Elle est là cependant, je l'entends qui respire; Mais, pendule éternel que sa puissance attire, Je passe et je repasse et tâte l'ombre en vain; Ne pourrai-je allonger cette corde flottante, Ni remonter au jour dont la gaité me tente ? Et dois-je dans l'horreur me balancer sans fin?
-Les Epreuves, 1866.
Ah! si vous saviez comme on pleure De vivre seul et sans foyers, Quelque fois devant ma demeure
Vous passeriez. Si vous saviez ce que fait naître Dans l'âme triste un pur regard, Vous regarderiez ma fenêtre
Comme au hasard.
Si vous saviez quel baume apporte Au coeur le présence d'un cour, Vous vous assoiriez sous ma porte
Comme une sour.
Si vous saviez que je vous aime, Surtout si vous saviez comment, Vous entreriez peut-être même Tout simplement.
-Vaines Tendresses, 1875
(1823-1891) A ADOLPHE GAÏFFE
Jeune homme sans mélancolie, Blond comme un soleil d'Italie, Garde bien ta belle folie.
C'est la sagesse! Aimer le vin, La beauté, le printemps divin, Cela suffit. Le reste est vain.
Souris, même au destin sévère ! Et quand revient la primevère, Jettes-en les fleurs dans ton verre.
Au corps sous la tombe enfermé Que reste-t-il? D'avoir aimé Pendant deux ou trois mois de mai.
"Cherchez les effets et les causes,' Nous disent les rêveurs moroses. Des mots ! des mots! cueillons les roses.
-Odelettes, 1855.
Où semble luire un météore, La rosée en l'air s'évapore, Un essaim d'oiseaux réjouis Par dessus leur tête picore. C'est le verger du roi Louis.
“Prince, il est un bois que décore Un tas de pendus enfouis Dans le doux feuillage sonore. C'est le verger du roi Louis."
- Gringoire, 1866.
Et dans la bonne odeur des pins Qu'on voit ombrageant les clairières, Nous sommes les tendres lapins
Assis sur leurs petits derrières. -Sonnailles et Clochettes, 27 novembre, 1888.
COPPÉE
(1842-1908) "LA PETITE MARCHANDE DE FLEURS" Le soleil froid donnait un ton rose au grésil, Et le ciel de novembre avait des airs d'avril. Nous voulions profiter de la belle gelée. Moi chaudement vêtu, toi bien emmitouflée
Sous le manteau, sous la voilette et sous les gants, Nous franchissions, parmi les couples élégants, La porte de la blanche et joyeuse avenue, Quand soudain jusqu'à nous une enfant presque nue Et livide, tenant des fleurettes en main, Accourut, se frayant à la hâte un chemin Entre les beaux habits et les riches toilettes, Nous offrir un petit bouquet de violettes. Elle avait deviné que nous étions heureux Sans doute, et s'etait dit: "Ils seront généreux.” Elle nous proposa ses fleurs d'une voix douce, En souriant avec ce sourire qui tousse. Et c'était monstrueux, cette enfant de sept ans Qui mourait de l'hiver en offrant le printemps. Ses pauvres petits doigts étaient pleins d'engelures. Moi, je sentais le fin parfum de tes fourrures, Je voyais ton cou rose et blanc sous la fanchon, Et je touchais ta main chaude dans ton manchon. Nous fîmes notre offrande, amie, et nous passames; Mais la gaité s'était envolée, et nos âmes Gardèrent jusqu'au soir un souvenir amer. Mignonne, nous ferons l'aumône cet hiver.
-Les Intimités, XIII, 1868.
Les deux soeurs étaient là, les bras entrelacés, Debout devant la vieille aux regards fatidiques, Qui tournait lentement de ses vieux doigts lassés Sur un coin de haillon les cartes prophétiques.
Brune et blonde, et de plus fraiches comme un matin, L'une sombre pavot, l'autre blanche anémone, Celle-ci fleur de mai, celle-là fleur d'automne, Ensemble elles voulaient connaitre le destin.
"La vie, hélas ! sera pour toi bien douloureuse," Dit la vieille à la brune au sombre et fier profil.
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