

Le Lion tint conseil, et dit: "Mes chers amis,
Je crois que le Ciel a permis

Pour nos péchés cette infortune.
Que le plus coupable de nous

Se sacrifie aux traits du céleste courroux;

Peut-être il obtiendra la guérison commune.

5

10

L'histoire 123 nous apprend qu'en de tels accidents

On fait de pareils dévouements.

Ne nous flattons donc point; voyons sans indulgence
L'état de notre conscience.

Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons,

J'ai dévoré force moutons.

Que m'avaient-ils fait? nulle offense; Même il m'est arrivé quelquefois de manger

Le berger.

Je me dévouerai donc, s'il le faut: mais je pense
Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi:
Car on doit souhaiter, selon toute justice,

Que le plus coupable périsse.

Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon roi;

Vos scrupules font voir trop de délicatesse.

Eh bien! manger moutons, canaille, sotte espèce,

Est-ce un péché? Non, non. Vous leur fîtes, Seigneur,

En les croquant, beaucoup d'honneur ;

Et quant au berger, l'on peut dire
Qu'il était digne de tous maux,

Étant de ces gens-là qui sur les animaux

Se font un chimérique empire."

Ainsi dit le Renard; et flatteurs d'applaudir.

15

20

25

30

On n'osa trop approfondir

Du Tigre, ni de l'Ours, ni des autres puissances,

35

Les moins pardonnables offenses.

Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins,
Au dire de chacun, étaient de petits saints.

L'Ane vint à son tour, et dit: "J'ai souvenance
Qu'en un pré de moines passant,

La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et, je pense,
Quelque diable aussi me poussant,

Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.

Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net."
A ces mots on cria haro 124 sur le Baudet.

Un Loup, quelque peu clerc, prouva par sa harangue
Qu'il fallait dévouer 125 ce maudit animal,

Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l'herbe d'autrui! quel crime abominable!
Rien que la mort n'était capable

D'expier son forfait: on le lui fit bien voir.

Selon que vous serez puissant ou misérable,

Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

LE COCHE ET LA MOUCHE

VII. 9

Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé,

Et de tous les côtés au soleil exposé,

Six forts chevaux tiraient un coche.

Femmes, moine, vieillards, tout était descendu;
L'attelage suait, soufflait, était rendu.

Une Mouche survient, et des chevaux s'approche,
Prétend les animer par son bourdonnement,
Pique l'un, pique l'autre, et pense à tout moment

Qu'elle fait aller la machine,

S'assied sur le timon, sur le nez du cocher.

Aussitôt que le char chemine,

Et qu'elle voit les gens marcher,

Elle s'en attribue uniquement la gloire,

5

IO

15

20

25

Va, vient, fait l'empressée: il semble que ce soit
Un sergent de bataille allant en chaque endroit
Faire avancer ses gens et hâter la victoire.

30

La Mouche, en ce commun besoin,

Se plaint qu'elle agit seule, et qu'elle a tout le soin;

« PreviousContinue »