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Que tu viennes du ciel ou de l'enfer, qu'importe,
O Beauté! monstre énorme, effrayant, ingénu!
Si ton oeil, ton souris, ton pied, m'ouvrent la porte
D'un Infini que j'aime et n'ai jamais connu?
De Satan ou de Dieu, qu'importe ? Ange ou Sirène,
Qu'importe, si tu rends, - fée aux yeux de velours,
Rhythme, parfum, lueur, ô mon unique reine ! –
L'univers moins hideux et les instants moins lourds?

-Ibid.

5

HARMONIE DU SOIR

IO

Voici venir les temps où vibrant sur sa tige
Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir;
Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir ;
Valse mélancolique et langoureux vertige !

Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir;
Le violon frémit comme un cæur qu'on afflige ;
Valse mélancolique et langoureux vertige!
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.

15

Le violon frémit comme un cour qu'on afflige,
Un coeur tendre, qui hait le néant vaste et noir !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir;
Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige. . .

20

Un coeur tendre, qui hait le néant vaste et noir,
Du passé lumineux recueille tout vestige!
Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige. .
Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir !

-Ibid.

LA CLOCHE FÊLÉE

25

Il est amer et doux, pendant les nuits d'hiver,
D'écouter, près du feu qui palpite et qui fume,
Les souvenirs lointains lentement s'élever
Au bruit des carillons qui chantent dans la brume.

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Bienheureuse la cloche au gosier vigoureux
Qui, malgré sa vieillesse, alerte et bien portante,
Jette fidèlement son cri religieux,
Ainsi qu'un vieux soldat qui veille sous la tente!
Moi, mon âme est fêlée, et lorsqu'en ses ennuis
Elle veut de ses chants peupler l'air froid des nuits,
Il arrive souvent que sa voix affaiblie
Semble le râle épais d'un blessé qu'on oublie
Au bord d'un lac de sang, sous un grand tas de morts,
Et qui meurt, sans bouger, dans d'immenses efforts !

-Ibid.

10

SPLEEN

15

Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ;
Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l'Espérance, comme une chauve-souris,
S'en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris;
Quand la pluie étalant ses immenses traînées
D'une vaste prison imite les barreaux,
Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,
Des cloches tout à coup sautent avec furie
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement.

20

25

- Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme; l'Espoir,
Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.

-Ibid.

30 LA MORT DES PAUVRES

C'est la Mort qui console, hélas ! et qui fait vivre;
C'est le but de la vie, et c'est le seul espoir
Qui, comme un élixir, nous monte et nous enivre,
Et nous donne le cour de marcher jusqu'au soir;

5

A travers la tempête, et la neige, et le givre,
C'est la clarté vibrante à notre horizon noir ;
C'est l'auberge fameuse inscrite sur le livre, 688
Où l'on pourra manger, et dormir, et s'asseoir ;

Іо

C'est un Ange qui tient dans ses doigts magnétiques
Le sommeil et le don des rêves extatiques,
Et qui refait le lit des gens pauvres et nus;
C'est la gloire des Dieux, c'est le grenier mystique, 580
C'est la bourse du pauvre et sa patrie antique,
C'est le portique ouvert sur les Cieux inconnus !

-Ibid.

LE VOYAGE

15

O Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l'ancre !
Ce pays nous ennuie, ó Mort! Appareillons !
Si le ciel et la mer sont noirs comme de l'encre,
Nos cæurs que tu connais sont remplis de rayons !

1

20

Verse-nous ton poison pour qu'il nous réconforte !
Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,
Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe ?
Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau !

-Ibid.

L'ÉTRANGER

- Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? ton père, ta mère, ta sæur ou ton frère ?

- Je n'ai ni père, ni mère, ni sæur, ni frère.
Tes amis ?

25

Vous vous servez là d'une parole dont le sens m'est resté jusqu'à ce jour inconnu.

- Ta patrie?

-J'ignore sous quelle latitude elle est située.
La beauté?

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Je l'aimerais volontiers, déesse et immortelle. - L'or?

- Je le hais comme vous haïssez Dieu.

Eh! qu'aimes-tu donc, extraordinaire étranger? - J'aime les nuages. . . les nuages qui passent . bas... les merveilleux nuages!

-Petits Poèmes en Prose.

VERLAINE

(1844-1896)

CHANSON D'AUTOMNE

Les sanglots longs

Des violons

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FEMME ET CHATTE
Elle jouait avec sa chatte;
Et c'était merveille de voir
La main blanche et la blanche patte
S'ébattre dans l'ombre du soir.

5

Elle cachait - la scélérate!
Sous ses mitaines de fil noir
Ses meurtriers ongles d'agate,
Coupants et clairs comme un rasoir.
L'autre faisait aussi la sucrée
Et rentrait sa griffe acérée,
Mais le diable n'y perdait rien.
Et dans le boudoir où, sonore,
Tintait son rire aérien,
Brillaient quatre points de phosphore.

(1866.)

IO

15

20

LE BRUIT DES CABARETS, LA FANGE DES TROTTOIRS

Le bruit des cabarets, la fange des trottoirs,
Les platanes déchus s'effeuillant dans l'air noir,
L'omnibus, ouragan de ferraille et de boues,
Qui grince, mal assis entre ses quatre roues,
Et roule ses yeux verts et rouges lentement,
Les ouvriers allant au club, tout en fumant
Leur brûle-gueule 60 au nez des agents de police, ,
Toits qui dégouttent, murs suintants, pavé qui glisse,
Bitume défoncé, ruisseaux comblant l'égout,
Voilà ma route - avec le

paradis au bout.

(1870.)
ARIETTES OUBLIÉES
La lune blanche
Luit dans les bois ;
De chaque branche
Part une voix
Sous la ramée ...
O bien-aimée.

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