Sous l'azur triomphal, au soleil qui flamboie, La trirème d'argent blanchit le fleuve noir Et son sillage y laisse un parfum d'encensoir Avec des sons de flûte et des frissons de soie.
A la proue éclatante où l'épervier s'éploie,5 Hors de son dais royal se penchant pour mieux voir, Cléopâtre debout en la splendeur du soir Semble un grand oiseau d'or qui guette au loin sa proie.
Voici Tarse, où l'attend le guerrier désarmé; Et la brune Lagide 584 ouvre dans l'air charmé
Ses bras d'ambre où la pourpre a mis des reflets roses;
Et ses yeux n'ont pas vu, présage de son sort, Auprès d'elle, effeuillant sur l'eau sombre des roses, Les deux Enfants divins, le Désir et la Mort.
Le choc avait été très rude. Les tribuns
Et les centurions, ralliant les cohortes, Humaient encor dans l'air où vibraient leurs voix fortes La chaleur du carnage et ses âcres parfums.
D'un œil morne, comptant leurs compagnons défunts, Les soldats regardaient, comme des feuilles mortes, Au loin, tourbillonner les archers de Phraortes; 585 Et la sueur coulait de leurs visages bruns.
C'est alors qu'apparut, tout hérissé de flèches, Rouge du flux vermeil de ses blessures fraiches,
Sous la pourpre flottante et l'airain rutilant,
Au fracas des buccins 586 qui sonnaient leur fanfare, Superbe, maîtrisant son cheval qui s'effare, Sur le ciel enflammé, l'Imperator sanglant.
Tous deux ils regardaient, de la haute terrasse, L'Égypte s'endormir sous un ciel étouffant
Et le Fleuve, à travers le Delta noir qu'il fend, Vers Bubaste ou Saïs 587 rouler son onde grasse.
Et le Romain sentait sous la lourde cuirasse, Soldat captif berçant le sommeil d'un enfant, Ployer et défaillir sur son cœur triomphant Le corps voluptueux que son étreinte embrasse.
Tournant sa tête pâle entre ses cheveux bruns Vers celui qu'enivraient d'invincibles parfums, Elle tendit sa bouche et ses prunelles claires;
Et sur elle courbé, l'ardent Imperator Vit dans ses larges yeux étoilés de points d'or Toute une mer immense où fuyaient des galères. 588
Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal, Fatigués de porter leurs misères hautaines, De Palos de Moguer, 589 routiers 590 et capitaines Partaient, ivres d'un rêve héroïque et brutal.
Ils allaient conquérir le fabuleux métal
Que Cipango 591 mûrit dans ses mines lointaines, Et les vents alizés inclinaient leurs antennes Aux bords mystérieux du monde Occidental.
Chaque soir, espérant des lendemains épiques, L'azur phosphorescent de la mer des Tropiques Enchantait leur sommeil d'un mirage doré;
Ou penchés à l'avant des blanches caravelles, Ils regardaient monter en un ciel ignoré Du fond de l'Océan des étoiles nouvelles.
Le vase où meurt cette verveine D'un coup d'éventail fut fêlé; Le coup dut effleurer à peine. Aucun bruit ne l'a révélé.
Mais la légère meurtrissure, Mordant le cristal chaque jour, D'une marche invisible et sûre En a fait lentement le tour.
Son eau fraîche a fui goutte à goutte, Le suc des fleurs s'est épuisé; Personne encore ne s'en doute, N'y touchez pas, il est brisé.
Souvent aussi la main qu'on aime, Effleurant le cœur, le meurtrit; Puis le cœur se fend de lui-même, La fleur de son amour périt;
Toujours intact aux yeux du monde, Il sent croître et pleurer tout bas Sa blessure fine et profonde, Il est brisé, n'y touchez pas.
Stances et Poèmes, 1865.
Le laboureur m'a dit en songe: "Fais ton pain, Je ne te nourris plus, gratte la terre et sème." Le tisserand m'a dit: "Fais tes habits toi-même." Et le maçon m'a dit: "Prends ta truelle en main."
Et seul, abandonné de tout le genre humain Dont je traînais partout l'implacable anathème, Quand j'implorais du ciel une pitié suprême, Je trouvais des lions debout dans mon chemin.
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