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O vierge, 567 qui, d'un pan de ta robe pieuse,
Couvris la tombe auguste où s'endormaient tes Dieux,
De leur culte éclipsé prêtresse harmonieuse,
Chaste et dernier rayon détaché de leurs cieux!

Je t'aime et te salue, ô vierge magnanime!
Quand l'orage ébranla le monde paternel,
Tu suivis dans l'exil cet Edipe 6s sublime,
Et tu l'enveloppas d'un amour éternel.

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Debout, dans ta pâleur, sous les sacrés portiques
Que des peuples ingrats abandonnait l'essaim,
Pythonisse enchaînée aux trépieds prophétiques,
Les Immortels trahis palpitaient dans ton sein..

569

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O sage enfant, si pure entre tes sœurs mortelles !
O noble front, sans tache entre les fronts sacrés!
Quelle âme avait chanté sur des lèvres plus belles,
Et brûlé plus limpide en des yeux inspirés?

Sans effleurer jamais ta robe immaculée,
Les souillures du siècle ont respecté tes mains:
Tu marchais, l'œil tourné vers la Vie étoilée,
Ignorante des maux et des crimes humains.
Le vil Galiléen To t'a frappée et maudite,
Mais tu tombas plus grande! Et maintenant, hélas !
Le souffle de Platon et le corps d'Aphrodite 571
Sont partis à jamais pour les beaux cieux d'Hellas!

Dors, ô blanche victime, en notre âme profonde,
Dans ton linceul de vierge et ceinte de lotos;
Dors! L'impure laideur est la reine du monde,
Et nous avons perdu le chemin de Paros.572

Les Dieux sont en poussière et la terre est muette;
Rien ne parlera plus dans ton ciel déserté.
Dors! mais vivante en lui, chante au cœur du poète
L'hymne mélodieux de la sainte Beauté!

Elle seule survit, immuable, éternelle.

La mort peut disperser les univers tremblants,
Mais la Beauté flamboie, et tout renaît en elle,
Et les mondes encor roulent sous ses pieds blancs!
-Poèmes antiques, 1852.

5

ΙΟ

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MIDI

Midi, roi des étés, épandu sur la plaine,

Tombe en nappes d'argent des hauteurs du ciel bleu.
Tout se tait. L'air flamboie et brûle sans haleine;
La terre est assoupie en sa robe de feu.

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L'étendue est immense, et les champs n'ont point d'ombre,
Et la source est tarie où buvaient les troupeaux;

La lointaine forêt, dont la lisière est sombre,
Dort là-bas, immobile, en un pesant repos.

Seuls, les grands blés mûris, tels qu'une mer dorée,
Se déroulent au loin, dédaigneux du sommeil ;
Pacifiques enfants de la terre sacrée,

Ils épuisent sans peur la coupe du soleil.

Parfois, comme un soupir de leur âme brûlante,

Du sein des épis lourds qui murmurent entre eux,
Une ondulation majestueuse et lente

S'éveille, et va mourir à l'horizon poudreux.

Non loin, quelques bœufs blancs, couchés parmi les herbes, Bavent avec lenteur sur leurs fanons épais,

Et suivent de leurs yeux languissants et superbes

Le songe intérieur qu'ils n'achèvent jamais.

Homme, si, le cœur plein de joie ou d'amertume,
Tu passais vers midi dans les champs radieux,
Fuis! la nature est vide et le soleil consume:
Rien n'est vivant ici, rien n'est triste ou joyeux.

Mais si, désabusé des larmes et du rire,
Altéré de l'oubli de ce monde agité,

Tu veux, ne sachant plus pardonner ou maudire,
Goûter une suprême et morne volupté;

Viens! Le soleil te parle en paroles sublimes;
Dans sa flamme implacable absorbe-toi sans fin;
Et retourne à pas lents vers les cités infimes,
Le cœur trempé sept fois dans le néant divin.

