A peine les ont-ils déposés sur les planches, Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux, Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches Comme des avirons traîner à côté d'eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule! Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid! L'un agace son bec avec un brûle-gueule, L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait!
Le Poète est semblable au prince des nuées Qui hante la tempête et se rit de l'archer; Exilé sur le sol au milieu des huées, Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.
Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l'abime O Beauté? Ton regard, infernal et divin, Verse confusément le bienfait et le crime, Et l'on peut pour cela te comparer au vin.
Tu contiens dans ton œil le couchant et l'aurore; Tu répands des parfums comme un soir orageux; Tes baisers sont un philtre et ta bouche une amphore Qui font le héros lâche et l'enfant courageux.
Sors-tu du gouffre noir ou descends-tu des astres? Le Destin charmé suit tes jupons comme un chien; Tu sèmes au hasard la joie et les désastres, Et tu gouvernes tout et ne réponds de rien.
Tu marches sur des morts, Beauté, dont tu te moques, De tes bijoux l'Horreur n'est pas le moins charmant, Et le Meurtre, parmi tes plus chères breloques, Sur ton ventre orgueilleux danse amoureusement.
Que tu viennes du ciel ou de l'enfer, qu'importe, O Beauté! monstre énorme, effrayant, ingénu! Si ton œil, ton souris, ton pied, m'ouvrent la porte D'un Infini que j'aime et n'ai jamais connu?
De Satan ou de Dieu, qu'importe? Ange ou Sirène, Qu'importe, si tu rends, fée aux yeux de velours, Rhythme, parfum, lueur, ô mon unique reine! L'univers moins hideux et les instants moins lourds?
Voici venir les temps où vibrant sur sa tige Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir;
Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir; Valse mélancolique et langoureux vertige!
Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir; Le violon frémit comme un cœur qu'on afflige; Valse mélancolique et langoureux vertige!
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.
Le violon frémit comme un cœur qu'on afflige, Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir ! Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir; Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige..
Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir, Du passé lumineux recueille tout vestige! Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige. Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir!
Il est amer et doux, pendant les nuits d'hiver, D'écouter, près du feu qui palpite et qui fume, Les souvenirs lointains lentement s'élever Au bruit des carillons qui chantent dans la brume.
Bienheureuse la cloche au gosier vigoureux
Qui, malgré sa vieillesse, alerte et bien portante, Jette fidèlement son cri religieux,
Ainsi qu'un vieux soldat qui veille sous la tente!
Moi, mon âme est fêlée, et lorsqu'en ses ennuis Elle veut de ses chants peupler l'air froid des nuits, Il arrive souvent que sa voix affaiblie
Semble le râle épais d'un blessé qu'on oublie Au bord d'un lac de sang, sous un grand tas de morts, Et qui meurt, sans bouger, dans d'immenses efforts! -Ibid.
Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis, Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits;
Quand la terre est changée en un cachot humide, Où l'Espérance, comme une chauve-souris, S'en va battant les murs de son aile timide Et se cognant la tête à des plafonds pourris;
Quand la pluie étalant ses immenses trainées D'une vaste prison imite les barreaux, Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,
Des cloches tout à coup sautent avec furie
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement.
-Et de longs corbillards, sans tambours ni musique, Défilent lentement dans mon âme; l'Espoir, Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.
C'est la Mort qui console, hélas! et qui fait vivre; C'est le but de la vie, et c'est le seul espoir Qui, comme un élixir, nous monte et nous enivre, Et nous donne le cœur de marcher jusqu'au soir;
A travers la tempête, et la neige, et le givre, C'est la clarté vibrante à notre horizon noir; C'est l'auberge fameuse inscrite sur le livre,598 Où l'on pourra manger, et dormir, et s'asseoir;
C'est un Ange qui tient dans ses doigts magnétiques Le sommeil et le don des rêves extatiques, Et qui refait le lit des gens pauvres et nus;
C'est la gloire des Dieux, c'est le grenier mystique,599 C'est la bourse du pauvre et sa patrie antique, C'est le portique ouvert sur les Cieux inconnus !
O Mort, vieux capitaine, il est temps! levons l'ancre ! Ce pays nous ennuie, ô Mort! Appareillons ! Si le ciel et la mer sont noirs comme de l'encre, Nos cœurs que tu connais sont remplis de rayons!
Verse-nous ton poison pour qu'il nous réconforte! Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau, Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe? Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau!
- Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis? ton
père, ta mère, ta sœur ou ton frère?
-Je n'ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère.
Vous vous servez là d'une parole dont le sens m'est
resté jusqu'à ce jour inconnu.
J'ignore sous quelle latitude elle est située. - La beauté?
- Je l'aimerais volontiers, déesse et immortelle. - L'or?
- Je le hais comme vous haissez Dieu.
-Eh! qu'aimes-tu donc, extraordinaire étranger?
- J'aime les nuages . . . les nuages qui passent . . . là 10 bas... les merveilleux nuages!
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