Page images
PDF
EPUB

maigreur de misère, gisait le cadavre du cheval Trompette, un tas de chair morte, monstrueux et lamentable.

(1885.)

GAUTIER

(1811-1872)

LE POT DE FLEURS

Parfois un enfant trouve une petite graine,
Et tout d'abord, charmé de ses vives couleurs,
Pour la planter, il prend un pot de porcelaine
Orné de dragons bleus et de bizarres fleurs.

Il s'en va.
La racine en couleuvres s'allonge,
Sort de terre, fleurit et devient arbrisseau;
Chaque jour, plus avant son pied chevelu plonge
Tant qu'il fasse éclater le ventre du vaisseau.

L'enfant revient; surpris, il voit la plante grasse
Sur les débris du pot brandir ses verts poignards;
Il la veut arracher, mais sa tige est tenace;
Il s'obstine, et ses doigts s'ensanglantent aux dards.

Ainsi germa l'amour dans mon âme surprise:
Je croyais ne semer qu'une fleur de printemps;
C'est un grand aloès dont la racine brise

Le pot de porcelaine aux dessins éclatants.

-Poésies diverses, 1833-1838.

LES AFFRES DE LA MORT

SUR LES MURS D'UNE CHARTREUSE

O toi qui passes par ce cloître,
Songe à la mort! - Tu n'es pas sûr
De voir s'allonger et décroître,
Une autre fois, ton ombre au mur.

5

ΙΟ

15

20

[merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small]

Le sang quitte tes jambes roides,
Les ombres gagnent ton cerveau,
Et sur ton front les perles froides
Coulent comme aux murs d'un caveau.

Les prêtres à soutane noire,
Toujours en deuil de nos péchés,
Apportent l'huile et le ciboire,
Autour de ton grabat penchés.

Tes enfants, ta femme et tes proches
Pleurent en se tordant les bras,
Et déjà le sonneur aux cloches
Se suspend pour sonner ton glas.

Le fossoyeur a pris sa bêche
Pour te creuser ton dernier lit,
Et d'une terre brune et fraîche
Bientôt ta fosse se remplit.

Ta chair délicate et superbe
Va servir de pâture aux vers,
Et tu feras pousser de l'herbe
Plus drue avec des brins plus verts.

Donc, pour n'être pas surpris, frère,
Aux transes du dernier moment,
Réfléchis! - La mort est amère
A qui vécut trop doucement.

Sur ce, frère, que Dieu t'accorde
De trépasser en bon chrétien,
Et te fasse miséricorde;
Ici-bas, nul ne peut plus rien !

PREMIER SOURIRE DU PRINTEMPS

Tandis qu'à leurs œuvres perverses
Les hommes courent haletants,
Mars qui rit, malgré les averses,
Prépare en secret le printemps.

[merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small]

Pour les petites pâquerettes,
Sournoisement lorsque tout dort,
Il repasse des collerettes

Et cisèle des boutons d'or.

Dans le verger et dans la vigne,
Il s'en va, furtif perruquier,
Avec une houppe de cygne,
Poudrer à frimas l'amandier.

La nature au lit se repose;
Lui, descend au jardin désert
Et lace les boutons de rose
Dans leur corset de velours vert.

Tout en composant des solfèges,
Qu'aux merles il siffle à mi-voix,
Il sème aux prés les perce-neiges
Et les violettes aux bois.

Sur le cresson de la fontaine
Où le cerf boit, l'oreille au guet,
De sa main cachée il égrène
Les grelots d'argent du muguet.

Sous l'herbe, pour que tu la cueilles,
Il met la fraise au teint vermeil,
Et te tresse un chapeau de feuilles
Pour te garantir du soleil.

5

ΙΟ

15

20

[blocks in formation]
[blocks in formation]
« PreviousContinue »