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de notre zèle: en ce temps-là, il y avait de la presse à se faire déchirer, à se faire brûler pour Jésus-Christ. L'extrême dou

à leur et la dernière infamie attiraient les hommes au christianisme: c'étaient les appas et les promesses de cette nouvelle secte. Ceux qui la suivaient et qui avaient faveur à la cour, 5 avaient peur d'être oubliés dans la commune persécution : ils s'allaient accuser eux-mêmes s'ils manquaient de délateurs. Le lieu où les feux étaient allumés et les bêtes déchainées s'appelait, en la langue de la primitive Église, la place où l'on donne les couronnes. .

Le sang des martyrs a été fertile, et la persécution a peuplé le monde de chrétiens. Les premiers persécuteurs, voulant éteindre la lumière qui naissait et étouffer l'Église au berceau, ont été contraints d'avouer leur faiblesse après avoir épuisé leurs forces. Les autres qui l'attaquèrent depuis ne réussirent 15 pas mieux en leur entreprise. Et, bien qu'il y ait encore des inscriptions qu'ils nous ont laissées, pour avoir purgé la terre de la nation des chrétiens et pour avoir aboli le nom chrétien en toutes les parties de l'empire, l'expérience nous a fait voir qu'ils ont triomphé à faux, et leurs marbres ont été menteurs. 20 Ces superbes inscriptions sont aujourd'hui des monuments de leur vanité, et non pas de leur victoire. L'ouvrage de Dieu n'a pu être défait par la main des hommes. Et disons hardiment à la gloire de notre Jésus-Christ et à la honte de leur Dioclétien : “Les tyrans passent, mais la vérité demeure."

25 -"Discours III," 1652.

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VAUGELAS

(1585-1650)

"LE BON USAGE" Voici donc comme on définit le bon usage: C'est la façon de parler de la plus saine partie de la cour, conformément à la façon d'écrire de la plus saine partie des auteurs du temps.

Quand je dis la cour, j'y comprends les femmes comme les hommes, et plusieurs personnes de la ville où le prince réside, 30 qui, par la communication qu'elles ont avec les gens de la cour, participent à sa politesse. Il est certain que la cour est comme

un magasin d'où notre langue tire quantité de beaux termes pour exprimer nos pensées, et que l'éloquence de la chaire ni du barreau n'aurait pas les grâces qu'elle demande si elle ne les empruntait presque toutes de la cour. Je dis presque parceque nous avons encore un grand nombre d'autres phrases quis ne viennent pas de la cour, mais qui sont prises de tous les meilleurs auteurs grecs et latins, dont les dépouilles font une partie des richesses de notre langue, et peut-être ce qu'elle a de plus magnifique et de plus pompeux.

Toutefois, quelque avantage que nous donnions à la cour, 10 elle n'est pas suffisante toute seule de servir de règle; il faut que la cour et les bons auteurs y concourent, et ce n'est que de cette conformité qui se trouve entre les deux que l'usage s'établit. ... Le consentement des bons auteurs est comme le sceau, ou une vérification qui autorise le langage de la cour 15 et qui marque le bon usage.

-Remarques sur la langue française (Preface, 1647).

DESCARTES

(1596-1650)

DISCOURS DE LA MÉTHODE Mais comme un homme qui marche seul et dans les ténèbres, je me résolus d'aller si lentement et d'user de tant de circonspection en toutes choses, que si je n'avançais que fort peu, je me garderais bien au moins de tomber. Même je ne voulus 20 point commencer à rejeter tout à fait aucune des opinions qui s'étaient pu glisser autrefois en ma créance sans y avoir été introduites par la raison, que je n'eusse auparavant employé assez de temps à faire le projet de l'ouvrage que j'entreprenais, et à chercher la vraie méthode pour parvenir à la connaissance 25 de toutes les choses dont mon esprit serait capable.

J'avais un peu étudié, étant plus jeune, entre les parties de la philosophie, à la logique, et, entre les mathématiques, à l'analyse des géomètres et à l'algèbre, trois arts ou sciences qui semblaient devoir contribuer quelque chose à mon dessein. 39 Mais, en les examinant, je pris garde que, pour la logique, ses syllogismes et la plupart de ses autres instructions servent

1

plutôt à expliquer à autrui les choses qu'on sait, ou même,
comme l'art de Lulle,71 à parler sans jugement de celles qu'on
ignore, qu'à les apprendre; et bien qu'elle contienne en effet
beaucoup de préceptes très vrais et très bons, il y en a toutefois
tant d'autres mêlés parmi qui sont ou nuisibles ou superflus, 5
qu'il est presque aussi malaisé de les en séparer que de tirer une
Diane ou une Minerve hors d'un bloc de marbre qui n'est point
encore ébauché. Puis, pour l'analyse des anciens et l'algèbre
des modernes, outre qu'elles ne s'étendent qu'à des matières fort
abstraites, et qui ne semblent d'aucun usage, la première est 10
toujours si astreinte à la considération des figures, qu'elle ne
peut exercer l'entendement sans fatiguer beaucoup l'imagina-
tion; et on s'est tellement assujetti, en la dernière, à certaines
règles et à certains chiffres, qu'on en a fait un art confus et
obscur qui embarrasse l'esprit, au lieu d'une science qui le 15
cultive. Ce qui fut cause que je pensai qu'il fallait chercher
quelque autre méthode qui, comprenant les avantages de ces
trois, fût exempte de leurs défauts. Et comme la multitude
des lois fournit souvent des excuses aux vices, en sorte qu'un
État est bien mieux réglé lorsque, n'en ayant que fort peu, elles 20
y sont fort étroitement observées ; ainsi, au lieu de ce grand
nombre de préceptes dont la logique est composée, je crus que
j'aurais assez des quatre suivants, pourvu que je prisse une
ferme et constante résolution de ne manquer pas une seule fois
à les observer.