-Poèmes antiques, 1852.

L'ECCLÉSIASTE

L'Ecclésiaste a dit: Un chien vivant vaut mieux
Qu'un lion mort.573 Hormis, certes, manger et boire,
Tout n'est qu'ombre et fumée. Et le monde est très vieux,
Et le néant de vivre emplit la tombe noire.

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Par les antiques nuits, à la face des cieux,
Du sommet de sa tour comme d'un promontoire,
Dans le silence, au loin laissant planer ses yeux,
Sombre, tel il songeait sur son siège d'ivoire.

Vieil amant du soleil, qui gémissais ainsi,
L'irrévocable mort est un mensonge aussi.
Heureux qui d'un seul bond s'engloutirait en elle!

Moi, toujours, à jamais, j'écoute, épouvanté,
Dans l'ivresse et l'horreur de l'immortalité,
Le long rugissement de la vie éternelle.

-Poèmes barbares, 1862.

LA VÉRANDAH

Au tintement de l'eau dans les porphyres roux
Les rosiers de l'Iran mêlent leurs frais murmures,
Et les ramiers rêveurs leurs roucoulements doux.
Tandis que l'oiseau grêle et le frelon jaloux,
Sifflant et bourdonnant, mordent les figues mûres,

Les rosiers de l'Iran 574 mêlent leurs frais murmures
Au tintement de l'eau dans les porphyres roux.

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Sous les treillis d'argent de la vérandah close,
Dans l'air tiède embaumé de l'odeur des jasmins,
Où la splendeur du jour darde une flèche rose,
La Persane royale, immobile, repose,

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Derrière son col brun croisant ses belles mains,
Dans l'air tiède, embaumé de l'odeur des jasmins,
Sous les treillis d'argent de la vérandah close.

Jusqu'aux lèvres que l'ambre arrondi baise encor,
Du cristal d'où s'échappe une vapeur subtile
Qui monte en tourbillons légers et prend l'essor,
Sur les coussins de soie écarlate, aux fleurs d'or,
La branche du hûka 575 rôde comme un reptile
Du cristal d'où s'échappe une vapeur subtile
Jusqu'aux lèvres que l'ambre arrondi baise encor.

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Deux rayons noirs, chargés d'une muette ivresse,
Sortent de ses longs yeux entr'ouverts à demi;
Un songe l'enveloppe, un souffle la caresse;
Et parce que l'effluve 57 invincible l'oppresse,
Parce que son beau sein qui se gonfle a frémi,
Sortent de ses longs yeux entr'ouverts à demi
Deux rayons noirs, chargés d'une muette ivresse.

Et l'eau vive s'endort dans les porphyres roux,
Les rosiers de l'Iran ont cessé leurs murmures,
Et les ramiers rêveurs leurs roucoulements doux.
Tout se tait. L'oiseau grêle et le frelon jaloux
Ne se querellent plus autour des figues mûres.
Les rosiers de l'Iran ont cessé leurs murmures,
Et l'eau vive s'endort dans les porphyres roux.
-Poèmes barbares, 1862.

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LES MONTREURS

Tel qu'un morne animal, meurtri, plein de poussière,

La chaîne au cou, hurlant au chaud soleil d'été,
Promène qui voudra son cœur ensanglanté
Sur ton pavé cynique, ô plèbe carnassière !

Pour mettre un feu stérile en ton œil hébété,
Pour mendier ton rire ou ta pitié grossière,
Déchire qui voudra la robe de lumière
De la pudeur divine et de la volupté.

Dans mon orgueil muet, dans ma tombe sans gloire,
Dussé-je m'engloutir pour l'éternité noire,
Je ne te vendrai pas mon ivresse ou mon mal,

Je ne livrerai pas ma vie à tes huées,
Je ne danserai pas sur ton tréteau banal
Avec tes histrions et tes prostituées.

-Poèmes barbares, 1862.

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