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J'ouvris les yeux, doutant si l'aube était réelle:
De hardis compagnons sifflaient sur leur échelle,
Les métiers bourdonnaient, les champs étaient semés.

Je connus mon bonheur et qu'au monde où nous sommes
Nul ne peut se vanter de se passer des hommes;
Et depuis ce jour-là je les ai tous aimés.

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-Ibid.

CRI PERDU

Quelqu'un m'est apparu très loin dans le passé:
C'était un ouvrier des hautes Pyramides,
Adolescent perdu dans ces foules timides
Qu'écrasait le granit pour Chéops entassé.

Or ses genoux tremblaient; il pliait, harassé
Sous la pierre, surcroît au poids des cieux torrides;
L'effort gonflait son front et le creusait de rides;

Il cria tout à coup comme un arbre cassé.

Ce cri fit frémir l'air, ébranla l'éther sombre,
Monta, puis atteignit les étoiles sans nombre
Où l'astrologue lit les jeux tristes du sort;

Il monte, il va, cherchant les dieux et la justice,
Et depuis trois mille ans sous l'énorme bâtisse,
Dans sa gloire, Chéops inaltérable dort.

-Les Epreuves, 1866.

LE DOUTE

La blanche Vérité dort au fond d'un grand puits.
Plus d'un fuit cet abîme ou n'y prend jamais garde;
Moi, par un sombre amour, tout seul je m'y hasarde,
J'y descends à travers la plus noire des nuits;

Et j'entraîne la câble aussi loin que je puis;
Or, je l'ai déroulé jusqu'au bout; je regarde,
Et, les bras étendus, la prunelle hagarde,
J'oscille sans rien voir ni rencontrer d'appuis.

ΙΟ

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Elle est là cependant, je l'entends qui respire;
Mais, pendule éternel que sa puissance attire,
Je passe et je repasse et tâte l'ombre en vain;

Ne pourrai-je allonger cette corde flottante,
Ni remonter au jour dont la gaité me tente?
Et dois-je dans l'horreur me balancer sans fin?

PRIÈRE

-Les Epreuves, 1866.

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ΙΟ

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Jeune homme sans mélancolie,
Blond comme un soleil d'Italie,
Garde bien ta belle folie.

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Ni les fleurs dont jamais nous rimes,
Et, qui pis est, au bout des vers

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Nous ne dédaignons pas les rimes.

En dépit de Schopenhauer,
Ce cruel malade qui tousse,
Vivre et savourer le doux air
Nous semble une chose fort douce,

Et dans la bonne odeur des pins
Qu'on voit ombrageant les clairières,
Nous sommes les tendres lapins

Assis sur leurs petits derrières.

-Sonnailles et Clochettes, 27 novembre, 1888.

COPPÉE

(1842-1908)

"LA PETITE MARCHANDE DE FLEURS"

Le soleil froid donnait un ton rose au grésil,
Et le ciel de novembre avait des airs d'avril.
Nous voulions profiter de la belle gelée.
Moi chaudement vêtu, toi bien emmitouflée

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