25
Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour
vraie que je ne la connusse évidemment étre telle; c'est-à-dire
d'éviter soigneusement la précipitation et la prévention, et de
ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se
présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit, que 30
je n'eusse aucune occasion de le mettre en doute.

Le second, de diviser chacune des difficultés que j'examinerais en autant de parcelles qu'il se pourrait et qu'il serait requis pour les mieux résoudre.

Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en com- 35 mençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu comme par degrés jusques à la connaissance des plus composés, et supposant même de

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l'ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres.

Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre.

5 Ces longues chaînes de raisons, toutes simples et faciles, dont les géomètres ont coutume de se servir pour parvenir à leurs plus difficiles démonstrations, m'avaient donné occasion de m'imaginer que toutes les choses qui peuvent tomber sous la connaissance des hommes s'entresuivent en même façon, et 10 que, pourvu seulement qu'on s'abstienne d'en recevoir aucune pour vraie qui ne le soit, et qu'on garde toujours l'ordre qu'il faut pour les déduire les unes des autres, il n'y en peut avoir de si éloignées auxquelles enfin on ne parvienne, ni de si cachées qu'on ne découvre. Et je ne fus pas beaucoup en 15 peine de chercher par lesquelles il était besoin de commencer, car je savais déjà que c'était par les plus simples et les plus aisées à connaître; et, considérant qu'entre tous ceux qui ont ci-devant recherché la vérité dans les sciences il n'y a eu que les seuls mathématiciens qui ont pu trouver quelques démon- 20 strations, c'est-à-dire quelques raisons certaines et évidentes, je ne doutais point que ce ne fût par les mêmes qu'ils ont examinées; bien que je n'en espérasse aucune autre utilité, sinon qu'elles accoutumeraient mon esprit à se repaitre de vérités et ne se contenter point de fausses raisons.

25

Mais ce qui me contentait le plus de cette méthode était que par elle j'étais assuré d'user en tout de ma raison, sinon parfaitement, au moins le mieux qui fût en mon pouvoir : outre que je sentais, en la pratiquant, que mon esprit s'accoutumait peu

à peu à à concevoir plus nettement et plus distinctement ses 30 objets; et que, ne l'ayant point assujettie à aucune matière particulière, je me promettais de l'appliquer aussi utilement aux difficultés des autres sciences que j'avais fait à celles de l'algèbre. Non que pour cela j'osasse entreprendre d'abord d'examiner toutes celles qui se présenteraient, car cela même 35 eût été contraire à l'ordre qu'elle prescrit; mais ayant pris garde que leurs principes devaient tous être empruntés de la

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philosophie, en laquelle je n'en trouvais point encore de certains,
je pensai qu'il fallait avant tout que je tâchasse d'y en établir;
et que, cela étant la chose du monde la plus importante, et où
la précipitation et la prévention étaient le plus à craindre, je
ne devais point entreprendre d'en venir à bout que je n'eusse 5
atteint un âge bien plus mûr que celui de vingt-trois ans que
j'avais alors, et que je n'eusse auparavant employé beaucoup
de temps à m'y préparer, tant en déracinant de mon esprit
toutes les mauvaises opinions que j'y avais reçues avant ce
temps-là qu'en faisant amas de plusieurs expériences, pour être 10
après la matière de mes raisonnements, et en m'exerçant tou-
jours en la méthode que je m'étais prescrite, afin de m'y affer-
mir de plus en plus.

(1637.)

PASCAL

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(1623-1662)
LA CINQUIÈME PROVINCIALE

De Paris, ce 20 mars 1656. Monsieur, voici ce que je vous ai promis. Voici les premiers traits de la morale des bons pères jésuites, "de ces 15 hommes éminents en doctrine et en sagesse, qui sont tous conduits par la sagesse divine, qui est plus assurée que toute la philosophie.” Vous pensez peut-être que je raille. Je le dis sérieusement, ou plutôt ce sont eux-mêmes qui le disent dans leur livre intitulé Imago primi sæculi. Je ne fais que copier 20

. leurs paroles, aussi bien que dans la suite de cet éloge: "c'est une société d'hommes, ou plutôt d'anges, qui a été prédite par Isaïe en ces paroles : Allez, anges prompts et légers." La prophétie n'en est-elle pas claire? “Ce sont des esprits d'aigles; c'est une troupe de phénix, un auteur ayant montré depuis peu 25 qu'il y en a plusieurs. Ils ont changé la face de la chrétienté.” Il le faut croire, puisqu'ils le disent. Et vous l'allez bien voir dans la suite de ce discours, qui vous apprendra leurs maximes.

J'ai voulu m'en instruire de bonne sorte. Je ne me suis pas fié à ce que notre ami 73 m'en avait appris. J'ai voulu les 30 voir eux-mêmes; mais j'ai trouvé qu'il ne m'avait rien dit que

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