Homère et son rival 180 sont mes dieux du Parnasse. Je le dis aux rochers, on veut d'autres discours : Ne pas louer son siècle est parler à des sourds. Je le loue, et je sais qu'il n'est pas sans mérite ; Mais, près de ces grands noms, notre gloire est petite: Tel de nous, dépourvu de leur solidité, N'a qu'un peu d'agrément, sans nul fonds de beauté; Je ne nomme personne: on peut tous nous connaitre.
(1687.).
Maitre Corbeau, sur un arbre perché,
Tenait en son bec un fromage. Maitre Renard, par l'odeur alléché,
Lui tint à peu près ce langage:
"Hé! bonjour, monsieur du Corbeau. Que vous êtes joli! que vous me semblez beau!
Sans mentir, si votre ramage
Se rapporte à votre plumage, Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois." A ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie;
Et pour montrer sa belle voix, Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie. Le Renard s'en saisit, et dit: "Mon bon Monsieur,
Apprenez que tout flatteur Vit aux dépens de celui qui l'écoute: Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute."
Le Corbeau, honteux et confus, Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus.
LE RAT DE VILLE ET LE RAT DES CHAMPS
Autrefois le Rat de ville Invita le Rat des champs, D'une façon fort civile, A des reliefs d'ortolans.
La raison du plus fort est toujours la meilleure:
Nous l'allons montrer tout à l'heure.
Un Agneau se désaltérait
Dans le courant d'une onde pure. Un Loup survient à jeun, qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
“Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?"
Dit cet animal plein de rage: “Tu seras châtié de ta témérité. Sire, répond l'Agneau, que Votre Majesté
Ne se mette pas en colère; Mais plutôt qu'elle considère Que je me vas 121 désaltérant
Dans le courant, Plus de vingt pas au-dessous d'Elle; Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson. - Tu la troubles, reprit cette bête cruelle; Et je sais que de moi tu médis l'an passé. - Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né? Reprit l'Agneau; je tette encor ma mère.
-Si ce n'est toi, c'est donc ton frère. - Je n'en ai point. — C'est donc quelqu'un des tiens;
Car vous ne m'épargnez guère,
Vous, vos bergers, et vos chiens. On me l'a dit: il faut que je me venge."
Là-dessus, au fond des forêts Le loup l'emporte, et puis le mange, Sans autre forme de procès.
LES ANIMAUX MALADES DE LA PESTE
Un mal qui répand la terreur,
Mal que le Ciel en sa fureur Inventa pour punir les crimes de la terre, La peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom), Capable d'enrichir en un jour l'Acheron,122
Faisait aux animaux la guerre. Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés :
On n'en voyait point d'occupés A chercher le soutien d'une mourante vie;
Nul mets n'excitait leur envie ;
Ni loups ni renards n'épiaient La douce et l'innocente proie; Les tourterelles se fuyaient: Plus d'amour, partant plus de joie.
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Le Lion tint conseil, et dit: "Mes chers amis,
Je crois que le Ciel a permis Pour nos péchés cette infortune.
Que le plus coupable de nous Se sacrifie aux traits du céleste courroux; Peut-être il obtiendra la guérison commune. L'histoire 118 nous apprend qu'en de tels accidents
On fait de pareils dévouements. Ne nous flattons donc point; voyons sans indulgence
L'état de notre conscience. Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons,
J'ai dévoré force moutons.
Que m'avaient-ils fait? nulle offense ; Même il m'est arrivé quelquefois de manger
Le berger. Je me dévouerai donc, s'il le faut: mais je pense Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi : Car on doit souhaiter, selon toute justice,
Que le plus coupable périsse. - Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon roi; Vos scrupules font voir trop de délicatesse. Eh bien ! manger moutons, canaille, sotte espèce, Est-ce un péché? Non, non. Vous leur fites, Seigneur,
En les croquant, beaucoup d'honneur; Et quant au berger, l'on peut dire
Qu'il était digne de tous maux, Étant de ces gens-là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire.” Ainsi dit le Renard; et flatteurs d'applaudir.
On n'osa trop approfondir Du Tigre, ni de l'Ours, ni des autres puissances,
Les moins pardonnables offenses. Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples matins, Au dire de chacun, étaient de petits saints.
L'Ane vint à son tour, et dit: "J'ai souvenance
Qu'en un pré de moines passant, La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et, je pense,
Quelque diable aussi me poussant, Je tondis de ce pré la largeur de ma langue. Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net." A ces mots on cria haro sur le Baudet. Un Loup, quelque peu clerc, prouva par sa harangue Qu'il fallait dévouer 136 ce maudit animal, Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal. Sa peccadille fut jugée un cas pendable. Manger l'herbe d'autrui ! quel crime abominable !
Rien que la mort n'était capable D'expier son forfait: on le lui fit bien voir. Selon que vous serez puissant ou misérable, Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.
Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé, Et de tous les côtés au soleil exposé,
Six forts chevaux tiraient un coche. Femmes, moine, vieillards, tout était descendu; L'attelage suait, soufflait, était rendu. Une Mouche survient, et des chevaux s'approche, Prétend les animer par son bourdonnement, Pique l'un, pique l'autre, et pense à tout moment
Qu'elle fait aller la machine, S'assied sur le timon, sur le nez du cocher.
Aussitôt que le char chemine,
Et qu'elle voit les gens marcher, Elle s'en attribue uniquement la gloire, Va, vient, fait l'empressée : il semble que ce soit Un sergent de bataille allant en chaque endroit Faire avancer ses gens et hâter la victoire.
La Mouche, en ce commun besoin, Se plaint qu'elle agit seule, et qu'elle a tout le soin;
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